L’ère des robomobiles est proche

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Les voitures autonomes, ou robomobiles, arriveront après 2020. C’est une certitude, assurent les experts de l’automobile, de l’assurance et de la sécurité routière, réunis pour la cinquième édition de la Trends Summer University, à Knokke. Et elles seront peut-être même gratuites.

L’industrie automobile va aborder un virage historique avec l’arrivée de la voiture autonome. C’est l’avis des participants de la table ronde qui s’est tenue durant la Trends Summer University, à Knokke, le 10 juin dernier. Jean-Philippe Parain, CEO de BMW Belgique Luxembourg a avancé : “Proposer la conduite autonome va devenir un claim marketing très important, surtout que pour les constructeurs allemands, la concurrence entre BMW, Audi et Mercedes est féroce. Cela entraîne des avancées technologiques.”

Pour aborder ce sujet, Trends-Tendances avait invité Franck Cazenave, marketing & development director chez Robert Bosch et auteur du livre Stop Google (Editions Pearson). Il a ouvert le débat avec un keynote speech précis et parfois provoquant. Le débat a réuni également Jean-Paul Renaux, CEO de Renault Belgique Luxembourg, son homologue chez BMW, Jean-Philippe Parain, Eric Kleijnen, CEO de Belfius Insurance, et Karin Genoe, administrateur délégué de l’IBSR (sécurité routière fédérale).

Mieux vaut parler de “robomobile”

Pour Franck Cazenave, la voiture autonome va introduire un bouleversement encore peu mesuré. ll pourrait peser sur la compétitivité des pays. “Si nous ne sommes pas capables d’introduire la robomobile au moins en même temps qu’aux Etats-Unis, nous allons souffrir économiquement.” Il préfère du reste parler de robomobile car le terme de voiture autonome lui paraît ambigu : “Les Américains ne parlent pas d’autonomous car, mais de self-driving car”, justifie-t-il.

En quoi les Américains seraient-ils avantagés s’ils nous devançaient avec la robomobile ? “Si un Américain passe une heure et demie de son temps en voiture pour aller travailler et qu’il prend une robomobile, ce temps perdu à conduire lui sera libéré, il pourra dormir, s’instruire, aller sur Internet, travailler. Cela va créer un enjeu de productivité.” A terme, les Américains bénéficieraient d’un avantage compétitif car la robomobile peut se transformer aisément en bureau. Elle peut aussi faciliter le déplacement de personnes sans permis ou sans capacité de conduire.

La pression pour sortir une robomobile est accentuée par les investissements de Google dans ce domaine. Ce dernier pourrait intéresser le public à la voiture autonome en proposant dans certaines villes un service gratuit. “La mobilité pourrait alors être payée par la pub, avance Franck Cazenave. Vous indiquez à la voiture que vous voulez acheter une paire de chaussures, elle vous emmène vers les magasins qui ont payé pour vous faire venir. Google est champion de la mise en relation sur Internet, il pourrait jouer le même rôle dans le monde réel.”

Encore cinq à 10 ans à attendre

Avant d’en arriver là, les constructeurs, les équipementiers, les législateurs, les assureurs ont encore beaucoup de travail à accomplir. Le moment précis où les premières robomobiles arriveront est encore flou. Franck Cazenave souligne dans son exposé que l’on parle uniquement des voitures qui roulent toutes seules, sans intervention, même temporaire, d’un conducteur. “Il y a une certaine confusion sur le sujet, les constructeurs parlent parfois de voitures autonomes lorsqu’il y a des délégations temporaires de la conduite au véhicule. Pour moi on ne peut parler de voiture autonome, ou plutôt de robomobile, que si elle correspond au niveau 5 de l’automatisation d’un véhicule.” Les autres niveaux concernent des voitures qui disposent par exemple d’un cruise control ou de dispositifs très automatisés où le conducteur intervient toujours, même ponctuellement.

Franck Cazenave voit arriver la voiture autonome d’ici à peine quatre ans. “On peut imaginer que l’on verra arriver des urban pods (véhicules à deux places) d’ici 2020. Cela dépendra de la volonté des acteurs.” Pendant le débat qui a suivi son intervention, les autres intervenants la voyaient arriver un peu plus tard. En 2025 pour BMW. Jean-Paul Renaux, patron de Renault Belgique, ne voit pas de commercialisation avant 2022 ou 2023.

