Le blues de Broze: “On oublie trop souvent que notre activité est saisonnière”

Les magasins Broze: des sur- faces d'environ 1.000 m2 chacune, pour une offre de plus de 15.000 articles. © photos pg

Les vagues Covid ont rebattu les cartes d’un secteur jeux et jouets deux fois confiné. Et même classé “non essentiel”. Cela fait pourtant 70 ans que le groupe familial liégeois Broze fournit du bonheur aux petits et grands. Mais comme le rappelle son CEO, en 2020, ce n’était vraiment pas du jeu.

Quand Nicolas Broze nous consacre un peu de temps lors d’un gris après-midi de novembre, ses équipes et lui sont aux prises avec la difficile équation imposée par le click and collect. Telle est, comme d’autres, la solution de fortune choisie par sa société pour pallier l’interdiction d’ouverture des magasins “non essentiels” décrétée par le gouvernement. Le patron du groupe aux 27 magasins “fournisseurs de bonheur” est alors en mode grincheux, brûlant d’impatience de voir ses clients revenir physiquement sillonner les rayons de sa chaîne avant la Saint-Nicolas et Noël. Car le yoyo de 2020 sous l’emprise Covid a largement contrarié le Monopoly commercial du CEO en particulier, et celui du secteur des jeux et jouets en général.

Jeux et jouets peuvent être bénéfiques pour la santé mentale des gens. Actuellement, tout le monde en a fameusement besoin.”

Nicolas Broze, CEO du groupe et petit-fils du fondateur.

“On oublie trop souvent que notre activité est saisonnière, peste Nicolas Broze. Notre chiffre d’affaires est tributaire de deux moments forts: Pâques et les fêtes de fin d’année. Au printemps, lockdown oblige, on a dû fermer et s’essayer à la livraison à domicile qui n’a pas compensé les pertes. En mai, les affaires ont bien repris mais sans parvenir à renflouer nos caisses. Puis en octobre, au plus mauvais moment: rebelote, en pire! Pour nous, Saint-Nicolas et Noël constituent quasiment 50% de notre chiffre d’affaires grâce à un assortiment de marchandises que l’on achète, stocke et prépare pendant des mois. Mais que l’on doit absolument écouler en novembre-décembre… Cela nous a rendus dingues de voir un tas de Belges aller massivement dévaliser les magasins de jouets au Luxembourg!”

Le blues de Broze:
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In extremis, beaucoup de commerces ont pu rouvrir le 1er décembre, avec accès strictement dosé (et donc réduit) pour respecter les règles sanitaires. Enfin une bouffée d’oxygène… mais très tardive. Et qui n’effacera pas de sitôt l’amertume ressentie par le CEO de 47 ans, accentuée par le fait que son secteur ludique ait été classé “non essentiel”. “C’est totalement injuste, surtout en cette période importante pour mon groupe et mon personnel tout autant que pour nos clients, s’insurge-t-il. Jeux et jouets peuvent être bénéfiques pour la santé mentale des gens. Cela permet, tant aux adultes qu’aux enfants, d’évacuer, de relativiser, de s’évader, de se détendre. Actuellement, tout le monde en a fameusement besoin. Lego, Playmobil, Trivial Pursuit, Monopoly, jeux du petit chimiste ou simples cubes de couleurs: tous nos produits participent aussi à l’éveil et à l’ouverture d’esprit des personnes. Créer son univers et s’imaginer que sa poupée ou son personnage fait telle ou telle action, c’est excellent pour le bien-être et le moral. Après ça, oser venir nous dire que nous ne sommes pas essentiels!”

Seul à la barre, de père en fils

Il est comme cela, Nicolas Broze: entier et à cheval sur des notions comme le respect. Le même fil rouge relie d’ailleurs ces trois générations de Broze qui ont fait prospérer l’entreprise familiale depuis 1950 autour d’une offre généraliste forte de jeux et jouets. D’abord, il y eut Louis, le fondateur, avec son magasin du quartier du Laveu à Liège, déménagé en 1975 à Rocourt. Et puis son fils Jean-Claude, qui reprit le flambeau en 1978 et donna à l’enseigne son réel essor dans les années 1980. C’est en effet lui qui la transforma en un archipel de magasins modernes, tous modélisés selon une taille de 1.000 m2 et implantés partout en Wallonie et à Bruxelles. L’ensemble deviendra le Groupe Jouets Broze en 2001.

Les fondateurs et la première enseigne, créée dans le quartier du Laveu à Liège, en 1950.
Les fondateurs et la première enseigne, créée dans le quartier du Laveu à Liège, en 1950.© photos pg

Aujourd’hui, Nicolas Broze règne à son tour sur ce royaume belge du jouet, après avoir rejoint l’entreprise familiale il y a 25 ans au terme de ses études d’électronique. Un royaume riche d’une centrale d’achat et de 27 magasins, dont cinq confiés à des franchisés. Au total environ 170 collaborateurs…

27 magasins

Nombre de points de vente Broze en Belgique, dont cinq confiés à des franchisés. Pour un chiffre d’affaires 2019 autour de 40 millions d’euros.

