Le Pain Quotidien, les coulisses d’un sauvetage

Pain Quotidien à Mumbai En 2017, le groupe comptait 271 restaurants dans 21 pays, dont de nombreux "master-franchisés". © TR-LVA
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

En difficulté sur deux de ses plus gros marchés, l’enseigne vient d’introduire une procédure de réorganisation judiciaire. Son actionnaire de référence soumet au tribunal la création d’une nouvelle structure dont le jeune fonds belge M80 est actionnaire majoritaire. Comment la pépite de la ” slow food ” en est-elle arrivée là ?

Le Pain Quotidien s’apprête à écrire une nouvelle page de son histoire. L’enseigne belge de boulangeries-restaurants est en pleine procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) devant le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles. Celui-ci est en train d’examiner si la reconfiguration du groupe présentée par son actionnaire de référence Cobepa tient la route.

Reconfiguration ? Le terme n’est sans doute pas assez fort. Car c’est vraiment d’un nouveau départ dont il s’agit, à partir d’une toute nouvelle société qui vient d’être créée. Cette dernière sera détenue par un duo : la Cobepa, qui reste à bord et possédera une ” grosse minorité “, et un nouveau venu, le jeune fonds belge M80, qui sera largement majoritaire.

L’ancienne maison mère en difficulté, Pain Quotidien Licensing, est pour sa part vouée à être liquidée, ses actionnaires historiques perdant au passage leur investissement. Détenue à plus de 50% par la famille de Spoelberch, également actionnaire d’AB InBev, la Cobepa a en fait racheté la dette bancaire et prévoit de ne loger dans la nouvelle structure que les actifs sains. Entendez : la marque mondiale, l’atelier de production du pain, les filiales belge et française qui sont gérées ” en propre ” et, enfin, les contrats avec les ” master-franchisés ” à travers le monde. Y compris, désormais, les marchés américain et britannique. Ceux-ci étaient jusqu’ici eux aussi gérés ” en propre ” mais le groupe a également décidé de les confier à des partenaires ” master-franchisés “. Représentant environ deux tiers du chiffre d’affaires des restaurants intégrés, ce sont en effet ces deux pays qui ont fait chavirer le navire.

Le grand défi de l’entrep rise sera de trouver l’équilibre délicat entre la préservation de l’héritage et l’adaptation à un monde de la restauration qui a fortement changé. ” Vincent Herbert, ex-CEO

Un ex-Burger King à la barre

Pour comprendre comment Le Pain Quotidien en est arrivé là, il faut effectivement revenir quelques années en arrière. Nous sommes en 2017. Alors CEO de la chaîne depuis 17 ans, le Belge Vincent Herbert décide de rendre son tablier “pour des raisons personnelles”. “L’aventure s’est arrêtée là en ce qui me concerne, dit-il aujourd’hui. J’ai eu la grande chance, en duo avec le fondateur Alain Coumont, de construire une enseigne belge à l’envergure mondiale et cela a culminé en 2016 avec l’arrivée d’un nouvel actionnaire de référence, la Cobepa, à laquelle Alain et moi-même, ainsi que les autres actionnaires historiques, avons vendu. C’était une très belle vente. Nous étions une enseigne mondiale très profitable avec un avenir positif, une culture d’entreprise et un impact sur les gens.”

Le groupe compte alors 271 restaurants dans 21 pays, emploie 9.000 collaborateurs et enregistre un chiffre d’affaires de 392 millions d’euros. Suite au départ de Vincent Herbert, le conseil d’administration de Pain Quotidien Licensing nomme un ex-manager de Burger King, l’Américain Jerry Gamez, à la tête de l’entreprise. L’homme prend ses fonctions en mars 2018. Il sera remercié un an et demi plus tard, son prédécesseur étant rappelé à la rescousse pour stabiliser le business.

Sous l’ère Gamez, la perte nette s’est en effet creusée et Le Pain Quotidien n’a plus le même visage. ” Les fondamentaux qui avaient rendu le groupe florissant pendant de nombreuses années jusqu’en 2017 n’étaient plus présents, explique Vincent Herbert qui a accepté, fin de l’année dernière, une mission de CEO par intérim d’environ six mois. La culture d’entreprise n’était plus là, la fierté de nos 9.000 employés avait disparu et une grande partie du management avait quitté le bateau. Selon moi, l’une des grandes erreurs de mon successeur est d’avoir trop rapidement laissé partir l’équipe qui était à la base de notre succès. ”

Des coûts qui explosent

D’après certains, toutefois, il serait injuste d’imputer la responsabilité du déclin au seul Jerry Gamez. ” Il est évident que l’entreprise avait déjà des problèmes avant son arrivée, assure une source interne. Le diagnostic qu’avait fait Monsieur Gamez était le bon. Il se fait simplement que le groupe n’est pas parvenu à se restructurer assez rapidement durant son mandat. ”

Comme souvent, c’est la conjonction de plusieurs facteurs qui est à l’origine de la détérioration des résultats. A l’époque, l’entreprise doit d’abord faire face au doublement du salaire minimum aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. ” La base de coûts a explosé, explique notre source. Il faut normalement essayer de compenser cela par un chiffre d’affaires qui augmente, mais cela se révèle très compliqué dans un environnement aussi concurrentiel. ”

S’installant toujours dans des lieux labellisés ” triple A “, la chaîne est par ailleurs confrontée à des niveaux de loyers devenus problématiques au regard de son chiffre d’affaires. ” Si ce dernier avait suivi, nous aurions pu encaisser ces hausses de loyers. Certaines enseignes parviennent à compenser par les ventes en ligne, mais ce n’était pas suffisamment le cas chez nous. ” Le Pain Quotidien avait en effet entamé sa mutation digitale, mais probablement trop tard et pas assez fort.

