La Wallonie sous pavillon chinois… Faut-il s’inquiéter?

CHLOE. Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l'Economie, Shen Wei, président de Thunder Power Holdings, et Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, lors de la présentation du prototype du véhicule électrique qui sera produit à Gosselies. © belga image

Nouvelles connexions et installation d’Alibaba à Liege Airport, voitures électriques à Gosselies, partenariats technologiques à Louvain-la-Neuve… Les Chinois multiplient les investissements en Wallonie ces derniers mois. Faut-il s’en inquiéter ?

En ce mois d’octobre ensoleillé, nous avons vu le prototype de la voiture électrique que le groupe chinois Thunder Power produira sur l’ancien site de Caterpillar à Gosselies ; nous avons appris l’arrivée d’Uni-top Airlines à l’aéroport de Liège avec trois vols cargo hebdomadaires de et vers Wuhan, ainsi que l’ouverture de la première ligne de fret ferroviaire Liège-Zhengzhou (nouvelle route de la soie) ; nous avons accompagné une délégation de la province de Hubei sur le chantier du China-Belgium Technology Center de Louvain-la-Neuve, vaste complexe entrepreneurial qui s’étend sur 8,5 hectares, cofinancé par la Chine. Et bien entendu, nous attendons la confirmation officielle pour la fin de l’année de l’arrivée à Liège du géant chinois de l’e-commerce, Alibaba.

L’an dernier, la Chine était le cinquième investisseur extérieur sur le sol wallon, avec 43 millions d’euros. En 2018, elle devrait arriver en tête.

Une telle accumulation d’investissements ne manque pas d’interpeller : les Chinois seraient-ils en train de racheter la Wallonie ? L’an dernier, la Chine était le cinquième investisseur extérieur sur le sol wallon, avec 43 millions d’euros. En 2018, elle devrait arriver en tête, avec près d’un demi-milliard d’euros investis en intégrant Alibaba et Thunder Power. On partait pourtant de pas grand-chose puisque, sur la période 2000-217, la Chine n’apparaît même pas dans Top 15 des investisseurs en Wallonie…

La Belgique choisie pour sa… stabilité

Cette évolution résulte bien entendu d’un contexte économique global, qui voit la Chine chercher à se rapprocher du marché européen et pour lequel la Belgique apparaît centrale, tant sur le plan géographique qu’institutionnel. ” Cela peut prêter à sourire chez nous, mais les investisseurs chinois apprécient la stabilité de notre pays, analyse Renaud Witmeur, président du comité de direction de la Sogepa (bras financier du gouvernement wallon), désormais actionnaire de Thunder Power. La Belgique n’est pas perçue comme un pays avec de fortes alternances politiques et, dans le cas qui nous concerne, le climat social serein qui a entouré un choc de l’ampleur du départ de Caterpillar a été salué positivement. ” Il y aussi l’effet d’entraînement : depuis qu’Alibaba a placé Liege Airport dans son viseur, les demandes d’information ont afflué à l’Awex. ” Nous ne pouvions rêver meilleure publicité, sourit Isabelle Pollet, directrice Asie-Pacifique à l’agence wallonne. Cette annonce a placé la Wallonie sur la carte pour de nombreuses entreprises chinoises. ”

A ce contexte, il faut ajouter une stratégie de longue haleine des autorités wallonnes pour nouer de franches relations avec les instances chinoises. Tous les interlocuteurs vous le disent : si la confiance est la base du commerce en général, c’est encore plus vrai avec la Chine. ” Quand on discute avec des patrons chinois, le relationnel pèse encore plus qu’ailleurs, poursuit Renaud Witmeur. Il faut prendre le temps de parler de sa famille, de ses voyages, etc. On doit en quelque sorte être adopté avant de pouvoir faire du business. ” Le China-Belgium Technology Center (CBTC) n’aurait sans doute jamais vu le jour sans un jumelage entre la Wallonie et la province de Hubei. Oui, un jumelage, un de ces documents protocolaires que les mandataires politiques adorent signer. La Wallonie et la province chinoise de Hubei ont paraphé leur jumelage en 2012 et voilà déjà que les immeubles du CBTC s’érigent sur ce site de 8,5 hectares.

