La bataille du vélo électrique partagé va-t-elle démarrer ?

© belgaimage

L’arrivée d’Uber sur le créneau du vélo électrique partagé, où était déjà présente la start-up Billy Bike, n’est pas passée inaperçue. Une guerre entre ces différents acteurs du secteur pourrait se profiler. D’autant que d’ici l’été, JCDecaux déploiera également une imposante flotte électrique.

Posant à côté d’un vélo rouge déposé en rue par Uber, Pascal Smet, le ministre régional de la Mobilité, n’est pas peu fier de tweeter que Bruxelles est l’une des villes pionnières en matière de ” nouvelle mobilité ” et de bicyclettes électriques partagées. Fin avril, notre capitale emboîtait de quelques semaines le pas à Paris qui accueillait déjà les modèles proposé par le géant américain. On le voit, la firme fondée par le bouillonnant Travis Kalanick décline aujourd’hui toujours plus ses activités. Après les courses de ” taxis ” et la livraison de repas à domicile, Uber lance de nouvelles solutions de mobilité comme les vélos électriques (et les trottinettes, dans d’autres villes). Elle le fait au travers de Jump, du nom d’une start-up new yorkaise rachetée au printemps 2018 pour une somme estimée à pas loin de 200 millions de dollars.

Grâce à la structure Uber, nous savons quels sont les endroits les plus fréquentés, ceux où les utilisateurs ont besoin de moyens de transport, etc. ” Nikolaas Van de Loock (Jump)

Cinquième ville européenne

Bruxelles est la cinquième ville européenne à voir débarquer ces vélos rouges, dont pas moins de 500 viennent d’être répartis dans six communes de notre capitale : Bruxelles-Ville, Ixelles, Saint-Gilles, Etterbeek, Saint-Josse et Schaerbeek. Leur particularité ? Ils sont électriques et en free floating. Comprenez : leurs utilisateurs ne doivent pas les emprunter au départ d’une borne ou les y ramener. Il suffit de simplement repérer un exemplaire libre à proximité via l’application Uber et de le louer en en scannant le code avec un smartphone. Lorsque la course est terminée, on peut le laisser où on le désire. Un service qui coûte 0,15 euro la minute d’utilisation après avoir déboursé 1 euro pour déverrouiller le deux-roues.

Jump, désormais premier acteur de vélos électriques partagés en
Jump, désormais premier acteur de vélos électriques partagés en ” free floating ” à Bruxelles.© belgaimage

L’ambition d’Uber est forcément grande. Son lancement à Bruxelles pourrait représenter un investissement conséquent. ” Un vélo coûte entre 1.000 et 2.000 euros selon les volumes et les ristournes qu’Uber doit réussir à obtenir, explique un observateur spécialisé. L’achat de ces 500 premiers exemplaires et des batteries de rechange, plus la mise en place d’une équipe locale, doit donc représenter environ un million d’euros. “. Un chiffre que ne confirme pas Nikolaas Van de Loock, le directeur général de Jump Belgium, qui préfère rester flou quand il s’agit de parler structure et investissements, de l’entité juridique qui l’emploie ou du nombre de ses collaborateurs. Le jeune homme s’attarde néanmoins sur le rôle de l’équipe locale : des employés de Jump qui tournent dans la ville pour remplacer les batteries (amovibles) des vélos lorsqu’elles sont presque plates, déplaçant aussi certains d’entre eux lorsqu’ils se trouvent à des endroits moins populaires.

On n’est pas dans une bataille. Plus il y aura d’acteurs, plus cela étendra la culture du vélo à Bruxelles. ” Billy Bike

Deux fois plus de Billy Bike

Avec sa flotte actuelle de 500 deux-roues (la firme ne communique pas ses plans pour la suite), Uber devient le premier acteur de vélos électriques partagés à Bruxelles. De quoi sans doute laisser présager une nouvelle bataille dans notre capitale, à l’instar de celle que se livrent actuellement la poignée d’acteurs de la trottinette partagée. En effet, l’entrée remarquée d’Uber ne doit pas cacher la présence d’un pionnier belge du domaine : la start-up belge Billy Bike, qui déploie son modèle depuis deux ans et sur les plates-bandes duquel le géant américain vient marcher. La jeune pousse dispose de 150 vélos dans les rues de Bruxelles… pour l’instant. Car, selon ses deux fondateurs, la start-up s’apprête à ” lancer une nouvelle version du vélo et à doubler sa flotte à Bruxelles d’ici les semaines qui viennent “.