Norac claque la porte

Fin 2019, alors que Jerry Gamez est remercié et que Vincent Herbert reprend provisoirement les manettes, l’un des gros actionnaires de l’entreprise (25%) après la Cobepa, le groupe alimentaire français Norac, décide de quitter l’aventure. Les actionnaires historiques lui rachètent ses actions au prorata de leur participation. La Cobepa voit ainsi sa participation passer de 32 à 43% et plusieurs entrepreneurs belges (la famille Josi, Emiel Lathouwers, Tony Vandewalle, Bart Van Vooren et Alain Coumont), qui détenaient ensemble 43% du groupe, en possèdent désormais 57%.

Vincent Herbert
Vincent Herbert© TR-LVA

CEO par intérim, Vincent Herbert s’attelle alors à rappeler son équipe de management et à refonder avec Alain Coumont la philosophie du Pain Quotidien aux Etats-Unis, mettant notamment au point un nouveau menu. Cobepa, pendant ce temps, mandate la banque Rothschild afin de trouver un nouveau partenaire capable d’injecter des fonds destinés à poursuivre la restructuration du groupe. Mais cette mission n’aboutit pas. Le déclenchement de la crise du Covid-19 et la fermeture des établissements terminent de rendre extrêmement hasardeuse la poursuite de la recherche d’un partenaire à même de soutenir la maison mère en difficulté, Pain Quotidien Licensing. Qui aurait voulu investir ? Et puis le risque était trop grand d’abîmer les branches saines du groupe (Belgique, France, etc.) et de faire plonger la marque, avec l’impact qu’on imagine sur l’emploi.

La Cobepa décide alors d’explorer la voie de la PRJ. Son conseil d’administration nomme deux médiateurs chargés d’identifier les candidats capables de reprendre les actifs structurellement rentables. Un accord est trouvé pour racheter la dette bancaire, une nouvelle société est créée et des partenaires ” master-franchisés ” sont recherchés pour les marchés américain et britannique. Aux Etats-Unis, c’est Aurify Brands qui reprend la gestion du parc. Sa première annonce ? Une réduction drastique du nombre de restaurants outre-Atlantique.

” Sous notre radar depuis le début ”

Fin mai, on apprend que le fonds belge M80 prend une participation majoritaire aux côtés de Cobepa dans le ” nouveau Pain Quotidien “. ” Etant donné l’historique de notre équipe ( l’un des associés, Pieter Vermeersch, n’est autre qu’un ancien cadre de l’enseigne, Ndlr), cette marque iconique était dans notre collimateur depuis le début, affirme Peter Maenhout, CEO de M80. Avec la crise, tout s’est accéléré. ”

D’après nos informations, le nouvel attelage a l’intention d’investir entre 15 et 20 millions d’euros pour relancer Le Pain Quotidien sur ses marchés intégrés (Belgique et France) après la crise. De nouveaux restaurants ouvriront leurs portes chez nous, les équipes seront renforcées et le management, aujourd’hui éparpillé à New York et dans d’autres grandes villes à travers le monde (Londres, Madrid, etc.), sera centralisé en Belgique.

Le fonds M80, dont l’horizon d’investissement est d’environ sept ans, compte bien également aider le groupe à se digitaliser. ” Mais révolutionner Le Pain Quotidien serait une grave erreur, estime pour sa part Vincent Herbert, dont la mission de CEO par intérim prend fin avec l’ouverture de la PRJ. Le grand défi de l’entreprise sera de trouver l’équilibre délicat entre la préservation de l’héritage et l’adaptation à un monde de la restauration qui a fortement changé. J’espère que le nouvel actionnariat prendra le temps d’analyser ce qu’il s’est passé dans l’entreprise ces dernières années pour faire mieux. ”

Qui se cache derrière M80 ?

Créé en 2018 par des anciens de la Gimv (comme son CEO Peter Maenhout) et le serial entrepreneur José Zurstrassen, le fonds d’investissement belge M80 regroupe une dizaine d’investment managers, tant Belges (francophones et néerlandophones) que Français, et affichant des profils tant financiers qu’opérationnels. Le groupe a déjà investi dans cinq entreprises jusqu’à présent (Strapharm, Spantech, Gandi.net, Theuma, Eurodommages), actives dans les secteurs de la santé, des services aux entreprises et de l’industrie. Le Pain Quotidien est donc son sixième investissement – son premier dans le food retail. Le jeune fonds a pour particularité de permettre à ces sociétés d’accélérer dans le digital, ce qui devrait être le cas du Pain Quotidien avec l’introduction de solutions de click&collect, de grab&go et de livraison à domicile. Tant au Benelux qu’en France, M80 s’intéresse principalement aux sociétés réalisant entre 25 et 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, entre 5 et 30 millions d’euros d’Ebitda, et dont la valeur est comprise entre 25 et 250 millions. Il investit des tickets compris entre 10 et 60 millions d’euros et étudie les transactions dans lesquelles il peut se positionner en tant qu’actionnaire significatif ou investisseur principal, aux côtés des fondateurs ou des actionnaires familiaux et du management.

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