La thérapie cellulaire, le remède de choc de l’économie wallonne

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Bone Therapeutics, Celyad, Promethera, Novadip… Les start-up de thérapie cellulaire foisonnent en Wallonie. Et elles entraînent dans leur sillage un joli panel de sociétés de support. Cet écosystème atteint désormais une masse critique suffisante pour attirer des boîtes étrangères.

La belle histoire wallonne commence en Flandre. TiGenix, créée en 2000 à Louvain, fut en effet la première société à avoir mis un projet de thérapie cellulaire (traitement des cartilages) sur le marché européen. ” TiGenix a ouvert la voie “, reconnaît Sylvie Ponchaut, directrice générale de Biowin, le pôle de compétitivité dédié au domaine de la santé. Depuis lors, Bone Therapeutics, Celyad, Promethera et plus récemment Novadip se sont engagées sur la voie délicate, mais à très fort potentiel, de la thérapie cellulaire. Elles ont levé ensemble quelque 400 millions d’euros pour financer leurs recherches et emploient près de 250 personnes. A ce jour, aucune n’a toutefois atteint le stade de la commercialisation de ses produits.

” Dans un domaine qui présente de tels facteurs d’incertitude, rassembler sur une région autant de sociétés aussi avancées et avec des techniques aussi mûres, c’est vraiment remarquable “, estime Philippe Degive, investment manager à la SRIW (le bras financier de la Région wallonne), qui est présente dans ces quatre sociétés. Et pourtant, selon Sylvie Ponchaut, ce soudain focus sur la thérapie cellulaire résulte d’une ” conjonction de hasards “. ” Je pense sincèrement que c’est lié à des courants de recherche dans les universités, à ce qui se trouvait dans les cartons des chercheurs, dit-elle. D’autres régions européennes ont brillé davantage dans les medtechs ou la robotique. ”

Ce qui ne relève pas du hasard, en revanche, c’est le terreau qui a permis à ces recherches de se développer et de viser une valorisation économique : Plan Marshall, dispositifs de financement public dès l’amont de la recherche, promotion de l’entrepreneuriat, cliniciens réputés (la Belgique serait le leader européen en matière d’essais cliniques), professionnalisation du transfert de technologies entre les universités et les spin-off, présence de grands acteurs pharmaceutiques internationaux (GSK, UCB…), etc.

Des concurrents qui coopèrent

Avec des projets d’envergure mondiale, nous aurons de toute façon de la concurrence. Autant qu’elle soit ici plutôt qu’aux Etats-Unis. ” Thomas Liénard, CEO de Bone Therapeutics

Ce terreau se complète depuis 2011 de l’aménagement de MaSTherCell, à Gosselies. Cette firme offre de la sous-traitance aux spin-off de thérapie cellulaire, en produisant les cellules pour leur compte et selon leurs procédés. Les jeunes entreprises wallonnes du secteur disposaient toutefois déjà de leurs propres labos quand MaSTherCell est entrée en lice et ne recourent donc pas à ses services. Mais heureusement, des sociétés étrangères viennent produire leurs cellules à Gosselies, ce qui finalement renforce l’écosystème et la réputation de la Wallonie dans ce domaine. MaSTherCell a été rachetée par la biotech israélienne Orgenesis. Celle-ci espère, grâce aux installations de Gosselies, pouvoir accélérer les essais cliniques de ses produits de thérapie cellulaire contre le diabète.

Ajoutons à cela les salles blanches du laboratoire de thérapie cellulaire du CHU de Liège, utilisées par les entreprises débutantes pour mettre au point les procédés de culture ou la récente plateforme de thérapie cellulaire de Gosselies (utilisée pour l’heure par la seule Bone Therapeutics). ” Mutualiser les équipements est théoriquement séduisant mais, dans la pratique, c’est très compliqué, constate Sylvie Ponchaut. Un même technicien ne peut travailler pour deux boîtes, il y a des règles de propriété intellectuelle très strictes. ” A ces outils collectifs, elle préfère de loin la piste du réseau, du partage d’expériences à travers Biowin ou d’autres structures. ” Un cercle vertueux se crée, confirme Philippe Degive. Les entreprises n’hésitent pas à faire appel aux mêmes consultants pour le recrutement, les affaires réglementaires ou la fiscalité. ” ” Nous sommes sur des projets d’envergure mondiale, nous aurons donc de toute façon de la concurrence, résume Thomas Lienard, CEO de Bone Therapeutics. Autant qu’elle soit ici qu’en France ou aux Etats-Unis. Etre ici les uns à côté des autres, c’est quand même mieux que de travailler tout seul au milieu du désert. ”

Des start-up européennes choisissent la Wallonie

Tout un savoir-faire se développe ainsi autour des jeunes entreprises de la thérapie cellulaire, de l’expertise juridique (réglementation, propriété intellectuelle) à la production des molécules et du matériel technique nécessaire, en passant par la logistique très spécifique pour le transport de cellules vivantes. ” La Wallonie excelle vraiment dans le biomanufacturing des molécules du vivant, assure Sylvie Ponchaut. De 45 à 50 % des membres de Biowin sont des sociétés de support. Et dans le support, on a aussi besoin d’innovation. Nous avons la chance d’avoir ici des chaînes complètes.” Ces innovations dans le support sont d’autant plus précieuses que les thérapies cellulaires coûtent très cher, trop cher peut-être pour les assurances publiques ou privées. Tout ce qui peut contribuer à réduire les coûts est donc le bienvenu.

