L’e-commerce encore sous-exploité par les marques de luxe

BURBERRY, LE BON EXEMPLE DE STRATÉGIE OMNICANAL La marque britannique a son « webshop » et est présente sur Net-a-Porter, mais tous ses canaux traditionnels restent impliqués dans le processus. © PG

Désormais présentes sur la Toile pour assurer leur marketing ou gérer l’interaction avec leurs clients, les grandes marques de luxe se montrent en revanche plus frileuses au moment de franchir l’étape de la vente en ligne. Une stratégie bien pensée devrait pourtant leur faire gagner des parts de marché.

Cachez ce Web populaire que je ne saurais voir… Tel était encore le discours des grandes marques de luxe il y a quelques années. Avec en toile de fond la crainte qu’une présence en ligne ne vienne dégrader leur image. Comment créer le rêve sur Internet ? Une présence online n’allait-elle pas anéantir un business model basé sur une distribution sélective destinée à exacerber l’inaccessibilité ? Autant de questionnements qui ont retardé l’arrivée des acteurs du luxe dans l’univers digital. Retardé, seulement. Car aujourd’hui, les grandes maisons ont compris l’importance de la digitalisation.

” Elles se sont rendu compte que les consommateurs étaient de plus en plus connectés, y compris leurs clients, souligne Isabelle Schuiling, professeur de marketing à la Louvain School of Management et coauteure d’une étude sur les stratégies digitales des marques de luxe. En Chine, leur marché de référence, les consommateurs de luxe sont globalement plus jeunes et bien plus connectés que chez nous. Par ailleurs, les marques ont compris qu’il était tout à fait possible de véhiculer les idées de luxe et de rêve sur Internet. ”

Expérience client ” décevante ”

Les enseignes ont donc tour à tour ouvert une plateforme en ligne et investi les réseaux sociaux. Elles y interagissent avec leurs clients, postent des vidéos, exposent leurs collections, fournissent des conseils… Mais si la plupart ont bien négocié le tournant digital au niveau marketing, il est une activité pour laquelle les mastodontes du luxe accusent encore un gros retard : l’e-commerce.

D’après le dernier baromètre ” luxe et digital ” du cabinet de conseil Kurt Salmon associé à l’agence Uptilab, la vente en ligne et l’omnicanal restent encore inexploités par les grandes maisons du luxe. ” Les marques se rattrapent en partie puisque deux tiers des enseignes auditées par notre étude ont mis en place la vente en ligne, peut-on lire sur “Le blog du retail” de Kurt Salmon. Mais une forte disparité demeure cependant entre les différentes catégories de marques : si 80 % des marques multi-catégorielles proposent un service d’e-commerce, seulement 30 % des grands noms de l’horlogerie-joaillerie se sont lancés dans l’aventure. Le baromètre pointe par ailleurs une qualité de l’expérience client e-commerce ” décevante “. ” Plusieurs services de base manquent à l’appel – un paradoxe pour des enseignes où l’expérience client in store est exceptionnelle. ” D’après l’étude, seuls 50 % des sites offrent la livraison gratuite, et la livraison sous 24 heures n’est disponible que chez 60 % des enseignes. ” Concernant la possibilité d’un remboursement après achat online, seules trois marques (Burberry, Chaumet et Louis Vuitton) rassurent en ligne leurs clients sur la possibilité de rendre et/ou échanger l’article en boutique, et 80 % des enseignes ne permettent pas de renvoyer gratuitement un achat. ”

Conflits de canaux avec les revendeurs

Comment expliquer cette sous-exploitation de la vente en ligne par les grands noms du luxe ? ” Il y a tout d’abord le fait que la distribution, dans ce domaine, se fait de manière exclusive ou sélective, explique Gino Van Ossel, professeur de retail marketing de la Vlerick Business School. Il est par ailleurs important d’éviter des guerres de prix sur les marques de luxe. Or dès qu’on vend sur Internet, le prix consommateur devient visible par tous. ”