Billy Bike, le pionnier qui devrait doubler son offre à Bruxelles dans les prochaines semaines.
Billy Bike, le pionnier qui devrait doubler son offre à Bruxelles dans les prochaines semaines.© Billy Bike

La firme JCDecaux est, quant à elle, présente à Bruxelles avec son service Villo depuis une dizaine d’années. Ses quelque 5.000 vélos partagés doivent être ramenés à une borne et ne sont pas encore électriques. Mais cela changera dans les prochains mois. D’ici cet été, la firme installera en effet 1.800 deux-roues électriques dans notre capitale, qui remplaceront une partie de sa flotte actuelle. Celle-ci sera alors composée d’un peu plus de 3.000 vélos traditionnels et de 1.800 électriques, qui seront à la disposition des plus de 35.000 abonnés bruxellois au service.

Pas la même cible

Reste maintenant à savoir quelle forme prendra la lutte qui s’annonce. Voici une année, deux start-up asiatiques (GoBee et OBike) s’étaient cassé les dents à Bruxelles avec des vélos partagés sans borne. Aujourd’hui, le discours des différents acteurs actifs à Bruxelles se veut plus policé. ” Cela fait longtemps qu’on attendait l’arrivée de Jump, soutient-on chez Billy Bike. On n’est pas dans une bataille : les personnes qui vont utiliser le vélo partagé vont chercher le plus proche ou le prix le plus adapté à leur trajet. Notre challenge aujourd’hui, c’est avant tout de convaincre plus de citoyens de se mettre à la mobilité partagée. Plus il y aura d’acteurs, plus cela étendra la culture du vélo à Bruxelles. ”

Quant au directeur général de Villo, Jérôme Blanchevoye, il ne voit pas Jump et Billy Bike comme des concurrents. Selon lui, les offres ne s’adressent pas à la même cible : ” quand on analyse les tarifications, on peut arriver à la conclusion qu’un acteur comme Jump, qui a un coût plus élevé à l’usage, s’adresse à un public d’utilisateurs très occasionnels qui cherchent du fun, ou à des touristes. Villo, de son côté, s’adresse à des usagers quotidiens qui l’utilisent comme un vrai moyen de mobilité. ”

Villo, un
Villo, un ” business model ” qui ne fonctionne pas exclusivement sur l’usage effectif du deux-roues.© belgaimage

Au-delà de la cible, d’autres différences fondamentales caractérisent les acteurs du secteur à Bruxelles. Selon Jump et Billy Bike, l’absence de bornes est un avantage important. ” Grâce au free floating, on permet aux gens de trouver un vélo à proximité de l’endroit où ils se trouvent sans avoir besoin de trop marcher “, argumente Nikolaas Van de Loock. C’est pour assurer ce confort que l’équipe de Jump est chargée d’éventuellement déplacer elles-mêmes les vélos qui se trouveraient dans des lieux peu fréquentés. ” Jump dispose d’un autre avantage important, soutient le directeur général. Grâce à la structure Uber, nous pouvons nous appuyer sur un nombre important de données spécifiques à Bruxelles. Nous savons quels sont les endroits les plus fréquentés, ceux où les utilisateurs ont besoin de moyens de transports, etc. ”

Jump s’adresse à un public d’utilisateurs très occasionnels. Villo, de son côté, s’adresse à des usagers quotidiens qui l’utilisent comme un vrai moyen de mobilité. ” Jérôme Blanchevoye (Villo)

