Le “masketing” s’installe
Néologisme en devenir, le “masketing” mixe les notions de masque et de marketing pour souligner le potentiel promotionnel de ce nouvel objet du quotidien. Gros plan sur un accessoire sanitaire qui devient forcément publicitaire.
Ils sont partout. Blancs ou colorés. En tissu, en plastique ou en papier. Désormais indispensables à toute vie sociale, les masques de protection ont fini par conquérir l’espace urbain en quelques semaines alors que personne n’aurait misé un euro sur leur viabilité économique il y a six mois à peine. Aujourd’hui, leur utilité sanitaire s’est même doublée d’une fonction esthétique et on ne compte plus les créateurs de mode qui se sont engouffrés dans le filon textile pour faire du masque médical un accessoire fashion à part entière, des designers pointus aux grandes chaînes d’habillement comme JBC.
Signe imparable que la tendance du “masketing” est déjà bel et bien enclenchée : le géant Disney vient de présenter sa toute première collection de masques.
Toujours sur la balle, les grands clubs de football l’ont également intégré dans la panoplie du parfait supporter, même si les matchs ne seront pas joués de sitôt. Le Sporting d’Anderlecht, le FC Bruges et le Standard proposent ainsi leurs propres masques en tissu sur leur boutique en ligne pour permettre aux fans d’afficher les couleurs de leur équipe fétiche, au stade comme dans la rue. Prévisible, la démarche commerciale se veut toutefois altruiste puisque chaque club affirme qu’une partie des bénéfices est reversée à certains hôpitaux ou à des associations caritatives.
Des masques personnalisés
Idéal pour être protégé tout en affichant son appartenance à un groupe ou à un club, le masque de protection est en train de devenir un outil de communication, à un tel point que le néologisme masketing – contraction des mots masque et marketing – fait aujourd’hui son apparition dans le vocabulaire des publicitaires. Inattendu, son potentiel promotionnel n’échappe d’ailleurs plus aux marketers ni aux entrepreneurs. ” Les demandes sont en train d’exploser, se réjouit Fabio Lavalle, cofondateur de la société Keep Smile qui propose sur son site web des “masques-drapeaux” de différents pays et surtout des protections textiles personnalisables. Nous avons déjà réalisé des masques pour de grandes sociétés comme Delhaize ou Belfius qui les ont donnés à leurs employés avec leur logo discrètement intégré au tissu. Et depuis, les commandes affluent. Car il ne s’agit pas d’un effet de mode mais bien d’une vraie tendance de fond, à l’instar des pays asiatiques où le masque est utilisé au quotidien depuis de nombreuses années déjà. ”
Entrepreneur dans l’âme, Fabio Lavalle est actif depuis une douzaine d’années dans le secteur de l’impression et du gadget publicitaire, mais comme pour de nombreux patrons de PME, ses activités se sont subitement arrêtées avec l’apparition du Covid-19. ” Nous avons dû trouver une alternative pour continuer à gagner notre vie, poursuit le cofondateur de Keep Smile, et comme nous constations que de nombreuses personnes étaient peu motivées à l’idée de porter des masques chirurgicaux en rue, nous avons décidé de transformerle blanc un peu triste en quelque chose de beaucoup plus ludique comme le drapeau d’un pays ou le dragon du Doudou pour les Montois. Nous avons privilégié un produit de qualité fabriqué en Europe et l’idée de proposer des masques personnalisés avec le logo d’une marque ou d’une société est venue dans la foulée. ”
Attention au “covid-washing” !
Contraintes de protéger leurs employés sur le lieu de travail, les entreprises se sont récemment mises à la recherche de masques et, dans cette course à la reprise d’une vie presque normale, l’idée d’un rempart customisé s’est naturellement imposée. Tant pour le personnel que pour les clients en contact avec l’entreprise, offrir un masque qui fait discrètement la promotion d’une marque ou d’une société est aussi une belle opportunité de visibilité.
” Il faut toutefois faire attention à ne pas tomber dans le piège du ‘covid-washing’, réagit Jean-Claude Jouret, professeur de marketing à l’Ichec. Bien sûr, on peut tout à fait comprendre qu’une entreprise fournisse des masques de protection à ses employés ou à ses clients avec un logo discret mais ce serait, par exemple, une très mauvaise idée pour Panzani d’offrir un masque au logo surdimensionné à l’achat de deux paquets de pâtes en supermarché ! Ce gadget promotionnel serait alors considéré comme de la récupération pure et simple, ce qui n’est jamais bon pour une marque. En revanche, le geste est plutôt salué et donc bénéfique lorsqu’une entreprise ou une marque s’engage sur le terrain sanitaire pour compenser, à un moment donné, un certain manque en matériel ou en produit comme l’ont fait L’Oréal ou LVMH en fabriquant du gel hydroalcoolique pour les hôpitaux. ”
Playmobil, en avant les masques !
Répondre à l’urgence médicale en faisant fabriquer des masques de protection sous sa propre marque ou sous un nom phonétiquement proche, voilà ce qu’ont fait justement quelques sociétés dont le core business ne s’inscrit absolument pas dans le secteur médical. Il y a deux semaines à peine, le fabricant de jouets Playmobil s’est ainsi lancé dans la commercialisation de masques en plastique, le matériau de prédilection qu’il utilise pour ses célèbres figurines. Vendus 4,99 euros pièce sur son site web, ces masques au look particulier sont proposés en trois tailles et peuvent donc être portés tant par les adultes que par les enfants, coeur de cible de la marque allemande. Facilement nettoyables, ils affichent le visage du personnage standard de Playmobil et sont commercialisés dans plusieurs pays dont la Belgique.