La 2 CV de ma grand-mère

La robomobile sera le résultat d’un big bang numérique qui touche déjà les voitures actuelles. “La 2CV de ma grand-mère était composée uniquement de pièces mécaniques et hydrauliques, illustre Franck Cazenave. La voiture moderne compte une quarantaine de calculateurs. Et une dizaine de mems (microsystème électromécaniques), qui peuplent aussi les smartphones, comme l’accéléromètre qui permet de compter les pas ou de tourner l’écran en repérant le mouvement.”

L’automatisation est l’évolution de la numérisation complète de la voiture. Trois révolutions sont à l’oeuvre. L’électrification de la motorisation, d’abord. “La motorisation électrique va s’imposer car il n’est pas très difficile de respecter la future norme Euro 7, mise en oeuvre vers 2021, avec les moteurs actuels, il faudra soit des hybrides soit des voitures 100 % électriques”, explique Franck Cazenave. Deux : la voiture sera connectée, pour que l’on puisse lui envoyer des informations sur le trafic, sur la mise à jour de la cartographie. “De toute manière la connexion à Internet va déjà devenir obligatoire avec l’adoption de l’e-call (le dispositif pour appeler les secours en cas d’accident, Ndlr) sur toutes les voitures en 2018. Il y aura une carte SIM dans chaque voiture.”

La cartographie doit être plus précise

La troisième révolution est l’effet de l’association de plusieurs technologies. La conduite de la voiture va pouvoir se robotiser. D’abord les capteurs pour “lire” l’environnement : radars, caméras, laser (lidar), “en redondance car si un capteur tombe en panne, le véhicule doit continuer à comprendre son environnement”.

“Le GPS civil utilisé actuellement a une précision de 5 à 20 mètres, il est impossible par exemple de savoir sur quelle voie de circulation se situe le véhicule”, explique Franck Cazenave. Pour avoir une précision suffisante pour la conduite automatisée, il faut ajouter une centrale dans le véhicule, des capteurs pour re-connaître l’environnement et aussi une cartographie en trois dimensions. L’enjeu est déterminant. C’est ce que développe Google Maps. La dernière fois que Google a fourni des données à ce sujet, en 2013, il indiquait avoir cartographié 10 millions de km de routes en 3D. Il faut savoir que l’Europe représente 5 millions de km de routes asphaltées. L’an passé le système de cartographie de Nokia, Here, a été racheté par Daimler, Audi et BMW, car les constructeurs allemands premium tiennent à être indépendants sur cet élément-clé.”

Le coeur de la voiture : le système qui prendra les décisions de conduite

Le coeur de la voiture robotisée ne sera pas le moteur mais le système qui va intégrer les données en temps réel et prendre les décisions de conduite. “C’est là que l’intelligence artificielle intervient, ce sera le nerf de la guerre. Faire des capteurs, beaucoup savent le faire. Mais peu d’acteurs parviendront à mettre au point un système capable de prendre des décisions de conduite en temps réel, soutient Franck Cazenave. Ici aussi, c’est Google qui est à la manoeuvre et d’autres acteurs de l’industrie automobile qui ne tiennent pas à être dépendants. ”

Pour Franck Cazenave, la robomobile n’est pas seulement un nouveau type de voiture. Mais elle représente aussi un nouveau business model. “Il y aura un changement de paradigme, avance-t-il. Si vous avez une voiture qui roule toute seule, que vous pouvez commander en touchant une icône de votre smartphone, comme vous commandez aujourd’hui une voiture Uber, aurez-vous encore besoin d’avoir un véhicule dans votre garage ? Cela va entraîner la propagation d’un système de paiement à l’usage… s’il y a un paiement.” C’est là que Franck Cazenave évoque l’idée que Google pourrait faire des offres de trajets gratuits, rémunérés par les magasins vers lesquels sont transportés les clients. ” Il existe déjà un tel service à Los Angeles, Waivecar, qui va proposer 200 voitures à utiliser gratuitement, rémunérées par la publicité”, note-t-il.

