Le Texas, nouvel eldorado pour nos entreprises ?

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

L’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex) a noué il y a plusieurs années un partenariat privilégié avec l’université texane Texas A&M. Objectif : faciliter l’accès au marché américain pour les PME et start-up wallonnes. Le Texas peut-il constituer une porte d’entrée originale vers les Etats-Unis ? Témoignages et conseils d’entrepreneurs qui ont franchi le pas.

” Howdy ! ” Accueil chaleureux ce matin dans cet auditoire de la prestigieuse université Texas A&M, à College Station. Brett Cornwell, associate vice chancellor for commercialization, salue les responsables d’une quinzaine d’entreprises wallonnes venus rencontrer leurs (futurs) partenaires texans dans le cadre de la mission économique annuelle de l’Awex. Tous ont emporté avec eux l’épais programme de rendez-vous que leur a concocté l’Agence wallonne à l’exportation. Grégory Nolens vient pour la première fois. ” J’ai des rendez-vous pendant trois jours, lâche-t-il. Et j’espère aussi provoquer des réunions. ” L’homme a fondé il y a deux ans la start-up Cerhum, active dans l’impression 3D d’implants en bio-céramique. Le but est, d’une part, d’éviter les complications en bannissant l’utilisation de matériel métallique et, de l’autre, de permettre une régénération de l’os localement, sans devoir aller chercher la matière osseuse ailleurs dans le corps. L’entreprise imprime des implants standards pour des fabricants d’implants, et développe et commercialise par ailleurs des implants personnalisés dans le domaine facial.

Owin peut permettre à une entreprise wallonne d’être enregistrée au Texas et de pouvoir par exemple concourir pour un marché public sans forcément disposer d’une présence physique sur place.

Grégory Nolens avait prévu de se lancer aux Etats-Unis l’année prochaine. ” Mais WSL (l’incubateur wallon des sciences de l’ingénieur qui ” abrite ” Cerhum) m’a mis en relation avec les partenaires texans venus chez nous en septembre, dit-il. Je suis allé présenter mon projet, et ils étaient super emballés. Ils m’ont expliqué qu’ils disposaient aussi d’un laboratoire travaillant sur la régénération osseuse, mais pas en impression 3D. ” Représentant plus de 50 % du marché global dans ce secteur, les Etats-Unis sont incontournables. ” On y assiste à une augmentation de l’incidence des cancers et il s’agit du pays où l’on pratique le plus de sports violents “, relève Grégory Nolens. Son objectif pendant cette mission ? Bien cerner les étapes à franchir pour s’implanter au Texas. ” Je suis ici pour comprendre comment les Texans fonctionnent avec des sociétés comme la nôtre, pour entrer en relation avec de potentiels investisseurs, et aussi pour voir ce que peut proposer le cabinet d’avocats Michael Best (qui vient de rejoindre le partenariat mis en place par l’Awex, Ndlr). “

“Se draper de la bannière américaine”

L’entreprise namuroise Vésale Pharma est spécialisée dans la recherche fondamentale et la commercialisation de traitements à base de probiotiques, ces micro-organismes vivants qui, ingérés en quantité suffisante, ont un effet bénéfique sur la santé en améliorant l’équilibre de la flore intestinale. Cela fait un an et demi que ses responsables sont en contact avec l’université Texas A&M. Ils viennent de créer sur place une filiale de recherche au sein de laquelle sera menée, en collaboration avec des chercheurs locaux, une étude visant à valider scientifiquement la technologie Intelicaps développée par l’entreprise. Il s’agit d’une technologie de micro-encapsulation qui préserve les probiotiques de l’acidité gastrique et qui leur permet d’arriver au niveau du colon en bonne santé, vivants, et en beaucoup plus grand nombre. Avec cette filiale de recherche, Vésale Pharma espère acquérir la crédibilité scientifique nécessaire à l’approbation de ses solutions par les autorités américaines, préalable essentiel à leur commercialisation (une filiale commerciale est prévue pour fin 2018).

Pourquoi avoir décidé de se tourner vers les Etats-Unis ? “Le marché des probiotiques y explose car la régulation n’est pas si contraignante qu’en Europe, répond Jehan Lienart, administrateur délégué. Ici, les allégations sur les compléments alimentaires sont interdites.” Pour percer outre-Atlantique, notre interlocuteur insiste sur l’importance d’une approche locale. “Il est important de se draper de la bannière américaine, et de ne surtout pas débarquer de façon arrogante, dit-il. Nous arriverons d’ailleurs en tant que spin-off de l’université Texas A&M.” Pour les aspects juridiques de son installation, l’entreprise wallonne a fait appel au cabinet d’avocats Michael Best, qui a rejoint il y a quelques mois l’écosystème mis en place par l’Awex. “Il nous aide pour la constitution de la société, mais aussi pour l’enregistrement de nos produits, explique Jehan Lienart, qui envisage d’installer à terme un siège d’exploitation à New York.

