La stratégie du Club Med pour sortir du rouge

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En dépit d’une perte nette enregistrée l’an dernier, le patron de la marque au trident martèle sa confiance. Pour améliorer la rentabilité, il mise sur le renforcement de la distribution directe, l’appel aux partenaires investisseurs et sur l’eldorado de l’empire du Milieu. Entretien avec Henri Giscard d’Estaing, CEO du Club Med.

Certains n’en reviennent toujours pas. Au Club Med, le temps des villages bons marché pour les jeunes, les cases et l’ambiance gentiment beauf des Bronzés, c’est fini. Place désormais aux vacances “haut de gamme, conviviales et multiculturelles” avec des villages rénovés ou flambant neufs. Une stratégie axée sur le luxe qui tarde toutefois à se traduire dans la rentabilité.

TRENDS-TENDANCES. Ces dernières années, la montée en gamme du Club Med a occupé beaucoup de votre temps. Où en êtes-vous ?

HENRI GISCARD D’ESTAING. Notre stratégie de montée en gamme a débuté en 2003 lorsque nous avons annoncé la fermeture de 50 villages sur une centaine, l’ouverture de 20 nouveaux villages et la rénovation des 76 restants. Le coût pour la rénovation des villages a été de l’ordre du milliard d’euros jusqu’ici. Au cours des cinq dernières années, 600 millions ont été investis en fonds propres, dont une partie provient de la vente de certains de nos murs, auxquels est venu se greffer une centaine de millions via nos partenaires immobiliers.

Aujourd’hui, plus de la moitié de notre parc immobilier, soit une quarantaine de villages, ont été rénovés. Une dizaine devrait connaître prochainement un lifting et une poignée fait l’objet d’une réflexion quant à son devenir. Va-t-on les rénover ou les céder ? L’enjeu est de savoir si physiquement et économiquement, c’est pertinent. D’ici 2013, ces villages seront soit rénovés, soit sortis de notre périmètre.

En attendant, on note qu’en 10 ans le Club Med a perdu un tiers de ses clients, accumulé 264 millions d’euros de pertes et englouti des millions d’euros dans la montée en gamme. Cette stratégie est-elle réellement bonne ?

Depuis plusieurs années, nous assistons à une bipolarisation du marché, avec des dépenses en croissance chez les clients aisés et des dépenses qui stagnent, voire qui baissent, chez les autres. Nous devions donc entreprendre une stratégie de montée en gamme afin d’anticiper un marché du tourisme changeant et sujet à des soubresauts économiques, sociaux et environnementaux. Nos fondamentaux sont bons et sans la crise, ressentie chez nous dès juin 2008, nous aurions déjà démontré que cette mutation est rentable.

Reste que l’année dernière, le Club a basculé lourdement dans le rouge.

Pour saisir le potentiel de la montée en gamme, il faut prendre l’indicateur-clé qui est le revenu par lit disponible. Que dit-il ? Que les marges sont significativement plus élevées pour le réseau 4 tridents et 5 tridents et que le revenu par lit disponible s’améliore au fil des mois alors que les marges sur les 3 tridents restent stables. Désormais, nous possédons 600.000 clients en 4 et 5 tridents, soit près de la moitié de notre clientèle totale. En 2009, nous avons même gagné 13.000 clients dans nos villages les plus haut de gamme. Et d’ici 2012, je prévois d’avoir deux tiers de nos villages en 4 et 5 Tridents et de réaliser 60 % de nos ventes par la distribution directe, notamment grâce au développement de notre nouvelle plateforme commerciale sur Internet, ventes qui devraient atteindre 20 %. Autant d’éléments qui me font dire que d’ici 2013, nous dégagerons 10 % de marge d’exploitation.

Pour y parvenir, l’avenir du Club passe par les pays émergents où il existe une clientèle riche. Pourtant, à peine 9 % de votre clientèle proviennent des pays BRIC. Comment comptez-vous capter ce public ?

Par la persévérance et la détermination. A l’heure actuelle, le continent asiatique pèse déjà 15 % de notre chiffre d’affaires tandis que l’Amérique latine affiche 7 à 8 %.

En Chine, grâce à des implantations commerciales dans les grandes agglomérations depuis 2003, nous sommes des pionniers. Et d’ici cinq ans, j’aimerais atteindre la barre des 200.000 clients chinois, soit deux fois plus que les clients belges. Ce sera notre premier marché. Pour y parvenir, je prévois d’ouvrir cinq villages dans le cadre de partenariats et de contrats de management. Nous comptons rendre opérationnel le premier village, avec notre partenaire Melco China Resorts, en novembre prochain dans la station de ski de Yabuli, au nord de la Chine. L’investissement pour “clubmédiser” l’établissement s’élève à 3 millions d’euros.

