La Cobra, un cocktail venimeux !

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C’est l’histoire d’un pilote texan qui, après avoir rangé casque et gants, a construit sa propre voiture de sport. Carroll Shelby a associé l’agilité d’un petit châssis européen et la hargne d’un gros moteur américain. Ce cocktail diabolique est rapidement devenu mythique.

“Votre idée me semble tout à fait brillante, cher Monsieur Shelby. Je m’engage à vous fournir un premier châssis modifié selon vos directives, aussitôt que vous aurez trouvé le moteur qu’il vous faut pour ce projet “. Le projet de Shelby, c’est de construire sa propre voiture de sport. Et celui qui apprécie l’idée, c’est Charles Hurlock, patron de la marque britannique AC Cars. Nous sommes en octobre 1961. Ce petit constructeur, qui produisait l’AC Ace, vient de perdre son fournisseur de moteurs : Bristol. AC doit alors opter pour le 6 cylindres de la Ford Zephyr anglaise, mais le succès est mitigé. La proposition de Carroll Shelby tombe doncà point, lui qui veut acheter des châssis d’AC Ace poury glisser au chausse-pied sous le capot un énorme moteur américain. Encore faut-il trouver ce fameux moteur. Mais, enclenchons d’abord la marche arrière d’un mouvement sec pour un bref retour aux sources.

La Cobra, un cocktail venimeux !
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Pilote de chasse et de course

Carroll Shelby est né le 11 janvier 1923, à Leesburg, au Texas. Vingt ans plus tard, il devient pilote de l’US Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour au pays, il se lance dans un élevage de poulets qui le mènera à la ruine. Shelby touche alors un peu à tout, avant de devenir pilote automobile dans les années 1950. L’homme goûte à pratiquement toutes les disciplines des sports mécaniques. Il a tâté de la Formule 1 et a même remporté les 24 Heures du Mans en 1959 avec Roy Salvadori, au volant d’une Aston Martin DBR1/300. En janvier 1960, Shelby entame sa dernière saison de compétition au volant d’une Maserati 250F F1. Ce pilote au grand coeur doit mettre fin à sa carrière sportive car on lui détecte de sérieux problèmes cardiaques. Carroll Shelby a alors 37 ans et se prépare à de nouvelles aventures.

Le châssis anglais

Après avoir brillé au volant, le Texan pose son casque au vestiaire, mais ne se range pas des voitures pour autant. Il s’attaque à un autre projet : construire son propre bolide de compétition. Une voiture américaine capable de battre les Ferrari. Rien de moins ! Shelby sonne d’abord à la porte de General Motors, qui refuse de collaborer, craignant que ce projet ne fasse de l’ombre à la sportive maison : la Chevrolet Corvette. Shelby a alors l’idée d’allier l’agilité d’un petit châssis européen à la puissance d’un gros moteur US. Le meilleur des deux mondes, en somme. Il se souvient de l’excellent résultat de l’AC Bristol lors des 24 Heures du Mans 1959 : le petit roadster anglais avait terminé à la 7e place du général et en tête de la catégorie 2 litres. C’est ainsi que Carroll Shelby rencontre Charles Hurlock de chez AC Cars, qui sera ravi de vendre des châssis à l’entrepreneur texan.

Le Coupé Daytona a permis à la firme de remporter en 1965 le Championnat du Monde des voitures de sport en catégorie GT.
Le Coupé Daytona a permis à la firme de remporter en 1965 le Championnat du Monde des voitures de sport en catégorie GT.© pg

Le moteur américain

Pour le moteur, Carroll Shelby pense d’abord à un V8 Chevrolet. Mais Ford lance à ce moment-là un tout nouveau V8 plus léger. Grâce à ses bonnes relations avec Lee Iacocca, patron des ventes de Ford, Shelby obtient la fourniture de ce nouveau bloc V8. La voiture du Texan a donc un châssis et un moteur. Reste à lui donner un nom. La légende veut que Shelby l’aurait trouvé pendant la nuit : sa voiture s’appellera Cobra.