A l’inverse, le patron de Villo défend, lui, son propre modèle de bornes fixes où les utilisateurs doivent systématiquement retourner. ” Nos stations permettent de toujours trouver au moins un vélo à proximité, insiste Jérôme Blanchevoye. Les utilisateurs savent où elles se trouvent et nous avons un maillage bien établi. Par ailleurs, les stations assurent l’ordre des vélos, de sorte à ce qu’ils ne gênent pas l’espace public. Cinq cents vélos répartis de manière aléatoire dans la ville ne me semblent pas un modèle aussi efficace. ”

” Business model ” différent

Le business model des acteurs, également, semble se différencier. Les start-up façon Jump et Billy Bike misent tout sur les revenus générés par l’usage effectif de leurs vélos. Ils ne demandent pas d’abonnement. Chez Billy Bike, l’utilisateur paie uniquement 0,18 euro par minute d’utilisation (ou 0,15 euro s’il achète un pack de 200 minutes). Du côté de Jump, le tarif s’élève à 0,15 euro la minute, à quoi il faut ajouter à chaque fois 1 euro de mise en route. JCDecaux via Villo a, lui, déployé un autre modèle. On le sait, la Région de Bruxelles-Capitale a accordé au groupe français une concession pour exploiter ce service. Et autorise la firme à le financer par de la publicité, qui représente aujourd’hui deux tiers de ses revenus. Quant aux utilisateurs, ils doivent s’acquitter d’un abonnement : 32 euros par an actuellement avec les vélos classiques, et 7 euros par mois (84 euros par an) pour les futurs électriques. Un tarif qui assure la gratuité pour les 30 premières minutes d’utilisation. D’après nos calculs, le chiffre d’affaires de Villo (qui ne le communique pas) pourrait dépasser les 3,5 millions d’euros si l’on tient compte des quelques 35.000 utilisateurs réguliers du service. Une activité rentable pour JCDecaux qui opère ce modèle dans de nombreuses villes à travers le monde depuis plus de 10 ans.

Cette rentabilité évoluera-t-il avec la concurrence d’Uber ? Quel aspect la bataille que pourrait déclencher l’arrivée de ce nouvel acteur prendra-t-elle à Bruxelles ? A ce stade, difficile à dire. Villo soutient en tout cas ne pas avoir subi d’impact avec l’apparition de nombreux acteurs de la trottinette électrique ces dernières semaines. Ce qui est certain, c’est que le ministre bruxellois de la Mobilité, Pascal Smet, se réjouit de la multiplication de ce type d’initiatives. Et que celles-ci n’ont pas fini de faire du bruit.

Business sans chauffeur ?

Si Uber se lance sur ce créneau du vélo électrique partagé en sus de ses activités toujours très sensibles de transport de personnes avec chauffeur, ce n’est pas un hasard. Depuis le départ de son fondateur Travis Kalanick en 2017, le nouveau CEO de la firme, Dara Khosrowshahi, s’emploie à redorer l’image du géant américain. Avec cette nouvelle mobilité, Uber veut se positionner comme un partenaire privilégié des autorités qui cherchent à désengorger les centres urbains. ” Uber se lance dans le vélo partagé pour se parer d’une bonne image à la veille de son introduction en Bourse, balance un acteur du monde du taxi. Ce qu’il veut, c’est séduire les autorités et les futurs investisseurs. ”

Ce n’est pas l’avis de certains spécialistes, pour qui la firme américaine tente bien d’aller chercher des revenus et de la rentabilité dans des activités où il n’y a pas d’interactions humaines. ” Avec les vélos, Uber reçoit 100% des revenus, analyse un observateur. Elle ne doit pas reverser une partie importante de son chiffre d’affaires à des chauffeurs. Le pari consiste sans doute aussi à aligner une activité supplémentaire à son business, qui lui permettrait éventuellement de tendre plus rapidement vers la rentabilité. ”

Il est vrai que Uber reste largement déficitaire : 3 milliards de pertes en 2018. Reste bien sûr à voir si le modèle du vélo partagé peut être rentable avec les seuls revenus générés par les utilisateurs. Plusieurs start-up se sont cassé les dents avec ce type de business. L’intégration de Jump dans Uber, son abondant stock de données dans les villes et ses vélo électriques sont-ils les éléments clés qui lui permettront de s’imposer ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content