L’intelligence artificielle est partout!

Edward Boute, Robert Boute et Joren Gijsbrechts © Franky Verdickt

Le monde de la logistique n’est pas un pionnier dans l’utilisation des nouvelles technologies, bien que ses défis ne soient pas des moindres. Des chercheurs de la KU Leuven et de la Vlerick Business School ont fait appel à l’intelligence artificielle pour résoudre des problèmes logistiques complexes. Résultats : des économies de coûts et des gains pour l’environnement.

L’intelligence artificielle (IA) est partout. Le gouvernement fédéral veut faire ressortir davantage la place de notre pays sur la carte technologique avec la Coalition AI 4 Belgium. La Flandre investit 30 millions d’euros par an dans des projets de recherche et d’innovation en intelligence artificielle. La VUB envisage de créer un centre de recherche multidisciplinaire en intelligence artificielle en collaboration avec le spécialiste des données Collibra. Mais la technologie qui permet aux algorithmes d’apprendre et de prendre des décisions de manière autonome peut-elle aussi faire une différence dans le monde du transport et de la logistique, un secteur peu performant en la matière ?

“Certainement”, répond Robert Boute (39 ans). Spécialisé en gestion de la chaîne d’approvisionnement à la KU Leuven et à la Vlerick Business School, il est aussi professeur invité à la Kellogg School of Management de Chicago. “Nous sommes parmi les premiers à avoir appliqué une nouvelle technique prometteuse d’apprentissage automatique à des problèmes logistiques complexes, à savoir l’apprentissage par renforcement”, explique le professeur. Robert Boute a étudié le potentiel de l’intelligence artificielle sur les conseils de son frère Edward Boute (43 ans). Ce dernier est à la tête de Google Cloud Belux à Bruxelles. “Google mise énormément sur l’intelligence artificielle. La technologie s’est fortement démocratisée. Dans le passé, il fallait disposer d’un parc de machines coûteux et de beaucoup de temps pour effectuer des calculs compliqués. Aujourd’hui, les algorithmes vont de pair avec l’Open Source et la puissance informatique dans le cloud coûte bien moins cher”, souligne Edward Boute.

Il est possible d’engendrer des gains en termes de durabilité grâce à une légère hausse des coûts financiers – Joren Gijsbrechts

Jeu chinois

Les deux frères ont commencé à collaborer il y a un an environ lorsque Robert a remarqué que les modèles statistiques ne pouvaient plus répondre à la complexité des problèmes de stockage et de transport. Edward lui a alors suggéré de travailler avec des algorithmes d’apprentissage automatique dans le cloud. “Grâce à ces algorithmes, nous pouvons résoudre des problèmes autrefois insolubles. Les technologies traditionnelles ne nous permettaient tout simplement pas de faire face à l’énorme quantité de données”, poursuit Edward Boute. Selon le professeur Robert Boute, les problématiques logistiques ne font que se complexifier. “En logistique, les processus doivent être organisés au prix le plus bas, mais aussi dans les meilleurs délais et compte tenu de la problématique climatique. A priori, ces trois objectifs sont difficiles à concilier”, indique Robert Boute.

Robert Boute :
Robert Boute : “Les règles empiriques ne contribuent pas à une logistique plus durable”© Franky Verdickt

Les chercheurs de la KU Leuven, de la Vlerick Business School et de la Kellogg School of Management ont développé une solution pour résoudre les problèmes complexes de gestion des stocks tout en satisfaisant aux objectifs de durabilité grâce à l’apprentissage par renforcement et à Google Cloud. “L’apprentissage par renforcement est en plein essor. L’une des percées les plus connues est AlphaGo de Google DeepMind, l’algorithme qui a battu le champion du monde au jeu chinois Go il y a deux ans. Nous avons appliqué cet algorithme à la gestion des stocks”, explique Joren Gijsbrechts (27 ans), le doctorant en charge des algorithmes. “L’avantage de cette technique d’IA est que l’algorithme prend des décisions. Quand revoir les stocks ? À quelle hauteur ? Quel moyen de transport choisir ? Le camion, le bateau ou le train ? Quid de la vitesse, du prix et des émissions de CO2 ? À coups de nombreux essais et erreurs dans un environnement simulé, l’algorithme apprend à prendre les bonnes décisions, tout comme AlphaGo est sorti vainqueur du jeu.”

