L’autogestion ou quand les salariés deviennent leurs propres patrons
Quand les patrons décident d’abandonner leur entreprise, c’est souvent le signe d’une faillite. Dans certains cas pourtant, cette mauvaise nouvelle peut se transformer en formidable aventure: celle de l’autogestion.
Selon le Gresea (Groupe de Recherche pour une Stratégie Economique Alternative), la pratique serait “plutôt mal connue en Belgique“. On peut toutefois noter l’initiative des Maisons Médicales. En mai 1968, naît en effet la première Maison Médicale autogérée du pays. Depuis, plusieurs lui ont emboîté le pas. Plus démocratique et équitable, responsabilisant, ce mode de fonctionnement ne présenterait à première vue que des avantages. Il ne faut pourtant pas oublier qu’il peut aussi comporter sa part d’ombre, entre conflits d’intérêts et lenteurs dues au processus décisionnel.
Des projets viables ?
L’autogestion fait en tout cas recette en France. D’après le Gresea, une trentaine d’entreprises y seraient concernées chaque année. De 1998 à 2008, cela aurait permis de sauver 6.500 emplois de manière pérenne. Toujours d’après cette même étude, 60% des projets de récupération des entreprises par leurs salariés auraient une viabilité de 5 à 10 ans. Un chiffre plutôt prometteur, qui prouve que la délocalisation systématique n’est peut-être pas la seule solution pour sauver une entreprise.
Cette roue de secours, certains salariés s’y sont accrochés, souvent avec succès. C’est le cas de la petite société Sol é Vie, située à Perpignan. En juillet dernier, les employés de cette entreprise d’aide à la personne ont décidé de se lancer dans l’aventure, après l’annonce de la suppression de leurs postes. Une idée, raconte L’Indépendant, qui leur viendrait d’un simple entretien avec l’administrateur judiciaire chargé de la liquidation. Stéphanie Dell’utri, employée, l’interroge alors sur les solutions envisageables pour sauver leurs emplois. “Rachetez l’actif de l’entreprise !” répond ce dernier.
Il n’en fallait pas plus pour la convaincre. Avec le soutien de 25 fidèles collègues, Stéphanie Dell’utri fonde en septembre dernier une “Scop”, à savoir, une Société Coopérative de Production. Chacun investit 20.000€. Et depuis, l’entreprise tient le coup.
D’autres exemples d’autogestion montrent une flambante réussite, comme celui de Fibrosud, aujourd’hui rebaptisée Sofi Groupe. Parce qu’ils refusent d’aller “à l’abattoir sans relever la tête”, expliquent six employés de l’entreprise au Monde, ils rachètent leur entreprise. Pendant un an, ils travaillent bénévolement, pour toucher en parallèle les allocations chômage. À force de persévérance, ils parviennent à remettre la société de réparation de matériel électronique sur les rails. Mieux, celle-ci connaît une croissance à faire pâlir d’envie les chefs d’entreprise. Chiffre d’affaires en hausse, embauche: il semblerait que l’histoire de cette PME connaisse un dénouement des plus heureux.
L’Uruguay, paradis de l’autogestion
Si les succès se multiplient, ce type d’initiative est encore restreint en Europe. De l’autre côté de l’Atlantique, en revanche, des pays regorgent d’entreprises autogérées. C’est le cas de l’Uruguay. Selon un rapport rédigé par Pablo Guerra, 37 sociétés auraient été récupérées par leurs employés durant l’année 2014.
Parmi elles, ABC, renommée ABC Coop. C’est en 2001 que les salariés de cette entreprise d’autocars ont failli tout perdre, leurs patrons, endettés, ayant tout bonnement laissé entrepôts et véhicules à l’abandon. L’association Autogestion raconte que les employés ont alors commencé à organiser des assemblées, jusqu’au jour où ils ont décidé de reprendre les rênes. Avant de faire leurs preuves, ils ont dû se frotter aux réticences de leurs anciens patrons, pas vraiment ravis de la perspective que de simples chauffeurs d’autocars puissent se sentir plus aptes à diriger une entreprise qu’eux, explique Luis Rivas. Ce secrétaire général de la coopérative en est pourtant convaincu, ils peuvent “faire mieux”.
Une entreprise sociale
Les entreprises de transport concurrentes ne voient pas non plus d’un très bon oeil cette reprise. Et ce, d’autant plus qu’ABC Coop refuse systématiquement la hausse des prix des tickets de transport, pour ne pas pénaliser la population locale. Manquant de compétitivité par rapport à ABC Coop, certaines sociétés mettent même la clé sous la porte.
Les liens étroits avec la mairie de la ville mettent l’entreprise autogérée en péril. La commune leur refuse en effet toute tentative de développement, parfois sans même présenter de raison valable. En dépit de ces obstacles, ABC Coop se porte bien. D’un point de vue économique d’abord, elle a embauché plusieurs chauffeurs. Tous ont vu leurs salaires augmenter et atteindre un très bon niveau, à hauteur d’environ “50% au-dessus de la moyenne nationale”. Et puisque cette entreprise est gérée par des locaux, ces derniers font tout pour préserver leurs “tarifs populaires”. ABC Coop a même récemment créé un centre culturel, et une radio communautaire.
L’autogestion, née au 19e siècle et longtemps considérée comme une pure utopie, semble donc bel et bien avoir de beaux jours devant elle.
Perrine Signoret
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