Actionnaire à 100%, Nicolas est seul à la barre de l’enseigne au cheval de bois, comme le furent son père et son grand-père avant lui. “Hé oui, les Broze, c’est jusqu’à présent une dynastie de fils uniques dotés de forts caractères, confirme le CEO. J’incarne, tout seul, la troisième génération. Mais il se peut que je brise la chaîne car j’ai deux enfants. Une fille et un garçon encore ados. J’ignore encore si l’une ou l’autre me succédera. Chez les Broze, comme pour la croissance de l’entreprise ou l’évolution du secteur du jouet, on n’a de toute façon jamais forcé les choses à changer trop vite, tout s’est toujours fait au fur et à mesure, lentement, au gré des besoins structurels ou commerciaux de l’entreprise. Quand mon père m’a réquisitionné, par exemple, c’était au départ seulement pour m’occuper du service informatique. Puis ma responsabilité s’est élargie petit à petit au sein de l’entreprise, jusqu’à en devenir le CEO.”

Le blues de Broze:
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Un patron à casquettes multiples. Nicolas Broze cumule en effet celles de boss, chef du département informatique, gestionnaire administratif des impôts et responsable des produits multimédias vendus par Broze. “J’ai toujours été passionné d’informatique, d’audio, de jeux vidéos”, se justifie le quadragénaire.

Parier sur l’humain

Hyperactif, l’homme reste en tout cas perpétuellement en alerte sur un marché du jouet devenu très concurrentiel, international et de plus en plus online. “Nous, on veut continuer à capitaliser en priorité sur la valeur ajoutée humaine et à privilégier la vente classique en magasin aux clients qui peuvent voir, toucher jeux ou jouets et recevoir en direct un renseignement personnalisé, défend Nicolas Broze. Il n’y a rien de tout cela en digital, terrain sur lequel on ne peut d’ailleurs pas lutter à armes égales face à des Amazon, Bol.com et autres. Ces grosses sociétés internationales exploitent un personnel moins cher, sont moins taxées et appliquent un business model pensé et optimalisé online dès le départ. Une boîte de Lego ou de Playmobil, chez nous en rayon, ou livrée par Amazon, en soi c’est kif-kif. Sauf que chez Broze, bien plus que chez nos concurrents ou autres cadors de la vente en ligne, ce qui tient l’enseigne, ce sont trois axes: un très large choix de 15.000 articles en magasin, des prix compétitifs et un service de qualité en matière de conseils, d’après-vente et de marketing orienté vers les gens. Ce respect, le client le ressent car on forme nos employés dans le sens de l’amour et de la connaissance réelle des produits pour en faire de vrais conseillers.”

Le blues de Broze:
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Apparemment, les Belges à la fibre ludique restent sensibles à ce savoir-vendre et conseiller puisque selon les statistiques de ventes d’articles jouets et multimédias passés en caisse l’an dernier, Broze capterait 10% du marché en Wallonie et 5% sur la Belgique. Quant à son chiffre d’affaires 2019, il tournait autour de 40 millions d’euros. Avec quel profil de clientèle? “Nos clients appartiennent autant aux milieux populaires que bourgeois mais que c’est en majorité des femmes qui sont préposées aux achats de jeux et jouets, remarque Nicolas Broze. Certains dépensent aussi des sommes dingues pour leurs enfants. Il y a parfois un côté compulsif, qui peut faire grimper leur note jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois.”

Un univers sans cesse renouvelé

En 70 ans, Broze en aura en tout cas vu passer des jeux et jouets, s’approvisionnant lui-même auprès de 300 fournisseurs du monde entier. Un univers d’ailleurs nettement moins en mutation que les modes qui le traversent régulièrement ne pourraient le laisser penser. “On doit plutôt parler d’univers en perpétuelle répétition qu’en perpétuelle évolution, explique sans ambages le patron. La vraie nouveauté est très rare. Souvent, les marques relancent ou remettent au goût du jour des concepts existants et éprouvés.”

Nicolas Broze
Nicolas Broze© pg

Au terme de cette année 2020 bousculée par les confinements, il est par ailleurs particulièrement difficile de vérifier la pertinence de certains marqueurs. “On a vendu énormément d’articles d’été (piscines, toboggans, jouets et accessoires d’extérieur, etc.) mais c’était parce que les gens sont restés en Belgique et qu’il fallait occuper les enfants à domicile. Sinon, le jeu de société dans son ensemble, a continué à performer en contrepoint à tout ce qui est digital.” Contributeurs lourds du chiffre d’affaires de Broze, les jeux de société restent en effet un must. Et parmi eux, le Monopoly, toujours chouchou. “Du côté des jouets d’assemblages, Lego et Playmobil, aux thématiques persistantes, marchent toujours, note le CEO. Désormais leader mondial de la fabrication de jouets, Lego a supplanté les Mattel ou Hasbro et exploite pleinement sa chance de pouvoir surfer sur la licence Star Wars ou ses collections telles que City.”

Au rang des “nouveaux” phénomènes, notre expert Broze épingle toutefois “les poupées L.O.L. chez les filles et l’univers Paw Patrol chez les garçons. Depuis deux ans, on observe aussi l’étonnant retour en force des Pokemon”. Un éternel recommencement, disions-nous…

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