Les règles empiriques ne suffisent pas

Selon le professeur Robert Boute, la complexité du jeu chinois n’a rien à envier aux défis logistiques. “II existe plus de configurations possibles dans le jeu Go que d’atomes dans l’univers, soit un chiffre alignant 170 zéros. C’est impossible à résoudre avec des programmes informatiques classiques.” Aujourd’hui, les décisions logistiques sont prises sur la base de règles empiriques, mais celles-ci ne contribuent pas à une logistique plus durable. “Sans pour autant démériter, ces règles empiriques sont insuffisantes pour résoudre la complexité croissante des problèmes logistiques. Par ailleurs, elles ne répondent pas à la demande d’une logistique plus durable”, affirme Robert Boute.

Selon les chercheurs, l’intelligence artificielle permet au secteur logistique de réduire ses émissions de CO2. Le transport de marchandises représente près de 10% des émissions de CO2 en Europe. Le transport ferroviaire ou fluvial est plus respectueux de l’environnement. Le rail émet neuf fois moins de CO2 que le transport routier. La navigation intérieure rejette 32 grammes par tonne-kilomètre, contre 82 pour le transport routier. Le rail et la voie navigable présentent des avantages, mais ces modes alternatifs sont peu exploités en raison de leur lenteur et de leur manque de flexibilité. Les chiffres du port d’Anvers parlent d’eux-mêmes. 55% des marchandises qui y sont acheminées prennent ensuite la route. La navigation intérieure s’en octroie 38% et les chemins de fer à peine 7%.

Appel à agir

L’équipe du professeur Robert Boute a étudié comment les modes de transport – routier, ferroviaire et fluvial – peuvent être utilisés en parallèle sans sacrifier le service, la vitesse ou l’efficacité. On parle ici de synchromodalité. “Traditionnellement, les flux sont optimisés en fonction du prix, mais rien n’empêche qu’ils le soient sur la base des coûts environnementaux”, explique Joren Gijsbrechts. “Nos algorithmes montrent que l’équilibre entre coûts financiers et coûts environnementaux n’est pas si difficile à trouver. Il est possible d’engendrer des gains en termes de durabilité grâce à une légère hausse des coûts financiers. Cette étude nous permet de changer de tactique et cela n’était possible que par le biais de l’intelligence artificielle et de l’informatique dématérialisée”, souligne Robert Boute. Le professeur est prudent en termes de chiffres, mais il s’attend à des économies en coûts logistiques pouvant atteindre jusqu’à 10% pour les entreprises utilisant l’apprentissage automatique. “C’est un appel à agir.”

Selon Edward Boute, trop peu d’entreprises ont conscience du potentiel effectif de l’intelligence artificielle. “Pour beaucoup d’entreprises, c’est un caprice de la mode. Elles disposent de nombreuses données et s’en remettent à l’apprentissage automatique pour les traiter. Un processus qui peut s’avérer très rapide, mais qui ne fournit pas toujours des résultats intéressants. Les entreprises qui le comprennent réalisent qu’elles doivent rassembler toutes ces données en un seul océan de données et c’est là que ça devient intéressant.” Edward Boute donne un exemple qu’il connaît bien. “L’année dernière, Google a construit douze nouveaux centres de données dans le monde. Chaque centre se distingue du précédent car le monde change en permanence et réclame des innovations et des améliorations. Un jour, nous avons confié à l’apprentissage automatique la gestion de l’énergie d’un de ces centres de données. Il en a résulté une économie d’énergie de 40%. C’est incroyable.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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