L’écosystème “Owin”

Ce partenariat entre l’Agence wallonne à l’exportation et l’université Texas A&M remonte à 2005, tandis que la première mission technologique sur place était organisée en 2009. Depuis lors, c’est tout un écosystème qui s’est créé pour les PME et start-up wallonnes désireuses d’investir au Texas. En 2013, voyait le jour le réseau mondial d’innovation ouvert Owin, qui vise à faciliter l’éclosion et le développement de start-up par le biais de partenariats académiques, technologiques et commerciaux. Créé par l’Awex et Texas A&M, il a été rejoint par des partenaires chinois et australiens. Egalement membre d’Owin et situé à quelques pas du campus universitaire, le Research Valley Partnership a mis en place un incubateur virtuel (l’International Gateway) qui offre toute une série de services aux entreprises étrangères souhaitant s’établir aux Etats-Unis. Très concrètement, cette structure peut permettre à une entreprise wallonne d’être enregistrée au Texas et donc de pouvoir, par exemple, concourir pour un marché public sans forcément disposer d’une présence physique sur place.

Dernier partenaire à avoir rejoint le réseau comme membre associé : le cabinet d’avocats américain Michael Best. Ce dernier peut aider les entreprises wallonnes à s’enregistrer au Texas ou à fonder une filiale. Il peut également fournir des conseils juridiques ciblés en fonction des problématiques rencontrées, que ce soit en matière de propriété intellectuelle, d’immigration ou de relation avec la FDA (l’Agence américaine du médicament). ” C’est tout un écosystème qui s’offre aux entreprises désireuses d’investir au Texas, assure Philippe Lachapelle, directeur des partenariats technologiques à l’Awex. En termes d’innovation, d’accès à du capital, etc. Nous travaillons essentiellement avec des start-up et des PME ayant atteint un niveau de maturité chez nous et souhaitant se lancer à l’international. ”

Le Texas, nouvel eldorado pour nos entreprises ?

“De plus gros poissons dans une plus petite mare”

Mais quel est l’intérêt pour une entreprise wallonne d’investir au Texas ? ” Il est faux de penser que toute la biotech se concentre sur les côtes est et ouest, affirme le responsable. Investir au Texas permet à nos entreprises d’être de plus gros poissons dans une plus petite mare. C’est un marché plus facile à aborder, moins coûteux. De plus, notre partenaire est une université qui a pour ambition de former 25.000 ingénieurs d’ici 2025. Une telle masse d’étudiants constitue un avantage non négligeable. ” Le partenariat noué par l’Awex ne s’adresse toutefois pas à toutes les start-up. ” Si l’objectif est de venir avec un produit qui n’a pas besoin de validation, ce n’est pas spécialement intéressant “, explique Philippe Lachapelle. Pour aborder correctement le Texas, il est important de suivre certains conseils. L’international doit normalement être envisagé dès le départ dans le business model de la société. Se déplacer aux Etats-Unis pour constater s’il existe ou non un marché est donc un préalable essentiel. Autre conseil : voir grand. ” Il faut envisager les étapes de développement de manière plus rapide que chez nous, assure le responsable de l’Awex. Tout de suite, il y a moyen de réaliser un scaling-up. Il ne faut absolument pas être sous-financé et il faut disposer d’atouts qui augmentent la valeur financière de l’entreprise comme de la propriété intellectuelle, vue comme un atout stratégique. ” Il est par ailleurs préférable de disposer de personnel américain afin d’éviter les problèmes culturels, et puis d’assurer un suivi constant du business et un service de proximité. ” Les Américains sont pragmatiques, affirme Philippe Lachapelle. Il faut qu’ils comprennent constamment la proposition de valeur de l’entreprise. Il faut donc être très clair là-dessus. “

Texas A&M. Le partenariat entre l'université américaine et l'Agence wallonne à l'exportation remonte à 2005, tandis que la première mission technologique sur place était organisée en 2009.
Texas A&M. Le partenariat entre l’université américaine et l’Agence wallonne à l’exportation remonte à 2005, tandis que la première mission technologique sur place était organisée en 2009.© PG

“Entre 15 et 20 entreprises au Texas pour la fin 2018”

Depuis le lancement des missions technologiques en 2009, une centaine d’entreprises ont été invitées par l’Awex dans le cadre de son partenariat avec Texas A&M. Une petite dizaine, seulement, se sont lancées dans l’aventure et ont ouvert des filiales sur place. ” Mais maintenant que le dispositif s’étoffe, cela pourrait s’accélérer, assure le responsable. Nous espérons atteindre entre 15 et 20 entreprises qui ouvrent des filiales au Texas pour la fin 2018. ”

