La Belgique possède enfin un écosystème mature de start-ups

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Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

Les entreprises spécialisées dans la technologie et internet s’imposent. Le succès de la Silicon Valley est impossible à copier. Notre pays est bien trop petit. Mais au cours des quinze dernières années, un écosystème toujours plus riche d’entreprises technologiques prometteuses s’est développé sur nos terres. Collibra et Odoo sont même valorisés respectivement à 5 et 3 milliards de dollars. Pourtant, l’euphorie n’est pas de mise.

Au cours des cinq dernières années, les entreprises belges de technologie numérique ont levé plus de capital-risque qu’au cours des 30 années précédentes. Cette évolution a commencé il y a une dizaine d’années, avec l’arrivée d’investisseurs technologiques locaux.

Dix étapes marquantes

2007. Les pionniers des médias sociaux Lorenz Bogaert et Toon Coppens lèvent 5 millions d’euros auprès d’Index Ventures pour leur site, Netlog. Leur produit reste leader du marché en Europe jusqu’à ce que Facebook s’impose. Les deux hommes changent alors leur fusil d’épaule et renouent avec le succès en lançant leur site de rencontres Twoo, qu’ils vendent en 2012. Le duo est toujours très actif en tant qu’investisseurs et entrepreneurs dans la tech.

2009. En pleine crise financière, le spécialiste des transactions Clear2pay parvient à lever 50 millions de dollars auprès de la société américaine Aquiline. En 2014, l’entreprise est vendue pour 375 millions d’euros. Jürgen Ingels et Michel Akkermans, ses fondateurs, sont aujourd’hui des investisseurs technologiques très actifs et influents.

2012. La première grande levée de fonds pour la société bruxelloise Collibra, spécialisée dans les logiciels de données. Elle a réussi à lever 1 million d’euros auprès de la société néerlandaise Newion Ventures.

2013. Peu après avoir quitté Telecom, Duco Sickinghe et Renaat Berkmoes ont créé Fortino pour investir dans de jeunes entreprises technologiques européennes. Le premier fonds rassemble 80 millions d’euros en capital-risque.

2016. Showpad lève 50 millions de dollars auprès d’Insight Partners. Le spécialiste des logiciels de soutien et de formation des vendeurs est l’une des nombreuses entreprises issues de Netlog.

2017. Le fabricant de puces X-Fab, qui faisait auparavant partie de Melexis, lève près de 400 millions d’euros par le biais d’une introduction en bourse.

2018. La plateforme d’apprentissage en ligne Datacamp, fondée à Louvain, lève 25 millions de dollars. Il a ensuite été révélé que cela a été fait à une évaluation de 184 millions de dollars.

2019. Collibra est évaluée à plus d’un milliard de dollars pour la première fois après une levée de fonds de 100 millions de dollars. La même année, le spécialiste de la sécurité Secure Code Warrior lève 47,6 millions de dollars lors d’une première levée de fonds. Du jamais vu pour une entreprise belge de ce secteur.

2020. Unifiedpost Group, spécialiste des logiciels de gestion des flux de documents pour les PME, lève 252 millions d’euros par le biais d’une introduction en bourse ou d’un placement direct sur Euronext Bruxelles. Deliverect, logiciel permettant de rationaliser la livraison de repas, reçoit 30 millions d’euros lors d’une première levée de fonds.

2021. Collibra lève 250 millions de dollars à une valorisation de 5,25 milliards de dollars. Odoo, spécialiste des logiciels de gestion d’entreprise pour les PME, lève 180 millions d’euros pour une valorisation d’environ 2,5 milliards d’euros.

2021, année record

Les start-ups et scale-ups belges ont levé ensemble 1,32 milliard d’euros de capital-risque cette année — jusqu’à fin novembre — alors qu’en 2020, elles n’auraient levé que 1,06 milliard, selon les chiffres du centre de recherche Sirris, dont Trends a eu la primeur. Le résultat de 2020 était déjà un record, avec un passage au-dessus de la barre du milliard. Les levées les plus importantes ont été pour Collibra, IbanFirst et Lansweeper. Vous serez peut-être surpris de voir que l’entreprise d’impression 3D Materialise figure également dans cette liste, car elle est cotée en bourse, mais il s’agissait d’une levée de capital-risque après l’introduction en bourse — post-IPO equity dans le jargon.

La Belgique est traditionnellement très performante dans le domaine des technologies de la santé, comme en témoignent des entreprises comme Nyxoah et miDiagnostics. Nyxoah est également cotée depuis l’année dernière, mais cette année, elle est dans la liste avec une réalisation supplémentaire d’actions boursières. Pour mémoire : les entreprises de biotechnologie ne sont pas incluses dans ces chiffres Sirris.