Pour cet observateur, certaines marques de luxe n’auraient tout simplement pas d’intérêt à se lancer dans l’e-commerce. ” Chez Rolex par exemple, la plupart du chiffre d’affaires se fait quand un client va acheter une montre une fois dans sa vie. La vraie satisfaction, c’est le désir. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de vendre les montres par Internet. Par contre, pour d’autres marques, le consommateur a évolué et il est donc essentiel de vendre en ligne, au risque de perdre des parts de marché. ”

Une marque peut dans un premier temps aider ses revendeurs à développer leurs webshops. ” Mais le tout est de savoir dans quelle mesure elle peut lier son sort à ses clients retailers actuels, en sachant que les gagnants de demain seront peut-être différents de ceux d’aujourd’hui “, écrit notre expert dans son livre Omnichannel dans le retail, la réponse à l’e-commerce. Et Gino Van Ossel de poser cette question : ” Est-il intelligent de livrer aux pure players ou de lancer un webshop propre, risquant de provoquer des conflits de canaux avec les clients retailers actuels ? ” C’est sans doute là un autre frein à l’e-commerce pour les acteurs du luxe. Un élément d’explication, aussi, au fait que certaines enseignes se refusent toujours à vendre leurs articles sur le webshop multimarque Net-a-Porter, le ” Zalando du luxe “.

Burberry, roi de l’omnicanal

Ces différents défis doivent-ils pour autant cantonner les acteurs du luxe à leurs boutiques ? Pas du tout, d’après Gino Van Ossel, qui prédit au secteur le même destin qu’au retail dans son ensemble : une évolution inéluctable vers l’omnicanal. ” Ce sera beaucoup plus facile et efficace de faire de l’omnicanal que de l’e-commerce pur, dit-il. Prenez Burberry (l’enseigne britannique est très avancée dans le digital, Ndlr), c’est un très bon exemple de stratégie omnicanal. Elle a son webshop, est présente sur Net-a-Porter, mais tous ses canaux traditionnels restent impliqués dans le processus. Burberry fait déjà de la concurrence à ses distributeurs multimarques, mais désormais l’enseigne va aussi impliquer ses revendeurs indépendants dans sa stratégie omnicanal. Cet exemple de réussite démontre que c’est possible. Et il y a plus de marques de luxe qui ressemblent à Burberry qu’à Rolex… ”

JÉRÉMIE LEMPEREUR

LES QUATRE COMMANDEMENTS DU LUXE EN LIGNE

Une étude de la Louvain School of Management (UCL) consacrée aux stratégies digitales des marques de luxe relève quatre bonnes pratiques destinées à soutenir le transfert des codes de ces marques sur les médias digitaux.

COHÉRENT, TU SERAS

Le contenu communiqué sur Internet doit respecter l’identité et l’essence de la marque. Cette cohérence doit s’appliquer à tous les canaux, même s’il est important pour une marque d’adapter le contenu de sa communication au média auquel elle a recours.

DES INFORMATIONS UTILES ET RASSURANTES, TU FOURNIRAS

Plan du site, moteur de recherche interne, histoire de la marque, vision et valeurs soutenues, vidéos et musiques, résultats financiers, structure organisationnelle et informations relatives au recrutement… Autant de petits détails qui permettent au client d’apprécier sa visite.

L’INTERACTIVITÉ, TU PERMETTRAS

La marque veille à fournir une adresse e-mail de contact, l’adresse du siège ainsi qu’un numéro de téléphone. Elle peut offrir une interaction plus personnalisée en demandant aux utilisateurs de s’identifier. Elle peut enfin restreindre l’accès à certaines parties du site à quelques privilégiés, recréant ainsi l’exclusivité.

TON “WEBSHOP”, TU OPTIMALISERAS

Il est important de transférer les codes du luxe et l’atmosphère des boutiques sur le site. La marque peut par ailleurs permettre au client de créer une whishlist et de personnaliser les produits. Les informations commerciales (prix, conditions de paiement, frais de transports, politique de remboursement, etc.) doivent être transparentes. La marque fera enfin le lien avec ses points de vente physiques.

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