L’embouteillage comme lieu de travail

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Colruyt, avec la collaboration de la Région flamande, teste actuellement un nouveau moyen visant à améliorer la mobilité de ses travailleurs. Un car “full” équipé permet aux employés de commencer leur journée de travail dès les embouteillages.

S’il y a bien une discipline dans laquelle notre plat pays excelle, ce sont les bouchons. Chaque matin, vous êtes des dizaines de milliers à être bloqués durant des heures entre deux parechocs. Une spécialité belge, qui est d’ailleurs reconnue au niveau européen. Selon une étude menée par Trafic Scorecard, on retrouvait la Belgique à la première place des pays les plus embouteillés en 2015.

Avec pareille statistique, les heures perdues à ne rien faire sont colossales. Une étude flamande montre que 30 % des travailleurs doivent parcourir au moins 30 minutes de trajet pour se rendre au travail et presque 10 % une heure. Alors pourquoi ne pas tenter de rentabiliser ce temps passé assis à ne rien faire ou presque ? C’est à cette question que le groupe Colruyt et la Région flamande ont tenté de s’attaquer. Ils ont en effet décidé de tester, depuis la mi-septembre, un nouveau projet baptisé Office on Wheels. Durant six mois, un car est mis à la disposition de travailleurs vivant à Gand et se rendant tous les jours au siège du discounter, à Halle. L’originalité du concept vient du fait que le car est aménagé de sorte que les employés puissent travailler dans le bus et ainsi ne plus perdre de temps sur le chemin du travail. Tables, wi-fi, accès à Internet (et à l’intranet) et même machine à café sont à la disposition des travailleurs, afin qu’ils se sentent, autant que possible, comme au bureau. “C’est sûrement le rêve de chacun : pouvoir commencer sa journée de travail dès le moment où on se met en route vers le bureau”, sourit Philippe Muyters, ministre flamand de l’Economie et de l’Innovation qui a apporté son soutien au projet.

Déjà un succès

Si le car ne peut accueillir que 24 employés, le concept marche déjà fort et semble être apprécié par les travailleurs. “Une centaine de personnes ont tenté l’expérience. Il faut d’ailleurs s’inscrire pas mal de temps à l’avance pour être sûr d’avoir une place. Par exemple, pour la semaine prochaine, il ne reste de la place que pour vendredi, explique Eric Van Kerkhove, copywriter chez Colruyt et adepte d’Office on Wheels. C’est une bonne idée, cela permet de gagner du temps. Nos heures dans le bus sont d’ailleurs considérées comme prestées de manière classique au bureau et donc payées comme des heures normales”, poursuit le travailleur. Et comme les embouteillages sont longs, l’intérêt du bus-bureau est bien réel. “Nous démarrons à 7h30 de Gentbrugge et repartons à 16h15 avec, à chaque fois, 1h30 de trajet”, précise Eric Van Kerkhove. Néanmoins, avec un départ aussi tôt dans l’après-midi, il n’est pas possible pour tous les travailleurs de reprendre quotidiennement le bus. Néanmoins, Eric apprécie ce nouveau moyen de transport, lui permettant de gagner du temps avec sa famille. “Je rentre plus tôt à la maison et je peux même parfois aller chercher mes enfants à l’école, c’est très appréciable”, lance l’employé.

Une émission de CO2 divisée par six

Outre l’avantage pour les travailleurs, qui ne sont plus bloqués dans leur voiture, l’intérêt est évidemment écologique comme le souligne encore Eric Van Kerkhove. “Chaque jour, on retire 24 voitures de l’embouteillage avec un seul bus. Si d’autres entreprises s’y mettaient, cela pourrait véritablement constituer une partie de la solution aux problèmes de mobilité et de pollution.” Le calcul effectué par l’entreprise est d’ailleurs clair : pour chaque bus rempli, c’est une file de 120 m de voitures en moins sur les routes et une émission de CO2 divisée par six en moyenne. Néanmoins, les autoroutes fluides, sur lesquelles seuls des cars de travailleurs roulent, ce n’est pas encore pour tout de suite. Un tel concept est en effet difficilement applicable à toutes les entreprises puisqu’il faut un nombre relativement important de travailleurs effectuant le même trajet. “Le modèle se prête bien aux grosses entreprises comme la nôtre. Mais rien que chez Colruyt, qui compte des milliers de travailleurs, le concept pourrait être étendu, ce que croit d’ailleurs Eric. Les gens ont accroché dès la première semaine de test. Si le concept venait à se prolonger je crois qu’il serait largement suivi par les travailleurs.”

Colruyt à la pointe de la mobilité alternative

Le distributeur de Halle est visiblement concerné par la mobilité de ses salariés. L’entreprise dispose d’une série de solutions : elle a par exemple lancé des bureaux provinciaux partagés permettant à l’occasion aux travailleurs de ne pas effectuer le trajet jusque Halle. “Le bus, c’est en quelque sorte un nouveau bureau provincial mais sur roues”, s’amuse Eric Van Kerkhove. Colruyt a également mis en place un système de covoiturage et propose aussi des vélos à ses travailleurs. Un véritable succès puisqu’ils sont déjà plus de 3.000 à se déplacer en bicyclette griffée Colruyt. Les plus méfiants s’inquiéteront du fait de travailler dans un véhicule en marche. “J’avais également quelques craintes mais au final cela ne pose aucun problème, même lorsqu’on est sur les places dos à la route. On fait en très grande partie de l’autoroute avec peu de virages. La vitesse est également assez réduite en raison des embouteillages”, explique l’employé.

Un filon à développer

Pour mener à bien ce projet, Colruyt a pu compter sur le soutien du gouvernement flamand qui a apporté un budget de 330.791 euros. Le ministre flamand de l’Economie et de l’Innovation Philippe Muyters croit en effet en ce type d’initiative. “Il y a une vraie demande, il suffit de voir le nombre de participants. Mais le projet a également de l’attrait car le bus est utilisé pendant la journée pour donner des formations itinérantes. Cette double utilisation est cruciale sinon le bus serait trop onéreux”, explique le ministre N-VA. “Un véritable business pourrait d’ailleurs se créer dans ce secteur. En tant que ministre de l’Innovation, je soutiens les premiers pas mais je suis sûr qu’il y a de la place pour créer un véritable modèle de transport de la sorte.” Et quand on voit que les embouteillages commencent dès la sortie du parking de Halle, on se dit, qu’effectivement, il y a des possibilités de développement.

ARNAUD MARTIN

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