Cet écosystème performant commence à attirer des regards extérieurs. La firme Pluriomics, spin-off de l’Université de Leiden (Pays-Bas), a ainsi choisi de s’implanter à Gosselies pour développer la production de cellules et de kit de diagnostic destinés à tester la cardio-toxicité de nouveaux médicaments. A terme, ce procédé pourrait remplacer ou à tout le moins réduire l’expérimentation animale.

En décembre, PDC Line pharma, une spin-off de l’Etablissement français du sang, basée à Grenoble, a annoncé son installation à Angleur ” au sein d’un cluster leader au plan international dans l’immuno-oncologie et la thérapie cellulaire “. PDC Line Pharma développe un traitement du cancer au départ de cellules dentritiques (cellules du système immunitaire). Elle vient de lever 4 millions pour financer les essais cliniques. A cette occasion, Meusinvest et Investsud sont entrés dans le capital de la société.

Attention aux délocalisations

Il serait utile de créer des incitants fiscaux pour ceux qui investissent dans ces sociétés innovantes et préparent l’avenir du tissu industriel.” Jean-François Pollet, CEO de Novadip

Tout cela, c’est bien beau. Mais ces projets prometteurs ne risquent-ils pas de s’exiler aux Etats-Unis ou en Asie afin de se rapprocher des sources de financement les plus imposantes ? En partie oui, car les difficultés de transport de produits cellulaires inciteront les firmes à disposer d’antennes sur chaque continent. On ne devrait donc pas produire à Gosselies ou Mont-Saint-Guibert pour l’ensemble de la planète. Mais, à l’inverse, l’écosystème wallon peut se révéler très attractif pour l’implantation européenne de groupes américains.

” La pharma et le biomédical sont globalement peu délocalisables, analyse Philippe Degive. La commercialisation des produits est liée à des agréments, eux-mêmes liés à des procédés et des sites de production. Une fois qu’on a commencé, changer de site représente donc un risque. ” En outre, ce secteur exige d’énormes investissements en recherche pour, ensuite, jouir d’une marge confortable… pendant la durée du brevet. ” Personne n’a donc envie de perdre un an ou deux en déménageant, poursuit l’investment manager de la SRIW. Ce que l’on peut gagner en optimisant le processus devient marginal. ”

N’oublions pas la recherche fondamentale

En soutenant la recherche à travers le Plan Marshall et les allégements fiscaux sur l’emploi des chercheurs, les pouvoirs publics ont bien soutenu l’émergence de ce nouveau secteur. Pourraient-ils aller plus loin encore ? ” Le nerf de la guerre, ça reste l’argent, répond Jean-François Pollet, le CEO de Novadip. Il serait utile de créer des incitants fiscaux, de type tax shelter par exemple, pour ceux qui investissent dans ces sociétés innovantes et préparent l’avenir du tissu industriel. ” Son confrère Thomas Liénard, de Bone Therapeutics, insiste, lui, sur la formation. ” Notre entreprise grandit mais il n’est pas toujours aisé de trouver les profils dont nous avons besoin, dit-il. Former des talents pour contribuer au développement de la thérapie cellulaire, c’est un bon rôle pour les autorités. Des choses existent mais il y a moyen de les améliorer. ”

Tous deux insistent aussi sur l’importance du suivi réglementaire dans un domaine neuf, délicat sur le plan éthique (on travaille avec du matériel corporel humain). ” La technologie évolue constamment, le cadre doit suivre, explique Thomas Liénard. Il ne faudrait pas que les règles finissent par nous empêcher de grandir. Heureusement, le monde politique en est bien conscient. ” ” La Belgique n’est pas à la traîne mais il faut rester proactif, renchérit Jean-François Pollet. C’est une compétition, les sociétés s’installeront là où c’est le plus simple. ”

Avancer, c’est très bien. Mais n’oublions pas comme les premiers pas ont été posés. Tout provient de recherches universitaires, bien en amont de tout souci de valorisation économique. ” Pour que le mouvement continue, que de l’emploi se crée, il est indispensable que la recherche fondamentale soit suffisamment financée, insiste en conclusion Sylvie Ponchaut. Nous avons des chercheurs de renommée internationale qui travaillent sur les cellules souches et n’ont pas encore créé de start-up, je songe notamment à Cédric Blanpain et Pierre Vanderhaeghen à l’ULB. Qu’on se rassure, il y a encore des boîtes en gestation dans nos universités. ”

Bone Therapeutics

Innovation médicale : Bone Therapeutics développe actuellement deux produits à partir de cellules souches de la moelle osseuse. Ils visent à traiter les maladies osseuses (ostéoporose ou ostéonécrose), ainsi que des fractures sévères. Les produits de Bone Therapeutics s’administrent de manière mini-invasive, c’est-à-dire sans chirurgie ouverte, ce qui réduit les risques de complication et les durées d’hospitalisation.

