Kobe Verdonck (SD Worx): “Aujourd’hui, nous devenons une société ‘B to E'”

Kobe Verdonck, CEO de SD Worx " La panique est passée. Beaucoup d'entreprises se sont réinventées et réorganisées même dans des secteurs très impactés. " © PG/F. BAHNMULLER

Premier secrétariat social du pays, SD Worx sort de quelques semaines particulièrement chahutées. Kobe Verdonck, son CEO depuis septembre dernier, livre son analyse sur les changements post-Covid à attendre et explique, notamment, la mue de son entreprise de “business to business” à “business to employee”.

SD Work fête cette année son 75e anniversaire. Créée à l’origine pour administrer les salaires, l’entreprise propose aujourd’hui une palette très complète de services RH qui vont bien au-delà du simple calcul de la paie. Présente dans 15 pays, elle dispose d’un vaste portefeuille de 70.000 clients et calcule, chaque mois, le salaire d’environ 4 millions d’employés. Dont un million de Belges. Premier secrétariat social du pays, SD Worx a accompagné de très nombreuses entreprises belges au cours de ce printemps de pandémie. Il paraissait donc intéressant de connaître les réflexions et conclusions de Kobe Verdonck, son nouveau CEO, à l’aube d’une ère nouvelle pour le monde du travail belge.

KOBE VERDONCK. Nous avons toujours grandi de façon autonome. Avec le souci permanent de nous réinventer et d’aller de l’avant sans renier nos origines. Comme cette forte expertise dans le calcul de la paie dont nous sommes très fiers. Mais nous faisons beaucoup d’autres choses aujourd’hui. Je dirais que l’entreprise a toujours eu le sens du client. Cela s’est encore vu durant la pandémie. Nos employés se sont mis à plat ventre pour aider nos clients. C’est une force de SD Worx, le signe de notre vitalité.

A 75 ans, votre soif d’expansion est loin d’être étanchée. Vous voulez vraiment doubler le chiffre d’affaires en cinq ans ?

En 2019, SD Worx People Solutions a enregistré 505 millions de chiffre d’affaires. Dont la moitié provient de nos activités belges. L’ambition est clairement d’atteindre le milliard pour ces activités-là. Bon an mal an, nous enregistrons une croissance organique de 6 à 8%. Notre expansion se fera via cette croissance organique ainsi que des acquisitions. En 2020, nous en avons déjà finalisé trois. D’abord, une société néerlandaise appelée Pointlogic HR, leader outre-Moerdijk de la gestion des données liées aux rémunérations. Ensuite, en avril, nous avons racheté Adessa Group. Une entreprise située à Louvain-la-Neuve reconnue pour ses solutions RH digitales sur mesure intégrées au départ de SAP ou SAP SuccessFactors notamment. Enfin, nous venons de racheter la totalité des actions de GlobePayroll, une société française qui a développé un logiciel innovant à portée internationale lié aux rémunérations. Nous en étions déjà actionnaire. Ces acquisitions, et les précédentes, ont pour but d’améliorer notre offre de services à destination d’un nombre accru de clients. Soit offrir des services aux entreprises de toutes les tailles et de tous les segments.

Nous préférons croître par nous-mêmes et racheter des sociétés qui offrent des services complémentaires aux nôtres.”

Ce surcroît de croissance viendra aussi de l’étranger ?

Nous avons l’ambition de devenir le leader européen. Nous sommes déjà présents dans 15 pays européens : Allemagne, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Suisse, Espagne, Autriche, etc. L’ambition est de couvrir l’ensemble des membres de l’Union européenne dans les deux ou trois ans. Mais aussi de nous implanter en Afrique et dans les pays de l’Est comme la Russie.

Gagnez-vous encore des parts de marché en Belgique ?