CBTC. C'était en juin 2016. La création du China-Belgium Technology Center sur la site de Louvain-la-Neuve était officiellement annoncée.
CBTC. C’était en juin 2016. La création du China-Belgium Technology Center sur la site de Louvain-la-Neuve était officiellement annoncée.© Belga image

Le premier parc scientifique chinois en Europe

La province de Hubei n’avait pas été choisie par hasard. La Wallonie doutait de sa capacité à faire son trou sur une côte Pacifique où toute la planète se bousculait de Shanghai à Pékin. On s’est alors souvenu qu’au 19e siècle, des ingénieurs de Cockerill étaient venus travailler plus à l’intérieur des terres, sur la ligne de chemin de fer entre Pékin et Hankou, la ville qui allait devenir Wuhan, la capitale de la province d’Hubei. Et apparemment, l’épisode a laissé quelques bons souvenirs dans la région. L’importance du relationnel, on vous le disait.

Cette province dispose d’un fonds d’investissement (United Investment), qui a décidé d’injecter 90 millions d’euros dans la construction du CBTC. ” C’est le premier parc scientifique réalisé par la Chine en Europe, affirme Lixia Ling, responsable du développement du CBTC. Il doit permettre d’accompagner les entreprises chinoises qui souhaitent faire leurs premiers pas sur le marché européen, ainsi que des Belges qui ambitionnent d’exporter vers la Chine. ” Les immeubles commencent à sortir de terre et l’arrivée des premiers occupants est annoncée pour 2020. A terme, le site devrait employer 1.600 personnes, dont 10 à 15 % de Chinois.

A ce jour, une vingtaine de sociétés chinoises ont signé une lettre d’intention pour rejoindre le site. Elles sont actives dans les trois secteurs ciblés par le CBTC : les sciences du vivant, l’ICT et le smart manufacturing. Dans les deux derniers, la Chine a clairement le lead. Mais pour la santé, les écosystèmes belges et wallons ont sans doute une longueur d’avance. Ce n’est pas un hasard si deux entreprises de ce secteur viennent de signer des accords de collaboration. Handary, spécialiste des conservateurs végétaux basé à Uccle et Fleurus, recevra ainsi un soutien chinois pour ses recherches en vue de l’utilisation de ses produits en oncologie. ” C’est pour nous une belle opportunité de créer un lien avec la Chine et son gigantesque marché, confie Cyril Savarese, directeur des ventes d’Handary. Nous sommes déjà présents aux Etats-Unis, où nous avons gagné plusieurs prix à l’innovation. Avec le CBTC, nous ouvrons d’autres possibilités de développement. ”

L’incubateur WBC a conclu, lui, un partenariat avec son homologue chinois Biohub. Ensemble, ils vont accompagner le développement européen d’entreprises chinoises actives dans les biotechnologies et les équipements médicaux (et vice-versa). ” Le marché chinois est en attente de produits innovants dans le domaine de la santé, explique Joanna Hu, en charge de la stratégie chez Biohub. Pour y arriver, nous avons besoin des ressources technologiques européennes et de partenaires de confiance. Notre objectif est de parvenir à développer, mais aussi à produire ici en Belgique. Les gouvernements ont signé des accords pour établir un cadre de collaboration, maintenant, c’est au tour des entreprises d’agir. A nous de concrétiser et de faire the real thing. ”

Le Petit Poucet sera-t-il mangé tout cru ?

Quand on regarde la taille respective de la Chine et de la Belgique, ou plus encore de la Wallonie, on peut légitimement se demander si le Petit Poucet ne va pas se faire manger tout cru dans l’aventure. Interrogé par La Libre, Jonathan Holslag, professeur de politique internationale à la VUB, estime ainsi que les autorités belges se comportent de plus en plus comme des dirigeants de pays en développement qui ” mendient la venue d’investisseurs étrangers “. Or, ceux-ci rapatrient les profits plus qu’ils ne les réinjectent dans l’économie locale. Au lieu d’initier un cercle vertueux d’entrepreneuriat, cela rend au final le tissu économique ” plus dépendant et plus vulnérable “. Ce serait particulièrement vrai à l’égard de la Chine, pays qui, selon Jonathan Holslag, dispose d’une ” stratégie économique claire ” et où les grands groupes restent toujours plus ou moins liés au pouvoir politique.

A ce jour, une vingtaine de sociétés chinoises ont signé une lettre d’intention pour rejoindre le site de Louvain-la-Neuve.

