La France avance vers la mise en place d’une “taxe Gafa”… mais de nombreuses questions demeurent

Avocat et professeur de droit fiscal à l'ULB Thierry Afschrift qui estime que "l'accord profitera surtout aux grands pays comme les Etats-Unis, la France ou l'Allemagne". © GettyImages

Tirer profit des lucratives activités en ligne des géants du Net fait saliver de nombreux Etats. Si la question divise au niveau européen, la France avance (temporairement) avec la mise en place d’une “taxe Gafa”.

Taxer les géants du Net : le sujet alimente les discussions partout en Europe depuis des mois, alors que les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) continuent d’étendre leurs activités et de s’imposer partout dans le monde, tout en ” optimisant fiscalement ” leurs activités.

Car malgré des revenus gigantesques réalisés en Europe, les acteurs du Web paient très peu d’impôts dans chacun des territoires où ils sont actifs. En effet, ils ont tous organisé leur structure pour faire remonter l’ensemble de la valeur à leur siège central européen, généralement basé dans un pays fiscalement clément. Comme l’Irlande, par exemple. Résultat : la grosse partie de la valeur générée par les services des Gafa échappe totalement aux Etats.

La France fait donc figure de pionnière. La semaine passée, le Sénat français a voté la ” taxe Gafa “, déjà approuvée en avril par l’Assemblée nationale. Dans les grandes lignes, cette loi prévoit une taxation de 3% du chiffre d’affaires des plateformes et vendeurs de pub qui génèrent un chiffre d’affaires mondial de plus de 750 millions d’euros, dont 25 millions auprès d’utilisateurs français. En gros, cette taxe touchera essentiellement les Gafa, mais aussi Uber, Booking ou Zalando. Il est prévu que cette mesure soit effective jusqu’en 2022. C’est que la France tente d’avancer là où l’Europe stagne. On se souvient, en effet, que ces débats ont capoté au niveau de l’Union en raison de l’opposition de pays comme l’Irlande, Malte, la Suède et… l’Allemagne.

Application hasardeuse ?

Certains observateurs voient avant tout, dans l’adoption par la France de cette taxe, un signal envoyé à l’UE pour accélérer sur le sujet. Mais il reste une multitude de questions par rapport à la mise en place et à l’exécution d’une telle mesure. Outre que certains économistes s’interrogent sur l’idée de taxer un chiffre d’affaires et pas un bénéfice, comme cela se fait généralement en Europe, sa faisabilité pose aussi question. Comment l’Hexagone pourra-t-il définir les revenus exacts de ces acteurs sur le marché français alors que ces derniers ne publient pas ces informations et organisent leurs revenus bien au-delà des carcans territoriaux ? De la pub affichée sur Facebook en France, par exemple, peut très bien avoir été achetée par une firme basée aux Pays-Bas.

Et puis, des dommages collatéraux pourraient apparaître. Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens en France, pointait déjà en janvier que ” LeBonCoin, Criteo, Cdiscount ou Showroom Privé font partie des entreprises françaises qui pourraient bien tomber sous le coup de la nouvelle obligation fiscale. Nombre de ces jeunes entreprises, pour prospères qu’elles soient, ne font pas de bénéfice ou enregistrent une marge très réduite. La taxe Gafa pourrait bien s’avérer une bénédiction pour les Gafa eux-mêmes, en affaiblissant les concurrents moins solides, obligés pour certains de répercuter la taxe en hausses de prix “.

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