De façon générale, pour qu’un village soit rentable, il doit séduire 35.000 clients. C’est pourquoi pour nous les pays les plus délicats sont la Russie, malgré les 20.000 clients qui fréquentent déjà le Club Med, et l’Inde. Ils ne sont pas en tête de liste pour notre expansion.

Quand on vise une cible plus huppée, le modèle vertueux de la montée en gamme consiste à offrir un service irréprochable. Toutefois, d’aucuns pointent un déséquilibre entre les infrastructures et l’encadrement…

Notre niveau de services est déjà relativement conforme à celui de l’hôtellerie haut de gamme. Pour s’assurer continuellement que le niveau de confort de nos villages corresponde à nos services, nous avons débloqué 3,3 millions d’euros. Histoire de nous assurer que tous nos collaborateurs, à tous les niveaux, comprennent dans quelle direction évolue le Club Med et sachent le traduire dans leur quotidien. Cela passe évidemment par la formation. C’est pourquoi nous organisons un grand rendez-vous annuel à Vittel ou à Opio, avec notre “Campus des talents”. Dédié à la formation des “gentils organisateurs” et “gentils employés”, ils apprennent, durant trois à quatre semaines, les rudiments de leurs futures fonctions. Les participants sont traités comme s’ils étaient des clients du Club Med afin qu’ils comprennent ce qu’on attend d’eux. Nous dispensons aussi plus de 20.000 stages de formation via notre université basée à Paris, mais qui trouve également des relais à Lyon, Miami, Singapour et Rio. Des partenariats avec des institutions, écoles hôtelières et universités sont également noués afin de bénéficier d’un maximum de compétences. C’est loin d’être anecdotique car nous employons plus de 80 métiers différents. En outre, cette politique en matière de ressources humaines permet d’identifier au mieux les GO les plus à même d’évoluer dans la hiérarchie.

Enfin, pour que notre objectif, à savoir devenir le “spécialiste mondial des vacances tout compris, haut de gamme, conviviales et multiculturelles”, se répercute sur le terrain, nous avons modifié la structure organisationnelle des villages en créant le poste de directeur des opérations hôtelières. Il vient ainsi se placer aux côtes du chef de village, du directeur des ressources humaines, du directeur financier, du directeur maintenance et du directeur loisirs.

Voici plus d’un an, vous étiez la cible d’activistes comme Bernard Tapie. Vous avez dû affronter ses attaques virulentes, notamment lorsqu’il évoquait que le Club Med était “aussi transparent qu’un bunker”. Vous n’avez pas tardé à réagir en commandant un rapport inédit sur la gouvernance du Club Med auprès du cabinet Deminor.

Nous sommes une des premières entreprises à faire appel à une société comme Deminor pour faire examiner la gouvernance et rendre public les conclusions. Et je suis très heureux qu’il juge notre gouvernance satisfaisante. Suite à ce rapport, nous avons proposé à Alain Dinin, patron du promoteur Nexity, d’intégrer le conseil d’administration. Une nouvelle cooptation complémentaire est aussi à l’étude. D’autres recommandations avaient déjà été prises en compte pour améliorer et organiser les informations fournies sur le site web, pour rassurer le marché sur notre capacité à générer des résultats malgré les aléas conjoncturels, pour communiquer sur la rentabilité par niveau de confort ou pour formaliser les préoccupations des actionnaires minoritaires auprès des administrateurs.

Alors que vous venez d’achever votre premier septennat à la tête du Club Med, l’action a chuté de 40 euros au cours des 18 derniers mois à près de 10 euros et vos actionnaires n’ont pas touché un cent depuis cinq ans. N’est-ce pas inquiétant à l’aube du renouvellement de votre mandat en mars 2011 ?

Il appartient constamment aux actionnaires de juger de l’opportunité de prolonger mon mandat ou de le résilier. Quant à cette échéance, elle ne coïncide pas avec la fin de ma mission car d’autres objectifs se dessinent.

N’avez-vous, durant ces derniers mois chahutés, douté de votre stratégie ?

Je dois bien avouer que je n’avais pas imaginé l’ampleur de la transformation mais je n’ai jamais douté de notre stratégie de montée en gamme. Par contre, je doute tous les jours de la meilleure manière de la mettre en £uvre car il existe toujours des impondérables. Il faut donc s’interroger en permanence quant à la vitesse d’application de la stratégie et de son envergure.

Propos recueillis par Valéry Halloy

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