Evidemment. Nous avons environ 50.000 clients en Belgique. De toutes tailles. Grosso modo, la croissance annuelle est de 5% en Flandre et de 10 % en Wallonie et à Bruxelles. La croissance moins forte au nord du pays s’explique par une part de marché déjà très importante. Donc, c’est du côté francophone que nous avons le plus à gagner. Nous avons déjà des bureaux à Louvain-la-Neuve, Liège, Charleroi, Mons ou Namur, mais il y a encore de la marge.

Pourriez-vous racheter un concurrent ?

Non, cela ne nous intéresse pas. Nous préférons croître par nous-mêmes et racheter des sociétés qui offrent des services complémentaires aux nôtres. Quand nous pensons à de nouveaux outils digitaux, soit nous les développons nous-mêmes avec l’aide de partenaires, soit nous réfléchissons à l’achat d’une société dont c’est la spécialité. Racheter de telles sociétés permet aussi de prendre pied sur de nouveaux marchés et d’éventuellement pouvoir y grandir. Comme ce fut le cas avec Protime, le spécialiste de la gestion du temps que nous avons repris il y a quelques années et qui continue à avoir un management disposant d’une certaine autonomie. Protime nous permet de couvrir tous les marchés européens dans ce domaine.

Comment avez-vous vécu ces semaines de pandémie et de fermeture totale ou partielle de certains de vos clients ?

Du jour au lendemain, en mars, notre masse de travail a été multipliée par quatre ! Il a fallu que nous réorganisions l’entreprise pour soutenir nos clients. Par exemple, certains employés se sont formés en très peu de temps pour prendre les appels des clients alors qu’ils n’avaient jamais fait cela avant. Cette folie a duré jusqu’à la fin des vacances de Pâques. Initialement, nous avons prodigué énormément de conseils sur le télétravail sur les plan légal et opérationnel et sur le chômage temporaire. Beaucoup de clients n’y avaient jamais eu recours. Aujourd’hui, nous sommes plus dans les aspects aides et subsides et fin du chômage.

Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Je suis beaucoup plus positif qu’en mars. La panique est passée. Beaucoup d’entreprises se sont réinventées et réorganisées même dans des secteurs très impactés. Certaines, très peu actives avant, se sont lancées dans les solutions digitales. Beaucoup d’idées ont germé et l’implémentation a été rapide. C’est très positif en fin de compte. Nous avons lancé le mois dernier l’Employment Tracker sur base de nos données. Cet outil donne une vue pertinente sur les secteurs puisque nous disposons des données d’un million de travailleurs du secteur privé, soit un tiers d’ouvriers et deux tiers d’employés. Globalement, un salarié sur trois du secteur privé. Il donne des données précises sur l’absentéisme, les jours ouvrés, le chômage temporaire, les jours de vacances pris, etc. Nos chiffres de mai, pas encore complets, indiquent un fort recul du chômage temporaire. Ce qui tend à me faire croire que la crise ne sera peut-être pas aussi forte qu’on pouvait le penser. Même si crise il y aura et qu’elle sera dure dans certains secteurs. Cet Employer Tracker est disponible pour la Belgique mais d’autres pays vont suivre.

Quelles grandes leçons tirez-vous de cette période ?

La plus évidente, c’est le télétravail. A la surprise générale, il est efficace. Quasiment partout. Il est évidemment appelé à rester. Selon moi, on se dirige vers du 50-50. Etre présent au bureau a toujours du sens pour l’intégration, la créativité et la coopération mais je suis intimement persuadé que cette présence physique va devoir avoir une vraie valeur ajoutée et que l’entreprise va devoir veiller à ce que l’expérience soit différente de celle d’aujourd’hui. Dans les prochains mois, le redesign des bureaux va prendre une grande importance. SD Worx, en tant qu’employeur de 4.500 personnes, est très satisfait de cette expérience-là. Dix pour cent de nos employés l’utilisaient avant. Aujourd’hui, ils sont encore 70 à 80 % à travailler de chez eux. A terme, nous irons aussi vers le 50-50 cité plus haut. Vous savez que l’absentéisme, chez nous, a chuté de 60 % en mai par rapport à l’an dernier ? C’est un des bénéfices du télétravail qui nécessite, de notre part, un autre type de management et un haut degré de confiance. Mais il offre à l’employé une vraie valeur ajoutée pour sa vie : meilleur équilibre, moins de trajets, etc. Il faut juste veiller à maintenir une vraie frontière entre la vie privée et le boulot.