Parcours : Bone Therapeutics a été lancée en 2006, comme spin-off de l’ULB. La société est installée à Gosselies, où elle emploie 110 personnes. Elle est cotée en Bourse depuis 2015. Depuis sa création, Bone Therapeutics a levé 85 millions d’euros.

Le produit autologue (à partir de cellules du patient) de Bone Therapeutics est en phase III des essais cliniques (la dernière avant la commercialisation) pour le traitement de l’ostéonécrose. La firme porte beaucoup d’espoir sur son produit allogénique (à partir de cellules d’un donneur sain), en phase II des essais cliniques pour deux pathologies. Bone Therapeutics espère pouvoir mettre ses premiers produits sur le marché d’ici 2021.

Ceylan

Innovation médicale : Celyad a développé un traitement de maladies cardiovasculaires à partir de cellules souches. Cette piste innovante a toutefois connu un brutal coup de frein l’an dernier quand l’Agence européenne du médicament n’a pas jugé les résultats de ce traitement (C-Cure) suffisamment significatifs. Les essais cliniques se poursuivront sur une population plus ciblée, correspondant aux patients pour lesquels le C-Cure fut positif. Des essais se dérouleront par ailleurs aux Etats-Unis.

Celyad possède toutefois une autre corde à son arc : le traitement du cancer, toujours avec des thérapies cellulaires. Le procédé consiste à modifier des lymphocytes afin qu’ils détruisent les cellules cancéreuses et adaptent la réponse immunitaire afin de prévenir les récidives. Ces traitements évitent les toxicités liées à la chimiothérapie. Le recrutement du premier patient belge (il souffre d’un cancer du côlon) a été annoncé en ce mois de janvier.

Parcours : attention, ceci n’est pas un spin-off. Cardio 3 Biosciences s’est créée en 2007 pour développer, sous licence et depuis Mont-Saint-Guibert, le fruit d’une recherche de la Mayo Clinic (Minnesota). Le projet a rapidement grandi et la firme est entrée en Bourse en 2013.

En 2015, l’entreprise a racheté OnCyte, une firme américaine qui travaillait sur des thérapies cellulaires contre le cancer. Cela a étendu le champ d’action, ce qui a incité à opter pour un nouveau nom Celyad, pour ne plus faire le focus sur la cardiologie.

Depuis 2007, Celyad a levé 213 millions d’euros. La firme emploie 95 personnes.

Novadip

Innovation médicale : Novadip produit des tissus régénérateurs des os à partir de cellules souches prélevées dans la graisse du patient. Après une mise en culture, on obtient un greffon en 3D, qui possède déjà les propriétés de l’os mais reste encore malléable, ce qui facilite bien entendu son implantation. Ce produit révolutionnaire est particulièrement intéressant en neurochirurgie de la colonne vertébrale, ainsi qu’en chirurgie crâniale et maxillo-faciale. Une quinzaine de patients atteints de pathologies graves ont déjà pu bénéficier du traitement, grâce au régime d’exception hospitalière.

Novadip travaille également sur un pansement biologique pour les affections de la peau (notamment pour soigner les grands brûlés), toujours à partir de cellules adipeuses.

Parcours : Novadip Biosciences a été créée en 2013, pour développer les recherches du professeur Denis Dufrane (UCL), cofondateur et directeur scientifique de l’entreprise. Elle a levé 35 millions d’euros en peu de temps, attirant le fonds américain New Science Ventures. Novadip a quitté l’an dernier les incubateurs de l’UCL pour s’installer à Mont-Saint-Guibert. La firme emploie 20 personnes.

Le tissu régénérateur osseux a reçu les autorisations nécessaires pour passer maintenant aux essais cliniques d’envergure. Le projet relatif aux lésions de la peau est moins avancé mais les résultats sont très probants, avec une reconstruction efficace et rapide. “Les cellules vont s’implanter au fond de la plaie et parviennent à stimuler les vaisseaux sanguins, nous explique le CEO Jean-François Pollet. On recrée une oasis dans le désert.” Ce produit devrait pouvoir passer aux essais cliniques en 2018. Pour financer ses développements, Novadip devrait alors procéder à une nouvelle levée de fonds.

Promethera

Innovation médicale : Promethera Biosciences développe des produits de thérapie cellulaire, destinés au traitement de graves maladies du foie de l’enfant et de l’adulte. “Amener des cellules vivantes pour soigner des maladies du foie, c’est une première au niveau mondial”, assure le CEO John Tchelingerian.

Parcours : Promethera Biosciences est une spin-off de l’UCL, créée en 2009 par le professeur Etienne Sokal, hépathologue (spécialiste du foie). Celui-ci est toujours présent dans le management de la société en tant que responsable de l’innovation et de la recherche. Promethera est installé à Mont-Saint-Guibert et emploie 32 personnes.

Promethera a levé 67 millions d’euros sur trois opérations de financement. En 2016, la société a acheté les activités de son concurrent allemand Cytonet, pour devenir le numéro un mondial dans la thérapie cellulaire ciblée sur les maladies du foie.

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