Le Fonds Prince Albert en panne, le Prins Albert Fonds en pleine forme

PHILIPPE DE BELGIQUE remettait, en mars 2012, les diplômes aux lauréats du Fonds Prince Albert. © Belga

En 30 ans d’existence, le Fonds Prince Albert a envoyé 362 Belges bâtir une carrière à l’international. Ces dernières années, les promotions sont de plus en plus néerlandophones, au point de susciter une réaction des gestionnaires eux-mêmes, interpellés par une telle disproportion. Les candidats francophones sont-ils moins aptes à réussir ce genre de concours ? A question “communautaire”, réponse prudente…

Ce 27 janvier, les dossiers de candidature au Fonds Prince Albert démarreront la procédure de sélection. Il reste donc deux semaines pour postuler et une question taraude déjà Anne-Catherine Chevalier, experte indépendante et coordinatrice du Fonds : combien de candidats francophones y aura-t-il ? Et combien franchiront les étapes devant leur permettre de succéder aux 362 lauréats ayant précédemment décroché une bourse pour lancer leur carrière à l’international ? Si on se fie aux dernières promotions, ils seront largement minoritaires par rapport aux lauréats néerlandophones. La tendance est désormais confirmée. En soi, cela ne remet nullement en question la pérennité ou la légitimité du fonds. Mais une telle disproportion pose question pour une institution qui se veut résolument nationale : les francophones sont-ils moins équipés, moins préparés pour se lancer dans des projets à l’étranger ?

“Derrière cette disproportion (un lauréat francophone sur les deux dernières levées, Ndlr) se cachent certains éléments factuels : les universités flamandes relaient bien mieux l’existence et l’intérêt du fonds que leurs consoeurs francophones. Il y a aussi, dans le sud, la concurrence de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex), constate Anne-Catherine Chevalier. Pourtant, en opérant nous-mêmes un recrutement des meilleurs potentiels et en prenant en charge 12 mois de salaire pour une entreprise basée au-delà de l’Europe, nous offrons une expérience unique sur le marché belge, tant pour les jeunes que les sociétés qui les accueillent.” Malgré ses trois décennies d’existence, la notoriété du Fonds Prince Albert auprès de son public francophone ne suffit donc pas à obtenir une balance plus équilibrée de candidats.

Le Flamand plus sûr de lui ?

II y a d’autres causes. Rapidement, on est tenté de ressortir le cliché du francophone à la traîne en matière de langues. Gênant, puisque la sélection se déroule en anglais de A à Z. Aux dires des principaux concernés, le fossé linguistique tend à se réduire et ne pourrait expliquer à lui seul le classement des candidats. Il faut chercher ailleurs. “Bien plus que l’emploi des langues, je pense qu’on peut pointer des différences de comportement et de positionnement entre les profils des deux communautés, continue Anne-Catherine Chevalier. Les francophones sont en général un peu moins pointus et décidés lorsqu’ils postulent. La préparation est plus sérieuse et minutieuse côté néerlandophone. Je note surtout une différence dans leur capacité à convaincre le jury. On recrute sur un potentiel, et non sur un dossier ou un business plan. Il s’agit donc de convaincre le jury qu’on est la personne qu’il faut, avec les bonnes qualités, la bonne motivation, etc. A ce jeu-là, les jeunes néerlandophones sont souvent plus assertifs, ils parlent d’égal à égal ; ils accèdent plus facilement au tutoiement et dégagent plus vite une impression de confiance et d’assurance en leurs propres capacités. Cette confiance est peut-être renforcée, précisément, par le fait qu’ils connaissent bien le Fonds Prince Albert grâce au networking, au bouche-à-oreille et aux efforts de communication des universités. Toutes ces informations rendent leur préparation mieux profilée.”

Un tel constat est évidemment touchy : on risque de généraliser, voire de stigmatiser. Ce seraient les Flamands qui auraient le beau rôle et les francophones qui seraient à la traîne. Un refrain que l’histoire socio-économique belge ne connaît que trop. Anne-Catherine Chevalier coupe d’emblée : “J’ai évidemment rencontré des personnalités aussi riches les unes que les autres parmi les deux groupes linguistiques. Je parle ici uniquement de la façon de se présenter, de se vendre et de parler de ses capacités à un jury de haut vol”. Lors des entretiens, les candidats francophones auraient tendance à se montrer plus révérencieux par rapport aux gros bonnets du jury, plus réservés, plus dans la retenue aussi… Au risque de sembler plus timorés, voire moins intéressés. “Pour m’intéresser de près à ces questions, je sais que les Wallons sont confrontés au même genre de problème lorsqu’ils sont mis en concurrence avec des candidats français, par exemple sur le marché de l’emploi luxembourgeois.”

S’il est évidemment difficile d’influer sur des paramètres tels que ceux décrits ici, le fonds n’entend pas pour autant rester les bras croisés. Le jury, majoritairement néerlandophone, accueillera sous peu de nouveaux membres du sud du pays, ce qui apportera un peu plus d’équilibre linguistique. “Nous allons aussi renforcer notre communication auprès de nos alumni, qui restent en général attachés à leur expérience. Dès que nous mettons en place ce genre de chose, cela porte ses fruits. Nous l’avons déjà constaté avec certaines business schools“, conclut Anne-Catherine Chevalier.

OLIVIER STANDAERT

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