Ce sera peut-être le cas de Cehrum. C’est en tout cas la volonté de son fondateur, Grégory Nolens, que nous retrouvons de retour en Belgique. ” J’ai pu voir une personne qui s’occupe des relations avec la FDA, j’ai eu des contacts avec des labos de recherche pour réaliser des études pré-cliniques, et j’ai rencontré des chirurgiens maxillo-faciaux, énumère-t-il. Il y a clairement un intérêt pour le produit, on pourrait même aller assez vite. Nous sommes maintenant en attente de savoir si la FDA valide notre produit et nous devrions lancer une étude qualitative avec des étudiants de l’université. Tiens, au juste, je devais avoir une réponse pour aujourd’hui… Mais avec le décalage horaire… “

“Les coûts sont bien moindres à tous les niveaux”

Fondée en 2014, la société liégeoise Dim3 évolue dans la médecine connectée. Elle met au point des plateformes d’aide à la prise de décision médicale et se concentre plus particulièrement sur un domaine spécifique : la gestion de la nutrition dans les unités de soins intensifs. Le programme Nutrow, que Dim3 a mis en place, permet un suivi nutritionnel des patients en temps réel. “Nous voulons montrer que les hôpitaux peuvent ainsi faire des économies en améliorant la santé de leurs patients”, affirme Jean-Claude Havaux, CEO et fondateur. La pépite wallonne vient de créer une filiale sur le campus de l’université Texas A&M, dont le premier objectif est de lancer une étude clinique et économique de Nutrow en collaboration avec des chercheurs de l’hôpital régional St. Joseph de Bryan-College Station. La création de Dim3 US devrait faciliter les interactions de l’entreprise avec la FDA, l’Agence américaine du médicament.

“Les Etats-Unis ont toujours figuré dans notre business model, explique le patron. Le système de santé fait que l’accès de nos produits au marché y est beaucoup plus rapide. Il faut compter un an et demi environ, si nous parvenons à démontrer les avantages de notre solution en termes d’amélioration de la santé et de réduction des coûts pour les hôpitaux.” Jean-Clause Havaux dit avoir été séduit par l’environnement technico-scientifique texan. “Le Texas est par ailleurs l’Etat des Etats-Unis où la distance entre les hôpitaux et les patients est la plus grande, ajoute- t-il. C’est donc un terrain propice à l’utilisation de nos produits home care qui permettent un monitoring de la nutrition à la maison. Enfin, si vous allez à Boston ou San Francisco, qui sont des terres de start-up, vous êtes perdus dans la masse. Au Texas, vous pouvez mieux jouer votre rôle en termes de réseau, et les coûts sont bien moindres à tous les niveaux.” Pour financier son aventure américaine, l’entreprise a levé des fonds chez Dim3 Europe et tente de trouver des investisseurs locaux “car nous voulons que Dim3 US soit une société américaine, avec des Américains à bord”.

“Profiter des outils existants et établir rapidement son réseau”

Spin-off de l’ULg créée en 2013, Revatis est active dans la médecine régénérative vétérinaire. Elle se focalise sur les problèmes de tendinite et d’arthrose chez les chevaux. “Nous exploitons une technologie peu invasive pour obtenir des cellules souches, explique Didier Serteyn, membre de l’équipe scientifique. Celui-ci ajoute que si l’entreprise se focalise sur le domaine vétérinaire, sa technologie fonctionne également en médecine humaine. C’est en 2015 que ses responsables effectuent leur premier voyage au Texas. “La faculté vétérinaire de l’université Texas A&M est l’une des meilleures au monde, relève notre interlocuteur. Nos partenaires nous ont tout de suite proposé de créer une joint-venture entre Revatis, Texas A&M et un investisseur privé.” La start-up a créé sa filiale américaine en 2016, et une première collaboratrice (américaine) a été engagée en février dernier.

Pour le moment, l’entreprise attend l’approbation de l’Agence américaine du médicament. “En Europe, la thérapie cellulaire peut être utilisée sous la responsabilité d’un vétérinaire, explique Didier Serteyn. Mais aux Etats-Unis, la FDA considère que l’utilisation des cellules souches doit être considérée comme un médicament.” Revatis est donc en train de mener une étude clinique sur place, et entre-temps, elle a décidé de sous-traiter la production via la société Incell, de San Antonio. L’idée est bien sûr de produire elle-même à College Station. A ce jour, Revatis Belgique détient 60 % des parts de la société américaine, le reste étant détenu par Texas A&M et des investisseurs privés. “Un deuxième tour d’investissement sera nécessaire, précise notre interlocuteur. Avec des fonds d’investissement internationaux, des investisseurs locaux.”

Pendant la première année, la filiale américaine a été incubée au sein du Research Valley Partnership, qui fait partie de l’écosystème développé par l’Awex. “Nous l’avons quitté cette année pour rejoindre un incubateur privé, explique Didier Serteyn. Il faut pouvoir profiter des outils attractifs qui existent et établir très vite son propre réseau.”

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