La première Cobra de série est animée par le V8 de Ford de 260 ci (soit 4,3 l) Suivront une série de versions de plus en plus puissantes.

Ensuite, tout va très vite : le tout premier exemplaire est assemblé en février 1962 et l’engin est présenté au Salon de New York en avril, sous l’appellation ” Shelby AC Cobra Powered by Ford “. Le public apprécie et les commandes affluent. La commercialisation débute à l’été 1962.

La première Cobra de série est animée par le V8 Ford de 260 ci (cubic inches), soit 4,3 litres, fort de 260 ch SAE. Suivront une série de versions de plus en plus puissantes, dont la fameuse 427 ci (7 litres), poussée jusqu’à plus de 400 ch et dont le moteur pèse si fort sur le nez de la Cobra qu’il impose de développer un nouveau châssis pour le porter.

Carroll Shelby au volant de sa Cobra en 1963.
Carroll Shelby au volant de sa Cobra en 1963.© pg

Rififi avec Ferrari

Fille de pilote, la Cobra est née pour la course. Engagée immédiatement en compétition, elle domine rapidement les championnats américains. Mais Shelby vise plus loin : il veut remporter le Championnat du Monde des voitures de sport. Son but : battre Ferrari. Il en fait une affaire personnelle. L’homme a, en effet, gardé une vielle rancoeur à l’égard d’Enzo Ferrari. En 1956, lorsque Shelby était pilote, le Commendatore avait demandé à le rencontrer pour un éventuel engagement. Mais lorsque l’Américain a voulu négocier les termes financiers du contrat, Enzo s’est braqué, faisant comprendre à Shelby que l’on ne discute pas de choses aussi matérielles lorsqu’on a l’honneur d’être approché par Ferrari. Le cow-boy a mal pris l’affront et a tourné les talons, en se jurant d’un jour ” botter le cul ” des bolides Ferrari. Dans ce but, l’Américain développe en 1964 une toute nouvelle Cobra de course à carrosserie fermée plus aérodynamique (le coupé Daytona). Cette nouvelle arme permet à Shelby de remporter en 1965 le Championnat du Monde des voitures de sport en catégorie GT. Mission accomplie !

 Ford a demandé à Shelby de bodybuilder les Mustang. Il en découlera la Mustang Shelby GT350.
Ford a demandé à Shelby de bodybuilder les Mustang. Il en découlera la Mustang Shelby GT350.© pg

Pas que la Cobra dans sa vie

Suite à ses succès en course, Ford demande à Carroll Shelby de l’aider à assurer la préparation des Ford GT40 qui brilleront notamment aux 24 Heures du Mans de 1966 à 1969. Juste avant, Ford lui avait aussi demandé de développer une version bodybuildée de sa première Mustang. C’est la variante Fastback 2+2 de la Mustang qui a été choisie pour subir la transformation. La production débute en septembre 1964. Ford envoie à Shelby une série de Mustang équipées du plus gros moteur de la gamme : le V8 4.7 litres (289 ci) de 271 ch. Shelby pousse la cavalerie à 306 ch, gavés par une grosse prise d’air débordant du capot et moulée en fibre de verre. La Mustang Shelby GT350 vient de naître. Des années plus tard, Carroll Shelby contribue aussi à faire naître une autre voiture venimeuse : la Dodge Viper. C’est son ami Lee Iacocca, passé alors de Ford chez Chrysler (propriétaire de Dodge), qui l’appellera à la fin des années 1980 pour développer ce bolide, qui sera commercialisé en 1993 et dont l’architecture et le caractère rappellent la fameuse Cobra. Le nom Viper n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard. Carroll Shelby aura donc mené une vie bien remplie : il a bien fait d’abandonner l’élevage de poulets pour dompter les chevaux-vapeur ! L’homme a rendu son dernier souffle le 10 mai 2012, à l’âge de 89 ans.