Complètement inattendue, l’initiative a été rapidement saluée, d’autant plus qu’une partie des bénéfices sera reversée à certaines associations comme Les Restos du Coeur en France ou la Croix-Rouge chez nous. Selon Jacques Taymans, responsable des partenariats entreprises au sein de l’association humanitaire, cette opération menée par Playmobil devrait rapporter 10.000 euros à la Croix-Rouge Belgique : ” Un partenariat mineur, dit-il, mais qui est toujours bienvenu ! ”
“Un acte citoyen”
Originale, la démarche du fabricant de jouets n’est toutefois pas isolée puisque la marque française Michelin s’est, elle aussi, aventurée dans la production de masques pour répondre momentanément à la pénurie de matériel. Comme Playmobil, le spécialiste du pneu a privilégié un masque réutilisable avec des filtres interchangeables et vise une production d’un million d’exemplaires.
En Belgique, c’est la marque de montres Ice-Watch qui a récemment créé la surprise en annonçant, le 24 avril dernier, qu’elle allait commercialiser 5 millions de masques chirurgicaux sous le nouveau label Ice-Health. Une promesse rapidement tenue par son CEO Jean-Pierre Lutgen qui a personnellement livré, la semaine dernière, les premiers exemplaires à l’intercommunale de soins de santé Vivalia à Bastogne, pendant que son frère, le bourgmestre Benoît Lutgen, était parti en chercher lui-même en Pologne (les deux hommes ne s’entendent guère). ” Je pense que nous avons encore augmenté le capital sympathie de notre marque parce que nous avons tenu nos engagements, se félicite le CEO d’Ice-Watch. A un moment où tout le monde cherchait des masques en Belgique, j’ai démontré qu’il était possible de trouver de bons fabricants à un prix raisonnable pour se faire livrer rapidement. ”
Sur les réseaux sociaux, les sarcasmes ont d’ailleurs fusé : ” Ice-Watch est plus efficace que neuf ministres de la Santé ! ” a ainsi ironisé cet internaute. A leur décharge, les ministres belges n’ont pas le vaste réseau commercial que Jean-Pierre Lutgen a tissé depuis 25 ans à Hong Kong où il dispose d’ailleurs de bureaux. Mais encore fallait-il qu’il l’active pour se lancer dans cette opération risquée. ” Comme d’autres entrepreneurs touchés par le coronavirus, mon business s’est arrêté du jour au lendemain, poursuit le Manager de l’Année 2017. J’aurais pu ne rien faire et attendre que ça passe, mais j’ai préféré mobiliser mes équipes pour les motiver et surtout pour poser un acte citoyen. Personnellement, je ne vois pas cela comme une diversification de mon business mais bien comme un geste utile qui vise à participer au redémarrage de l’économie et de la vie sociale en Belgique. Le but, c’est aussi de rassurer les gens en mettant, sur la boîte, le nom Ice-Health qui fait penser à Ice-Watch car nous sommes connus pour notre sérieux. ”
Un “care marketing” en hausse
Malgré la réouverture récente de ses boutiques de montres, Jean-Pierre Lutgen ne compte pas abandonner la production de masques pour l’instant et invite même les grandes entreprises à prévoir des réserves pour les années à venir, avec un service de stockage que son entreprise propose même d’assurer à un prix concurrentiel.
Pour lui comme pour d’autres patrons, la dimension sanitaire ne va en effet pas disparaître dans les prochaines années et ce sont donc de nouveaux réflexes qu’il convient d’adopter. Spécialiste du cadeau d’affaires depuis plus de 20 ans, Benoît Derumier l’a d’ailleurs remarqué au sein de sa société Mister Gadget. ” Avec le Covid-19, on voit que le care marketing ( le marketing des soins, Ndlr) repart à la hausse, note cet entrepreneur hainuyer. Depuis plusieurs années déjà, je propose des produits personnalisables à mes clients comme des mouchoirs en papier, des sparadraps, des lingettes microfibres ou encore des stylos antibactériens, mais là, on voit clairement que le masque de protection s’inscrit dans une tendance de fond qui va être de plus en plus présente dans les catalogues d’objets promotionnels. ”
Pour répondre à cette demande croissante de care marketing déjà perceptible au sein des entreprises, Mister Gadget vient d’ailleurs de lancer une collection spécifique baptisée Miss Care Gadget sur son site internet. ” L’objectif est d’être très réactif pour toute commande de masques personnalisés à des prix raisonnables, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire pour l’entreprise de construction CBD ou le club de football de La Louvière “, conclut Benoît Derumier.
L’empire Disney contre-attaque
Signe imparable que la tendance du masketing est déjà bel et bien enclenchée : le géant Disney vient de présenter sa toute première collection de masques à l’effigie de ses héros de dessins animés et autres personnages de Star Wars dont il détient la licence. ” Nous réalisons que c’est une période difficile pour les familles et que porter un masque peut être intimidant, justifiait Edward Good, senior vice president de Disney Store dans un récent communiqué. Nous pensons que nos masques en tissu qui mettent en avant certains de nos personnages apporteront dès lors du réconfort aux familles qui sont si importantes pour nous. ” Commercialement parlant, évidemment.
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