L’Aventure du cinéma VIP

En rachetant et rénovant un cinéma poussiéreux du centre-ville de Bruxelles, l’homme d’affaires Max-André Willick, à la tête d’une firme de produits surgelés, invente un concept : les salles VIP destinées au plus de 30 ans. Comment et à quel prix ?

En rachetant et rénovant un cinéma poussiéreux du centre-ville de Bruxelles, l’homme d’affaires Max-André Willick, à la tête d’une firme de produits surgelés, invente un concept : les salles VIP destinées au plus de 30 ans. Comment et à quel prix ?

“J’avais le choix entre jouer au golf ou réaliser ce rêve fou d’ouvrir un cinéma”, ironise Max-André Willick, qui a présidéà la réouverture de L’Aventure, à Bruxelles, en février dernier. Une renaissance que l’on doit à l’initiative de cet homme d’affaires de 66 ans qui après le rachat des murs avait d’abord songéà une simple opération de spéculation immobilière. “J’avais eu le pressentiment que ce quartier du centre-ville allait retrouver son dynamisme, ce qui se confirme aujourd’hui. Il était question d’en faire un casino mais j’ai trouvé plus excitant de développer ce concept de cinéma VIP, inédit chez nous.”

Des salles luxueuses dotées d’un équipement dernier cri, un accueil personnalisé pour des fauteuils XL dignes d’un vol en classe affaires et surtout l’absence de comptoirs à friandises et de distributeurs de sodas pour renouer avec le silence… “J’ai découvert ce type de cinéma ultra confort il y a quelques années à Orlando. Je me suis demandé pourquoi cela n’existait pas ici. Il y a toute une partie du public qui a fini par déserter les salles obscures. Je ne crois pas être le seul àêtre excédé par les seaux de pop-corn renversés entre les rangs ni par les téléphones mobiles qui vibrent en plein milieu du film. J’ai imaginé cette renaissance de L’Aventure pour renouer avec le plaisir de faire du cinéma une vraie sortie et pas seulement comme un lieu de consommation.”

Tout voir, tout comprendre
Une profession de foi qui fait sourire quand on sait que le grand-père de Max-André Willick fut en 1950 le fondateur des crèmes glacées Artic dont la marque resta longtemps indissociable des avant-programmes des cinémas belges. J’ai été baigné par l’ambiance des salles obscures, explique ce féru de comédies musicales et de films à grand spectacle. Les frères Rham, qui étaient les associés d’Arctic à l’époque où mon père a repris le flambeau, possédaient quantité de cinémas mythiques à Bruxelles comme le Variétés, le Victory ou le Cinevox ; tous ont fermé.”

Une vraie histoire de famille que ce label Artic où Max-André est rentréà 21 ans pour y gravir tous les échelons jusqu’au poste d’administrateur délégué avant la revente de la société en 1978 au groupe américain Beatrice Foods. En 1979, il fonde CEGES, une société spécialisée dans l’import de produits surgelés (12,5 millions de CA), dont il détient 60 % des parts et qu’il dirige encore aujourd’hui avec ses frères et son fils.

Pour cet amateur de 7e art, le relooking de l’Aventure commence par Arbemax, une sprl qu’il crée fin 2007 avec trois amis de longue date. “Deux d’entre eux sont des associés passifs, le troisième, Bernard Stevens, s’est consacré au montage financier”, précise l’homme- orchestre.

Il effectue ensuite lui-même la tournée des foires internationales, d’Amsterdam à Las Vegas, afin de choisir le matériel qui équipera les trois nouvelles salles de l’Aventure, tombées en complète désuétude. “Je suis quelqu’un de perfectionniste, je ne connaissais rien ou presque à ce milieu. J’ai voulu tout comprendre, du matériel de projection aux sièges, je n’ai rien délégué.” C’est lui qui a tenu à ce que le dernier rang des salles soient équipés de love seats, des sièges double dépourvus d’accoudoirs. Décidément choyé, le spectateur qui paie son entrée se voit offrir une coupe de champagne ou un produit maison, entendez un petit pot de glace d’une célèbre marque américaine, importée par CEGES…

“Notre identité repose sur le mot confort, nous ne pouvions sacrifier ni la qualité des sièges ni le niveau de projection qui est au top de ce qui se fait aujourd’hui.” Avec deux salles équipées en digital et 3D, le petit ciné de quartier peut rivaliser avec l’exigence d’un Kinepolis. A quel prix ? Le seul équipement 3D est estiméà 35.000 euros, auxquels il faut ajouter le coût d’achat des lunettes (entre 25 et 45 euros la paire selon les modèles) et, bien entendu, l’indispensable équipement numérique sans quoi la 3D dans sa version actuelle n’existerait pas ; c’est-à-dire un investissement de 100.000 euros par salle…

Heureusement, pour Arbemax, la facture de ce dernier poste a été sensiblement allégée par un système de leasing opérationnel, proposé par XDC, la société liégeoise devenue n°1 européen des services de cinéma numérique (lire aussi “Trends-Tendances” du 25 février dernier). “Notre contrat VPF (Virtual Print Fee), qui concerne une dizaine de salles en Belgique dont L’Aventure, permet aux exploitants de salles de s’équiper en digital à moindre coût, explique Fabrice Testa, directeur commercial de XDC. Nous proposons le financement mais aussi la formation et le suivi technique. Pour une somme forfaitaire de quelques centaines d’euros par mois, l’exploitant dispose d’une technologie de pointe.”

Au total, prix du bâtiment, transformations et aménagements compris, la facture des trois salles de L’Aventure s’élève à 1 million d’euros.

Comme il y a 50 ans…
Avec un ticket d’entrée lui aussi haut de gamme (entre 12 et 15 euros), une mise à disposition des espaces pour des événements privatifs, Max-André Willick espère arriver dès l’année prochaine à l’équilibre financier. “La programmation 3D qui enregistre de très bons résultats va devenir clairement notre cheval de bataille. Je n’ai rien contre les films d’auteur mais encore faut-il qu’ils remplissent les salles”, annonce sans détour l’homme d’affaires.

Un pronostic en rose qui à de quoi faire grimacer certains confrères… “Je ne vois pas très bien en quoi nous sommes une menace pour une enseigne comme UGC mais le groupe n’a pas apprécié notre arrivée sur le marché, leur hostilitéà notre égard n’est pas un secret”, lâche-t-il. Une attitude parmi d’autres qui a surpris l’exploitant néophyte. “Les distributeurs, chez qui nous nous approvisionnons en films, travaillent comme dans le monde de l’entreprise il y a 50 ans. Les procédures d’acquisition de copies sont lentes, compliquées, et soumises à des règles hétéroclites. Les uns veulent une avance non remboursable sur les recettes, les autres exigent une durée minimum de trois semaines d’exploitation, et d’autres refusent purement et simplement de vous céder un film que vous souhaitez mettre à l’affiche”, poursuit-il.

Le cinéma VIP de Max-André Willick pourrait bien voir le jour ailleurs en Belgique, lui qui avoue avoir “déjàété approché en ce sens”. Et si le happy end se transformait un jour en film catastrophe ? L’initiateur du concept reste serein : “Nous avons fait une très bonne opération immobilière. S’il faut revendre un jour, nous rembourserons notre mise.”. Rideau !

Antoine Moreno

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