Le CBD, un produit durable d’avenir

TANGUY DU MONCEAU - "Le chanvre cultivé capte le CO2 à raison de 15 tonnes à l'hectare!" © PG

Prononcez le mot cannabis et directement les sourcils se froncent. C’est pourtant le nom scientifique du chanvre cultivé dont les applications sont multiples: isolation, textile, automobile, etc. Depuis quelque temps, le CBD, l’un des cannabinoïdes non hallucinogènes présents dans la plante, fait fureur dans les secteurs cosmétique, alimentaire et de la vape. Une ferme wallonne vient de devenir le premier producteur belge de ce chanvre CBD.

Le chanvre est l’une des plus anciennes plantes cultivées dans le monde. Il revient sur le devant de la scène à l’heure où, dans le monde entier, la réduction de l’empreinte carbone est devenue un must. Utilisé dans la construction, le chanvre permet en effet de réduire fortement les émissions carbonées. Ainsi, chez nos voisins français, il existe une véritable filière qui alimente les métiers de la construction en laine et en béton de chanvre. Mais aussi le secteur automobile. En effet, les fibres de chanvre sont mises à contribution afin de produire des alliages plus légers et moins polluants. Une solution adéquate utilisées par les plus grands constructeurs (Jaguar, Alfa Romeo, Peugeot, Renault, etc.) pour verdir leurs gammes. Enfin, les tiges du chanvre intéressent depuis longtemps les groupes textiles au sens large. Decathlon, profitant de la filière française, vient de débuter la commercialisation de chaussettes.

Entre 2019 et aujourd’hui, Tanguy du Monceau a connu un véritable parcours du combattant pour faire valider la légalité de sa production.

Indépendamment de ces utilisations classiques, le chanvre connaît un regain d’intérêt invraisemblable dans le monde entier en raison du CBD ou cannabidiol, l’un des 120 cannabinoïdes présents dans la plante. Le plus connu est évidemment le THC, responsable des effets psychotropes bien connus. Le CBD est quant à lui un produit inerte que l’Organisation mondiale de la santé comme l’Agence mondiale antidopage jugent inoffensifs. Sa consommation est en forte hausse chaque année dans le monde et aussi en Belgique (+20%). Des magasins ont d’ailleurs fleuri chez nous ces derniers temps. Ils proposent, entre autres, de l’huile, des produits de vape ou des baumes au CBD. Le cannabidiol aurait, en effet, des vertus antidouleurs utiles pour soulager des patients atteints de fibromyalgie, de rhumatismes ou de sclérose en plaques. Il aurait aussi un effet positif sur le stress, l’anxiété ou les troubles du sommeil. Ces vertus, découvertes relativement récemment, ont dopé la culture du chanvre CBD, notamment aux Etats-Unis où 202.000 hectares ont été plantés en quelques années. Plus près de chez nous, la Suisse a aussi parfaitement encadré la culture et la production de CBD.

Une filière à reconstruire

Et chez nous? IsoHemp fabrique de l’isolant au départ de chanvre en Wallonie mais la société doit s’approvisionner à l’étranger. En effet, toute la filière wallonne est à reconstruire depuis la faillite, en 2019, de Be.Hemp, l’entreprise de première transformation du chanvre qui s’était installée à Marloie. Sans entrer dans les détails, cette faillite a conduit les agriculteurs à arrêter les cultures faute de débouchés.

Ces déboires n’ont pas découragé Tanguy du Monceau. Issu d’une famille d’entrepreneurs bien connue en Belgique, il fut, quasiment à la sortie de ses études en agronomie, l’un des fondateurs de CO2logic. Cette société a connu un succès fou puisqu’elle a aidé des milliers d’entreprises à réduire leur empreinte carbone. A sa sortie de CO2logic, aujourd’hui dans des mains suisses, Tanguy du Monceau a repris le Domaine de Bruant, une ferme dans la famille depuis quatre générations et située à côté du château de Bioul dans le Namurois.