” Oui, il faut toujours être vigilant et veiller à ne pas devenir trop dépendant d’un seul pays, concède le ministre wallon de l’Economie Pierre-Yves Jeholet (MR). Mais je pense qu’il faut d’abord se réjouir de voir de tels investissements chez nous, dans des secteurs à haute valeur ajoutée technologique. Cela nous aide à tourner une nouvelle page de l’histoire industrielle de la Wallonie. ” Car si on parle de R&D au parc de Louvain-la-Neuve, on parle bien d’industrie ailleurs : le chinois Thunder Power va produire de petites voitures électriques urbaines dans les anciens bâtiments de Caterpillar à Gosselies. Le site devrait employer 400 personnes au démarrage mais ambitionne de multiplier rapidement ce chiffre par 10. Et oui, en Chine, on ne voit pas les choses en miniature… Wellen Sham, CEO de Thunder Power Holdings, est convaincu du potentiel innovant de ses voitures électriques, à l’autonomie beaucoup plus grande que leurs concurrentes. Les consommateurs européens suivront-ils ? ” Le projet est ambitieux et effectivement risqué, convient Renaud Witmeur, qui avec la Sogepa a injecté 50 millions d’euros dans l’aventure. L’engouement autour de Thunder Power montre à quel point, nous avons besoin d’industries en Wallonie. L’industrie, ce n’est pas le passé, c’est de l’innovation, de la recherche, de la structuration de fournisseurs et sous-traitants. On crée une vraie chaîne économique. ”

A la recherche de co-investisseurs

L’une des particularités du capitalisme chinois est de ne jamais avancer seul. A l’image de Thunder Power qui a fait monter la Sogepa dans son capital (elle enverra d’ailleurs un représentant au CA), les entreprises recherchent des partenaires pour s’implanter en Europe. ” Nos cultures sont tellement différentes, que les Chinois ressentent le besoin de s’appuyer sur des locaux pour bien comprendre, analyse Michel Kempeneers, COO Overseas de l’Awex et grand spécialiste de la Chine. Des groupes américains vous envoient leurs équipes de managers. Les Chinois restent en retrait. Ils écoutent, ils conseillent parfois, mais ils n’ont pas envoyé de Chinois à la tête de Volvo par exemple. ”

” Ils respectent beaucoup notre culture, renchérit Luc Partoune, le directeur de Liege Airport d’où partent vers la Chine 40 avions par semaine. Ils regardent comme ça fonctionne et s’enrichissent des expériences acquises. C’est vraiment un partenariat sur le long terme, ils ne viennent pas du tout pour dépecer l’Europe, comme certains semblent le craindre. ” Il confie recevoir régulièrement des demandes d’investisseurs chinois à la recherche d’entreprises, y compris des petites sociétés familiales, avec lesquelles ils pourraient co-investir chez nous.

Le piratage des innovations, un risque du passé

Ce souhait de partenariat limite les risques de délocalisation. Mais pas celui de la copie et du transfert de technologie. ” Le risque existe mais ni plus ni moins que dans tout échange international, la malhonnêteté est hélas universelle, estime Serge Pampfer, le patron du WBC, incubateur désormais partenaire du chinois Biohub. L’Asie a peut-être accéléré son développement industriel en misant sur la copie. Mais aujourd’hui, la Chine possède une réelle capacité d’innovation, en particulier dans l’ICT, et elle a donc aussi besoin de protéger ses brevets en s’alignant sur les standards mondiaux en ce domaine. Cela fait partie de la construction de la confiance mutuelle. ” ” Beaucoup d’entreprises belges exportent depuis des années en Chine et elles ne se font pas copier, ajoute Justine Colognesi, qui prendra prochainement ses fonctions au bureau de l’Awex à Pékin. De toute façon, il vaut mieux avoir des partenaires chinois, et ce sera le cas au CBTC, que des concurrents chinois. ”

Il ne faut pas se leurrer, non plus, quant à la détention par des Européens de technologies qui ne seraient pas encore bien maîtrisées en Chine. Cela existe dans la pharma mais dans la logistique ou la robotisation, la longueur d’avance est très certainement dans l’autre sens. ” Les Chinois nous montrent une manière totalement différente de faire du commerce, précise Michel Kempeneers. Dans les villes chinoises, 85 % des achats se font par smartphone, avec des livraisons ultra-rapides. Ils ont une culture de l’immédiateté qu’on ne connaît pas encore dans le business chez nous. ” ” Qu’on arrête de parler de copie, conclut Luc Partoune. Je vois devant moi des gens qui ont de vraies stratégies de développement et qui investissent beaucoup dans la R&D. Nous avions délaissé le rail et ce sont des Chinois qui y reviennent chez nous ( alors qu’il y a 150 ans, ce sont des Belges qui installaient les voies ferrées en Chine, Ndlr). Il n’y a pas de péril jaune mais une chance unique de relever notre économie. Qui sommes-nous d’ailleurs pour parler de péril ? Nous n’avons pas de leçon à donner, quand on voit le nombre d’entreprises européennes qui ont été polluer la Chine et d’autres pays asiatiques pour y produire à moindre coût. ”

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