Quoi d’autre ?

Le travail est amené à devenir plus fluide, plus flexible. Avec des styles différents suivant les périodes de la vie. A nous d’être présents à toutes ces périodes. Ce qui est sûr c’est que l’employé va décider : what’s in it for me ? quel développement pourra-t-il espérer ? quelles formations ? quelle flexibilité ? quel sens au travail ? quelle culture d’entreprise ? Nous sommes dans une société de la connaissance. Sans employés, nous, entreprises, ne sommes rien. Il faut donner de la valeur au travail proposé. Valoriser l’employé autrement que par sa rémunération. SD Worx est une société B to B depuis sa création. Nous vendons des solutions aux entreprises. Pourtant, aujourd’hui, nous devenons une société B to E, business to employee. Certes, il ne nous paie pas, l’employé, mais il consomme nos solutions. Il a besoin de simplicité et d’accessibilité. S’il n’est pas content, nous pouvons perdre le contrat.

Du jour au lendemain, en mars, notre masse de travail a été multipliée par quatre !”

Dans ce contexte, quels sont les défis auxquels SD Worx fait face ?

La société est organisée autour de quatre piliers : le digital, les services, le conseil et les données. Ils nous permettent d’être complets à tous les niveaux et d’offrir une vue à 360° aux entreprises. Sans oublier nos activités de recrutement et de staffing depuis la reprise de VIO Interim en 2017. Le premier défi est digital. A nous de proposer les bons outils qui permettent notamment un télétravail fluide. Par exemple, nous avons développé une appli pour smartphone appelée Digital Assistant. Elle est utilisée par 100.000 personnes et sera, cette année encore, déployée auprès des autres utilisateurs belges. Elle permet de recevoir, de façon digitale, sa fiche de paie, de poser des questions à son employeur, de demander des congés ou encore de remettre des notes de frais. En termes de flexibilité, notre Flex Income Plan est parfaitement adapté aux besoins de l’employé. Il lui permet de choisir une partie de sa rémunération de façon simple. Toutes les sociétés d’une certaine taille ont déployé ce genre de système. Nous sommes de loin le n°1 du marché. L’avenir passe sans doute par une intégration de partenaires dans la plateforme. Des assurances ? Des solutions de mobilité comme des leasings de vélos ou d’autos ou des abonnements ? Nous y pensons. Le digital coûte cher à développer mais est indispensable aujourd’hui. Il faut du volume pour l’amortir et du savoir-faire pour le mettre en place. On en revient aux partenariats et aux rachats cités plus haut.

Vous avez, à plusieurs reprises, parlé de conseils. Cet aspect consultance est-elle, aussi, amenée à prendre de l’ampleur ?

Elle prend de l’ampleur. Certainement pas en termes de chiffre d’affaires mais c’est un service très important. Pouvoir répondre, avec justesse, à toutes les questions qu’un client se pose. Les piliers, données et conseils, sont d’ailleurs intimement liés. L’ensemble des data dont nous disposons permet de faire des analyses fines ou de placer l’entreprise dans son contexte belge. L’absentéisme y est-il plus présent ? Et si oui, pourquoi ? Quelles solutions y apporter ? Ces data donnent une vue très précise sur la manière de fonctionner d’une entreprise et nous permettent de distiller des conseils pour lui permettre de faire (encore) mieux. C’est une autre vraie valeur ajoutée de SD Worx.

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