L’Europe se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde

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L’Europe connaît un réchauffement climatique deux fois plus élevé que la moyenne mondiale, et ce de façon persistante depuis 30 ans, selon un nouveau rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), agence spécialisée de l’ONU. Les entreprises et économies européennes risquent de particulièrement souffrir des changements et phénomènes extrêmes que ce réchauffement entraîne.

Alors que près de 100 chefs d’Etat et de gouvernement se retrouvent en Egypte, à Charm e-Cheikh, pour la 27e conférence mondiale sur le climat (COP) de l’ONU, la pression augmente pour renforcer leurs engagements climatiques face à un réchauffement. Selon Simon Stiell, le patron de l’ONU-Climat, de toutes les crises qui secouent le monde (invasion de l’Ukraine, inflation galopante et menace de récession, crise énergétique ou alimentaire), “aucune n’a autant d’impact que la crise climatique. Et la crainte est que nous perdions un autre jour, une autre semaine, un autre mois, une autre année: nous ne pouvons pas nous le permettre”.

Malgré l’urgence, on craint une reculade

Malgré l’urgence évidente, les engagements actuels des pays sont pourtant loin d’être à la hauteur des objectifs de l’accord de Paris de 2015, pierre angulaire de la diplomatie climatique. Soit contenir le réchauffement de la planète “nettement” sous +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, et si possible à +1,5°C. Les dernières “contributions nationales”, si elles étaient pleinement respectées, laisseraient au mieux le monde sur une trajectoire de +2,4°C d’ici la fin du siècle, selon l’ONU. Et avec les politiques menées actuellement, c’est même un catastrophique +2,8°C qui se profile. Symbole de la “reculade” que beaucoup disent craindre, seuls 29 pays ont déposé depuis la COP de 2021 des plans de réductions rehaussés, alors même qu’ils avaient adopté un “pacte” les appelant à le faire. Autre point peu encourageant: les deux principaux pollueurs mondiaux, Chine et États-Unis, dont la coopération est cruciale, seront très discrets, voire absents, lors de cette COP27.

L’année 2022 signe la fin des oeillères

Le dérèglement climatique est pourtant de plus en plus visible. Des inondations historiques au Pakistan aux canicules répétées en Europe, en passant par la sécheresse dans la Corne de l’Afrique, en 2022, la planète a été victime d’une avalanche d’événements extrêmes,

“Nous savons que certains de ces désastres n’auraient pas été aussi graves sans le changement climatique”, a commenté Friederike Otto, climatologue à l’Imperial College de Londres. “S’il y a bien une année où il faut réduire en lambeau et brûler les oeillères qui empêchent l’action climatique, c’est 2022”, a ajouté Dave Reay, de l’Université d’Edimbourg. D’autant plus que “limiter le réchauffement à 1,5°C est désormais à peine du domaine du possible”, selon le patron de l’OMM, Petteri Taalas. “C’est déjà trop tard pour de nombreux glaciers et la fonte va se poursuivre pendant des centaines voire des milliers d’années, avec des conséquences majeures sur l’approvisionnement en eau”, a-t-il ajouté.

Et les nouvelles ne sont pas meilleures du côté de l’élévation du niveau des océans, principalement liée à la fonte des calottes glaciaires. Le niveau des océans est aussi à un “record” en 2022, avec une hausse de 10 mm depuis janvier 2020, soit 10% de la hausse enregistrée depuis le début des mesures par satellite il y a près de 30 ans. Et le rythme d’élévation a doublé depuis 1993.

Avec une température moyenne estimée de 1,15°C supérieur à celle de l’ère préindustrielle, l’année 2022 devrait cependant se classer “seulement” à la cinquième ou sixième place de ces années les plus chaudes, en raison de l’influence inhabituelle, pour une troisième année consécutive, du phénomène océanique La Niña qui entraîne une baisse des températures. “Mais cela ne renverse pas la tendance de long terme; c’est seulement une question de temps avant qu’il y ait une nouvelle année plus chaude”, insiste l’OMM.

Preuve s’il en est de cette tendance, “les huit années de 2015 à 2022 seront probablement les huit années les plus chaudes enregistrées”, a estimé l’Organisation, qui publiera son évaluation définitive en 2023. La température moyenne sur la décennie 2013-2022 est estimée à 1,14°C au-dessus de celle de l’ère préindustrielle, contre 1,09°C sur la période 2011-2020.

