La coopérative Faircoop (Fairebel) connaît un nouvel élan

EN 2021, FAIRCOOP a franchi la barre symbolique des 13 millions de litres de lait vendus. © ISOPIX

Les Gafa et les ténors de la distribution ne sont pas seuls à avoir bénéficié d’une bonne année 2020: le “lait équitable” de la marque Fairebel a connu un bel envol des volumes vendus. Et la coopérative compte poursuivre dans cette voie.

L’image avait fait la une en été 2009: un peu partout en Europe, des producteurs de lait en colère déversaient des millions de litres pour protester contre le prix misérable auquel l’industrie et la distribution achètent le fruit de leur labeur: une vingtaine de centimes à peine le litre, parfois moins. A ce tarif, loin de gagner leur vie, ils perdent carrément de l’argent. Le public s’en est ému. “Des consommateurs nous ont demandé quel lait ils devaient acheter pour nous soutenir, se souvient Erwin Schöpges, agriculteur à Amel, dans les cantons de l’Est. Comme nous ne pouvions rien leur proposer, nous avons décidé de reproduire en Belgique la structure coopérative qui existait déjà en Autriche et que nous connaissions au travers de rencontres internationales.” Faircoop voit alors le jour, dont Erwin Schöpges est toujours président aujourd’hui. De l’Est du pays, le mouvement gagne assez rapidement l’ensemble de la Wallonie. Il s’est également étendu à la Flandre au cours des dernières années, en particulier avec la diversification dans les fruits et la viande. But de l’initiative: procurer à l’agriculteur un revenu décent et éviter que la jeune génération ne jette le gant par découragement. Il s’agit en même temps de contrôler les flux, pour ne pas se contenter d’affirmations marketing pas toujours transparentes.

Nous ne voulions pas nous contenter d’affirmations marketing pas toujours transparentes.”

Erwin Schöpges (Faircoop)

“Aucune laiterie belge ne voulait de nous”

Dès la naissance de Faircoop, une campagne de recrutement est menée auprès des agriculteurs. Parallèlement, des négociations sont menées avec le secteur de la distribution. Carrefour sera le premier client, dès 2010, suivi par Lidl et Colruyt, puis par les autres enseignes. Toutes proposent aujourd’hui au moins un article arborant la marque Fairebel, fort reconnaissable à son étiquette très colorée. La gamme des produits s’est progressivement étoffée. Du fromage est ainsi fabriqué à Herve et de la crème glacée à Francorchamps, tandis que le beurre est élaboré par la laiterie familiale Olympia, dans le Brabant flamand. Fairebel ne possède en effet pas ses propres installations mais fait appel à des entreprises spécialisées.

Erwin Schöpges (Faircoop)
Erwin Schöpges (Faircoop)© PG

Herve Société produit ainsi une cinquantaine de fromages sous l’appellation Herve mais aussi Fagne et Val-Dieu. Quant au lait, qui demeure le produit principal, il est conditionné par Luxlait, coopérative luxembourgeoise fondée en 1894.

Ce n’est pas par hasard. “Quand nous avons lancé notre projet, aucune laiterie belge ne voulait travailler avec une coopérative d’agriculteurs souhaitant assurer elle-même la commercialisation de ses produits, se souvient Erwin Schöpges. Nous nous sommes donc tournés vers Luxlait, entreprise très proche sur le plan géographique et occupant de surcroît un tiers de travailleurs belges.” Longtemps, les briques de lait produites au Grand-Duché contenaient du lait belge, mais pas celui des agriculteurs membres de Faircoop. Suivant en cela le même principe que celui de l’électricité verte, sourit le président de la coopérative: il y avait équivalence en qualité et en quantité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. “Nous avions convenu dès le premier jour d’assurer la collecte nous-mêmes quand le volume le permettrait. C’est le cas depuis un an et demi maintenant.”

Une bonne année 2020

En 2019, Faircoop a franchi la barre symbolique des 11 millions de litres vendus. Symbolique, parce qu’équivalant (plus ou moins) à un litre de “lait équitable” par habitant. L’an dernier, ce total a bondi à 13 millions. La coopérative a clairement bénéficié d’une consommation accrue à domicile. En mars et avril, il est même arrivé que la production n’arrive pas à suivre la demande émanant de la distribution. Sur cette lancée, les ambitions ont gonflé: Faircoop vise à présent un doublement des volumes vendus endéans les trois ans.

Ce n’est pas déraisonnable en soi: ces 13 millions de litres représentent 0,3% à peine de la production belge, qui est en effet de l’ordre de 4 milliards de litres! Total colossal… qui correspond cependant à moins d’un tiers de la production néerlandaise, soit dit en passant. Avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 14 millions d’euros et des capitaux propres de 4,5 millions, Faircoop est une entreprise de taille encore modeste. A l’image de ses quelque 550 producteurs coopérateurs, dont 450 environ pour le lait. Il s’agit essentiellement de petites exploitations familiales puisque ces 450 producteurs de lait représentent, non pas 0,3%, mais plus de 6% du total.

Au prix d’achat de 45 centimes le litre de lait, la coopérative peut avancer un autre argument: les fiches “rapport de crédit” de Trends Business Information révèlent que Faircoop paie à 100% dans les délais. La moyenne belge était de deux tiers fin 2019 et elle est tombée à un tiers au premier trimestre 2021. A noter que les parts de coopérateur ont également été souscrites par quelque 1.500 consommateurs. Un geste solidaire correctement récompensé, puisque rémunéré par un dividende de 6% net.

Une rémunération au plancher

L’année 2017 est la dernière pour laquelle un calcul de coût de production a été réalisé au niveau belge. Hors investissements nets, le kilo de lait (ici, on ne calcule pas en litre) revenait à 42,53 centi- mes. Un chiffre quasiment identique à celui de 2010. Belle maîtrise des coûts, pourrait-on penser, sauf qu’elle est au moins en partie due à des investissements trop faibles, souligne l’European Milk Board, organisme qui chapeaute des associations de producteurs laitiers dans 15 pays européens.

Les agriculteurs ont en effet dû rogner sur ce poste en raison de la faiblesse des prix de vente. Après une seconde crise du lait en 2015 et 2016, le prix d’achat par l’industrie a remonté à 35,05 centimes en 2017 et il se maintient dans cette zone depuis. Le coût de production n’est donc toujours couvert qu’à 82%.

La question se pose dès lors: comment les producteurs n’ont-ils pas fait faillite? Parce que la variable d’ajustement, c’est leur revenu. Le calcul du coût comporte en effet un poste appelé “paramètre des revenus”, à hauteur de 17,54 centimes au kilo. Hors rémunération du fermier, le coût d’un kilo de lait est en fait de 25 centimes. Avec un prix de vente de 5 centimes au lieu de 42,50, en chiffres arrondis, le revenu du producteur est donc raboté de 17,50 à 10 centimes.

Un tel niveau est peut-être suffisant pour certaines grosses exploitations fortement industrialisées, mais guère pour une petite exploitation familiale livrant, par exemple, 450.000 litres par an. Elle toucherait 45.000 euros bruts au lieu d’un peu moins de 80.000 euros. Pour un couple, a fortiori travaillant avec un de ses enfants, cela représente un salaire horaire misérable. D’autant que ce résultat est obtenu au prix d’investissements insuffisants. C’est clairement ce type d’exploitations familiales, piliers de la vie à la campagne, que Fairebel regroupe et défend. Car il reste moins de 7.000 producteurs de lait en Belgique, contre plus de 45.000 en 1980…

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