Par Olivier Maloteaux.

Au volant d’une Cobra

La Cobra d’origine a été produite à un peu moins de 1.000 unités entre 1962 et 1969. Des exemplaires rares, donc pratiquement introuvables et extrêmement chers. Les plus beaux modèles dépassent allègrement le million d’euros ! Mais le mythe a survécu et la Cobra est sans doute devenue la voiture la plus copiée de l’histoire automobile. Certaines répliques sont brouillonnes, mais d’autres sont très fidèles au modèle originel. La firme Shelby produit notamment elle-même depuis le début des années 1990 des répliques de sa Cobra (www.shelbyamerican.com). Le constructeur ERA (www.erareplicas.com) propose lui aussi des répliques très fidèles et extrêmement bien finies de la Cobra. C’est un de ces modèles que nous avons pu tester. Il s’agit d’une réplique de la version de compétition (mais homologuée pour la route) 289 FIA. La carrosserie en fibre de verre est montée sur un châssis tubulaire en acier. Esthétiquement, on note les prises d’air agrandies et l’arceau de sécurité, typiques des Cobra de compétition. L’accès à bord n’est pas aisé : il faut glisser les jambes sous l’imposant volant. De solides harnais agrafent les passagers aux sièges en cuir et l’habitacle de cette version compétition se placarde entièrement d’aluminium. Un tour de clé et le V8 s’ébroue. Il s’agit d’un bloc Ford Racing de 2014, alimenté par un carburateur Holley. Ce moteur affiche une cylindrée de 363 ci (5,9 litres) et développe 500 ch SAE ! Il crache ses gaz dans des échappements latéraux qui courent le long des portes. Le ralenti est détonant et chaque coup de gaz fait trembler la caisse dans un râle puissant. La commande de boîte (une unité Tremec moderne à 5 rapports) demande de la poigne, mais elle est particulièrement bien guidée. Dès les premiers mètres, on prend conscience de la fougue du moteur, qui catapulte littéralement l’engin, lequel n’accuse qu’un peu plus d’une tonne à la pesée. Il faut aller chercher les freins d’un bon coup de pied, mais les disques (montés ici in board, comme sur la Jaguar Type E et le tout premier prototype de la Cobra) ralentissent énergiquement la bête. La direction est dure, mais pas exagérément, malgré les grosses gommes GoodYear (répliques d’époque), montées sur des jantes de 15 pouces. Ces pneus très larges, associés au châssis à quatre roues indépendantes, offrent un grip généreux en courbe. Mais il est bien sûr très facile de faire fumer le train arrière, vu la puissance débordante. Une conduite virile, mais addictive, d’autant que le châssis de cette reproduction est plus rigide et mieux guidé que celui des modèles d’origine ! Au fait, si ça vous tente, le modèle illustré ici, immatriculé en Belgique comme ancêtre et en état impeccable, est à vendre (infos via ac.cobra.era@gmail.com).

12 millions pour la première Cobra

Le tout premier exemplaire de l’AC Cobra a été vendu aux enchères l’été dernier. Cette AC Cobra 260 de 1962 porte le numéro de châssis CSX 2000. Le modèle a fait trembler le marteau du commissaire-priseur, en portant les enchères jusqu’à 13,75 millions de dollars, soit près de 12 millions d’euros. Voilà qui en a fait la voiture américaine la plus chère de tous les temps ! Pourtant, ce modèle a vécu. Ce premier exemplaire a d’abord servi de véhicule d’exposition lors de la présentation au Salon de New York, en avril 1962. Puis, la voiture a été utilisée pour les essais de la presse. Et pour faire croire à une large production, cet exemplaire a été repeint plusieurs fois. Le châssis CSX 2000 a également été rudoyé à l’école de pilotage Carroll Shelby School of High Performance Driving, avant de trouver le repos entre les murs du musée Shelby Heritage Center de Las Vegas.

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