L’Europe se réchauffe plus vite que le reste du monde

Loin d’être épargnée, l’Europe serait même le continent qui fait face au réchauffement le plus important. Du rapport sur l’état du climat en Europe, élaboré conjointement par l’OMM et le Service Copernicus de surveillance du changement climatique (C3S), il ressort que les températures ont subi une élévation considérable de +0,5 °C par décennie depuis 1991. Or la science a prouvé que chaque dixième de degré multiplie les événements météorologiques extrêmes.

Selon les projections présentées dans le sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (AR6 du Groupe de travail I du GIEC), les catastrophes naturelles d’origine météorologique, hydrologique et climatique devraient augmenter à l’avenir en Europe plus qu’ailleurs puisque, quelle que soit la progression du réchauffement climatique, dans toutes les régions de l’Europe, l’élévation des températures sera plus forte que la moyenne planétaire, comme on a pu l’observer jusqu’ici.

Si l’Europe est plus à même de faire face à ces changements que d’autres continents (75% de la population est protégée par des systèmes d’alerte précoce efficaces), les dégâts n’en sont pas moins colossaux puisque même les sociétés bien préparées ne sont pas à l’abri des conséquences des phénomènes météorologiques extrêmes précise encore le rapport. Ainsi, rien qu’en 2021 et en Europe, des phénomènes météorologiques et climatiques à fort impact ont provoqué des centaines de décès, touché directement plus d’un demi-million de personnes et causé des dommages économiques dépassant 50 milliards de dollars (51.454 milliards de dollars exactement) principalement à cause des inondations (55%) ou de tempêtes (29%).

Répercussion aussi dans l’économie

Au-delà du danger direct et bien réel pour la population (hausse des décès, des allergies, de certaines maladies), ces phénomènes extrêmes et ce réchauffement se répercuteront aussi dans l’économie, notamment le domaine du transport et ses infrastructures particulièrement vulnérables. Celles-ci sont menacées tant par le changement climatique progressif que par des phénomènes extrêmes (tels que les canicules, les pluies torrentielles, les vents violents, l’élévation du niveau de la mer et les vagues extrêmes). “De nombreuses infrastructures de transport, parce qu’elles ont été construites en fonction des valeurs limites pertinentes à l’époque pour divers phénomènes météorologiques, ne peuvent pas résister aux conditions extrêmes actuelles”, précise encore ce même rapport.

Seule bonne nouvelle, selon Carlo Buontempo, directeur du C3S qui dépend du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), “si la société européenne est vulnérable à la variabilité du climat et au changement climatique, le continent est également aux avant-postes des activités internationales menées pour atténuer le changement climatique et élaborer des solutions novatrices pour s’adapter au nouveau climat qui attend l’Europe”. Ainsi un certain nombre de pays européens ont très bien réussi à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Rien que dans l’Union européenne, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 31% entre 1990 et 2020 et l’objectif est d’atteindre 55% d’ici 2030 et des émissions nettes nulles à l’horizon 2050. Les contributions déterminées au niveau national (CDN) incarnent les efforts que déploie chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s’adapter aux effets du changement climatique. En mars 2022, 51 pays européens et l’UE avaient soumis une CDN.

Le financement des dégâts climatiques enfin officiellement à l’agenda de la cop 27

La question du financement des dégâts inévitables déjà causés par le changement climatique, “loss and damage”, ou préjudices dans le jargon des négociations, va enfin être abordée très officiellement lors de la COP27. Un point auquel tenaient particulièrement les pays pauvres et vulnérables, peu responsables du réchauffement, mais très exposés à ses conséquences dévastatrices. Jusqu’à présent les pays riches, États-Unis en tête, y étaient très réticents. Cette réticence faisant de ce sujet, pourtant considéré comme le “troisième pilier” de l’action climatique, un point ultra-sensible. Il est vrai que les coûts qu’entraînent les phénomènes météorologiques extrêmes s’élèvent le plus souvent en dizaine de milliards de dollars et devraient croître fortement à l’avenir. Par exemple, ils s’élèvent à plus de 30 milliards pour les récentes inondations qui ont mis sous l’eau un tiers du Pakistan. “Les deux semaines de négociations seront maintenant cruciales pour permettre d’aboutir à une décision concrète sur un mécanisme de financement structurel pour aider les victimes du dérèglement climatique”, précise encore Rebecca Thissen, chargée de recherche en justice climatique et développement durable au CNCD-11.11.11. La COP27 ne débouchera cependant pas sur une décision, les discussions devant se poursuivre à horizon 2024.

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