Pendant des années, les entreprises du secteur de la santé ont levé le plus de capital-risque en Belgique, mais ces deux dernières années, elles ont été évincées de la première place par les technologies financières, ou fintech. Ce phénomène est par ailleurs européen. Si le centre de gravité de la plupart des secteurs se trouve aux États-Unis ou en Chine, l’Europe s’est imposée ces dernières années comme le continent fintech par excellence. Pensez par exemple aux sociétés de services de paiement comme Adyen (Pays-Bas) et Klarna (Suède), ou aux nombreuses néo-banques. Revolut et Monzo, toutes deux britanniques, et N26 (Allemagne) sont des banques purement numériques de ce type, et remportent un franc succès auprès des milléniaux. En Belgique, la plus grande levée de fonds dans le secteur fintech de cette année est celle des 200 millions de la société ibanFirst, basée à Bruxelles. En 2021, les entreprises fintech belges ont levé ensemble 246 millions d’euros, contre 227 millions d’euros pour les entreprises de business intelligence et 202 millions d’euros pour les entreprises de technologies de santé.

À Bruxelles, la fintech est le secteur le plus important en termes de capitaux levés. En Wallonie, le secteur se classe au troisième rang, mais en Flandre, la fintech est beaucoup moins bien classée. Le trio de tête flamand est formé par les services informatiques, l’industrie manufacturière et les technologies de la santé. Les villes où les start-ups ont levé le plus d’argent en 2021 sont Bruxelles (554 millions d’euros), Louvain (226 millions) et Gand (193 millions).

Collibra, fondée par des chercheurs de la VUB, est le spin-off qui a récolté le plus d’argent, et de loin. Cela ne fait toutefois pas de Bruxelles le berceau des spin-offs par excellence. Si l’on considère les spin-offs qui ont levé des capitaux au cours des cinq dernières années, il s’agit de Gand (14 entreprises), suivi de Louvain (13), Anvers (9) et enfin Bruxelles (6). En 2021, après Collibra (VUB), les plus grandes levées de fonds de spin-offs concernaient Materialise (KU Leuven), Qpinch (UGent), N-Side (UCLouvain) et Qompium (Uhasselt). Qompium est la société à l’origine de l’application FibriCheck sur les troubles du rythme cardiaque.

Perte de terrain en Europe

Sirris a établi une comparaison avec d’autres pays européens. Le montant du capital-risque levé en Belgique est égal à 100. Dans le graphique, la Belgique suit juste après l’Italie. Une belle place, puisqu’il s’agit de la troisième économie de l’Union européenne. Mais l’Italie joue en dessous de son niveau dans le secteur des start-ups. L’Espagne et la Pologne, en revanche, font partie des plus motivés dans le domaine ces dernières années.

Alors que de plus en plus d’entreprises technologiques fournissent des emplois et de la valeur ajoutée grâce à la numérisation, les équilibres économiques en Europe se modifient. Ce n’est pas un hasard si les trois grands acteurs d’Europe sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Parmi les pays de taille moyenne, Israël — souvent considéré comme faisant partie de l’écosystème européen –, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse se distinguent. Ces pays, qui comptent souvent autant ou moins d’habitants que la Belgique, sont manifestement passés à la vitesse supérieure.

La Belgique occupe une place relativement basse dans la liste et n’est pas parvenue à s’accrocher à ce peloton. Le fonds de capital-risque Atomico publie chaque année des chiffres concernant la scène technologique européenne. Le rapport 2020 comprend une liste des vingt villes européennes où est levé le plus de capital-risque. Aucune ville belge ne figure dans cette liste, qui comporte les noms de Vienne, Tallinn, Bucarest, Zurich et Dublin.

“Aux Pays-Bas, deux entreprises — Mollie et Messagebird — ont toutes deux signé pour une levée de fonds de 800 millions de dollars, de sorte que nos voisins du Nord ont vu les investissements dans leurs entreprises technologiques plus que doubler au cours du premier semestre 2021 par rapport à six mois plus tôt”, explique Frederik Tibau, expert en innovation numérique et croissance chez Agoria. “Une tendance similaire a été observée au Royaume-Uni et en France. Chez nous, rien de tel ne s’est produit. Collibra représente la plus large levée de fonds. Cela signifie que, malgré des chiffres en hausse, nous perdons un peu de terrain par rapport aux pays voisins.”

Le fait que Mollie soit une entreprise de fintech et que les Pays-Bas comptent d’autres leaders de la fintech avec Adyen, entre autres, rend la chose encore plus amère. Selon les chiffres de 2020, la fintech en Europe a été le secteur où le capital-risque a le plus circulé. C’est également l’un des rares secteurs dans lesquels l’Europe est en tête. Au début du siècle, la Belgique avait de bonnes cartes à jouer pour devenir un pôle fintech, mais elle a gâché cette opportunité. Jean-Louis Van Houwe, le président de Fintech Belgium, a expliqué avec regret à Trends la semaine dernière que la Belgique ne parvient pas à suivre la courbe de croissance européenne en matière de fintech. Il a appelé le gouvernement à rendre les investissements dans les fintechs plus attractifs, à fournir une législation qui facilite l’innovation et à considérer la technologie blockchain comme une opportunité de numériser davantage la relation avec les citoyens.

Collibra vaut 5,25 milliards, après la dernière levée de fonds de 250 millions de dollars.

En 2021, 1,32 milliard d’euros ont déjà été levés par les start-ups et scale-ups belges.

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