“Outre l’élevage, nous produisons du blé, de l’orge et du colza dans de mauvaises terres qui ne conviennent pas aux légumes. Je me suis demandé comment rendre plus durable cette ferme aux méthodes classiques. J’ai converti une partie au bio, nous sommes passés au sans-labour et nous pratiquons l’agroforesterie ( association d’arbres, de cultures ou d’animaux sur une même parcelle, Ndlr). Mais que cultiver d’autre? Je me suis naturellement tourné vers le chanvre cultivé ou cannabis sativa L. Il pousse à vue d’oeil, couvre vite le sol, ne nécessite ni pesticide, ni herbicide et demande peu d’intervention. Il est parfait pour l’assolement de nos terres et la régénération des sols. J’en ai donc planté entre un et trois hectares chaque année depuis 2019. En outre, le chanvre cultivé capte le CO2 à raison de 15 tonnes à l’hectare! Vu ses qualités, il est donc une ressource idéale dans le cadre des objectifs du Pacte vert européen. D’ailleurs, la Région wallonne propose des aides pour des cultures favorables à l’environnement. Comme celle du chanvre.”

Le CBD, un produit durable d'avenir
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Le parcours du combattant

Entre 2019 et aujourd’hui, Tanguy du Monceau a connu un véritable parcours du combattant pour obtenir des réponses à ses questions et faire valider la légalité de sa production. A savoir: la tige pour le textile, le papier, l’isolation et autres débouchés industriels ; les feuilles, les fleurs, la biomasse à destination des secteurs cosmétique et médical ; les graines pour l’alimentation (chocolat, biscuits et graines grillées) et l’huile de CBD. En plus de ce travail étroit avec les autorités belges, Tanguy et son équipe ont aussi été accompagnés par le Dr Jean-Michel Romnee et son équipe du Centre wallon de recherches agronomiques. Ils ont régulièrement testé la production afin, notamment, que le taux de THC présent ne dépasse pas les 0,2%. Une obligation en Europe.

“Je cultive et vend donc des produits légaux, poursuit Tanguy du Monceau. CANBE, le nom de cette activité spécifique de la ferme, est le premier producteur et cultivateur de CBD bio belge. Je peux donc fournir les différents produits de base à des clients qui, eux, seront tenus de respecter leurs propres cahiers des charges stricts. Par exemple, en cosmétique, le CBD doit venir des feuilles. Deux groupes actifs dans le secteur sont d’ailleurs déjà venus me voir. En Belgique, le CBD est considéré comme un nouvel aliment. Il ne peut donc pas être vendu à cette fin tant que l’Union européenne ne se prononce pas. Par contre, au Royaume-Uni, c’est un aliment comme les autres. Je pourrais donc exporter, ce que j’ai aussi l’autorisation de faire.”

Fédérer et recréer une filière

Compte tenu de l’absence d’une usine de transformation des tiges du chanvre en Wallonie, CANBE ne peut actuellement pas valoriser toute sa production, uniquement la partie CBD. Tanguy du Monceau espère que son expérience et son savoir-faire, qu’il entend partager, créeront des émules et permettront de recréer une vraie filière complète du chanvre en Wallonie et en Belgique.

“Les tiges du chanvre sont lourdes et volumineuses, conclut-il. Ce n’est pas un produit qu’on envoie facilement à des centaines de kilomètres. L’idéal serait donc d’avoir cette usine de transformation qui permette d’alimenter les différentes industries intéressées par les produits dérivés de la tige. Le ministre wallon de l’Agriculture, Willy Borsus, est favorable à cette valorisation mais il faut que ça bouge. C’est le moment d’y aller sinon nous allons nous faire dépasser, une fois de plus, par nos voisins allemands et français qui ont bien structuré leur filière. C’est une belle opportunité de créer un vrai circuit court durable avec un savoir-faire et une ingénierie wallons.”

A terme, Tanguy du Monceau n’exclut pas de créer une gamme de produits wallons avec les agriculteurs qui se joindraient à lui. Histoire de mettre notre terroir en valeur sur les bouteilles d’huile de CBD.

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