Google : risque et menace

L’orateur insiste fort sur le poids et l’appétit de Google. Ce dernier est prêt à rentrer dans un marché qui était jusqu’ici très fermé. Hormis Tesla, les constructeurs sont tous plus ou moins historiques (Ford, Renault, Toyota, etc.), les nouveaux venus sont rares, minuscules ou éphémères. Google, lui, a énormément investi dans la voiture à conduite automatique. En adaptant des modèles existants, des Lexus ou des Toyota Prius notamment, et en faisant fabriquer des pods sans volant, testées aux Etats-Unis en situation réelle. Le rôle de Google reste encore mystérieux et intrigue les états majors des constructeurs. Fournisseurs de technologie pour constructeurs ? Il tâte le terrain avec Fiat Chrysler. Fabricant de voitures, notamment en proposant l’usage gratuit payé par les magasins, les annonceurs ? Les changements technologiques ouvrent la porte à des nouveaux acteurs, et Google a des moyens énormes, supérieurs à ceux des constructeurs automobiles. “Google est né seulement en 1999, et est parvenu en peu de temps à prendre 10 % du marché mondial de la publicité, qui pèse environ 600 milliards de dollars”, relève Franck Cazenave. En provoquant d’importants dégâts dans les médias, qui ont perdu une part de leurs recettes publicitaires au profit de Google. Leur sort est une leçon pour les constructeurs…

“J’avais le sentiment d’être face à Big Brother”

Durant le débat, le CEO de Belfius Insurance Eric Kleijnen a confirmé combien les ambitions de Google étaient immenses. “J’ai eu l’occasion d’assister à un exposé d’un représentant de Google au sujet de la voiture autonome. Il expliquait, en gros, que tous les métiers liés directement ou indirectement à l’automobile allaient disparaître ou être absorbés par Google. J’avais le sentiment d’être face à Big Brother.”

Les constructeurs se montrent donc très prudents quant à d’éventuelles collaborations avec Google. “Les grands fabricants se préparent à la robomobile et effectivement il y a deux possibilités : soit se faire manger par ceux qui vont plus vite, soit réagir. Beaucoup de constructeurs s’organisent pour que ce ne soit pas Google qui prenne leur place dans cette vision de l’automobile”, lance Jean-Paul Renaux, CEO de Renault Belgique. Ce propos reflète celui de Carlos Ghosn, CEO du groupe Renault, qui s’est toujours montré distant avec Google. “Nous ne voulons pas juste devenir des fournisseurs de carrosserie”, avait-il résumé.

“Nos clients aiment conduire”

Le CEO de BMW Belgique, Jean-Philippe Parain, conteste quant à lui le caractère inéluctable de la robomobile. Il n’est pas persuadé que demain, dans 10 ou 20 ans, les nouvelles voitures n’auront plus de volant, qu’il n’y aura plus de conducteur. Il est vrai que la marque bavaroise mise une bonne partie de son marketing sur le plaisir de conduire. “Le client voudra avoir le choix, explique-t-il. Lorsque vous roulez sur le ring à 7h30 du matin, que ça bouchonne, il n’y a aucun plaisir à conduire, il est alors intéressant d’offrir la possibilité au conducteur de faire autre chose, de consulter les médias, pendant que la voiture avance en conduite robotisée. Tandis qu’à d’autres moments, il reprend le volant avec l’aide de services numériques.”

Franck Cazenave estime que cette conduite hybride, tantôt robotisée, tantôt manuelle, pourrait ne pas être économiquement viable. “Une voiture robotisée aura moins d’accidents, la prime devrait être minime. En revanche celle d’une voiture qui peut être conduite manuellement montera en flèche. On aura peut-être quelques privilégiés qui utiliseront ce type de véhicule, le reste de la population roulera en véhicules totalement automatiques.”

“La voiture robotisée est autorisée en Belgique, à condition que…”

A côté de ces débats techniques ou pratiques, il reste encore à déblayer le terrain réglementaire et des assurances. Pour l’heure, une voiture totalement robotisée n’est pas autorisée en Belgique ou dans beaucoup de pays européens. “Une voiture robotisée est autorisée en Belgique, à la condition qu’un conducteur soit à même de prendre le contrôle”, a expliqué Karin Genoe, administrateur délégué de l’Institut belge pour la sécurité routière (IBSR). La voiture sans volant n’est donc pas encore autorisée.

Côté assurance, il reste à voir si la prévision sur la baisse des accidents est réaliste. “Nous ne pensons pas que les accidents vont totalement disparaître, avance Eric Kleijnen, de Belfius Insurance. Dans la majorité des cas, la responsabilité d’un accident incombe au conducteur, si la voiture est automatisée, elle pourrait incomber à la technologie, aux fournisseurs. Ce seront des choses à examiner.”

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