Johnny Thijs: “Electrabel doit retrouver sa rage de vaincre”

© Franky Verdickt

“Si l’on ferme les centrales nucléaires, nous voulons construire la moitié des nouvelles centrales au gaz.” Johnny Thijs, à la tête d’Engie Electrabel depuis début octobre, ne cache pas ses ambitions.

Johnny Thijs dispose d’un mandat de trois ans à la présidence du fournisseur d’énergie. Compte tenu des problèmes suscités par les réacteurs nucléaires et de la question de leur maintien en service, il n’est pas impossible que l’entreprise clôture chacune de ces années sur une perte. ” Cela me pose un problème, reconnaît Johnny Thijs. Mais mon défi, ce sont les cash-flows, pas le bénéfice net. Je veux gagner. Et je veux raviver cette culture de la gagne dans l’entreprise. ”

Johnny Thijs doit l’essentiel de sa notoriété aux 15 ans qu’il a passés à la tête de bpost, l’entreprise postale qu’il a sortie du rouge, privatisée en partie et introduite en Bourse. Le Limbourgeois de 67 ans avait pourtant l’intention de réduire peu à peu ses activités d’administrateur. Mais quelqu’un ” d’en haut ” – dont Johnny Thijs préfère préserver l’anonymat – lui a demandé d’accéder à la demande de la directrice d’Engie Isabelle Kocher. Avec le comité de direction, Johnny Thijs et son grand ami Etienne Denoël – ancien directeur de McKinsey – ont ainsi créé le groupe de travail Pyramid qui doit générer une nouvelle dynamique à l’entreprise.

” Le groupe Engie emploie 17.000 personnes en Belgique, mais a perdu le lien avec ses parties prenantes, constate le patron. J’ai dit à Isabelle Kocher qu’Electrabel devait redevenir un bon citoyen belge. A ses yeux, Electrabel l’avait toujours été, mais la perception était différente. Il est faux d’affirmer que des camions bourrés d’argent sont envoyés à Paris, mais c’était la perception. Nous avons donc travaillé pendant quatre mois un plan centré sur la transparence, la concertation et la communication directe. ”

TRENDS-TENDANCES. Dans un communiqué de presse à propos de Synatom, la filiale d’Electrabel responsable du démantèlement des réacteurs et de la gestion des déchets nucléaires, vous avez annoncé que vous iriez au-delà de vos obligations légales. Faut-il y voir un premier signal de ce changement de cap ?

JOHNNY THIJS. En 2025, nous allons rembourser 6 millions d’euros que nous empruntons actuellement à Synatom. C’est beaucoup d’argent, c’est de l’argent que nous n’avons pas encore, mais nous l’aurons. Nous ne faisons pas cela pour le plaisir, mais en gage de notre bonne volonté.

On débat beaucoup sur l’efficacité des centrales nucléaires et l’agenda de la prolongation de leur durée de vie. Je veux que nous publiions chaque mois combien de temps nos réacteurs nucléaires ont tourné, et je veux des compteurs sur les tours de refroidissement qui affichent un compte à rebours jusqu’à la fermeture de centrales. Car nous allons exécuter les décisions du gouvernement.

Nous ne plaidons pas pour une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Mais nous mettons l’ensemble du dossier sur la table du gouvernement. Selon nos experts, il est préférable – car moins cher, plus écologique et plus réaliste – de maintenir deux, peut-être trois réacteurs nucléaires ouverts. Mais c’est au gouvernement de décider. Si nous parvenons à nouveau convaincre les parties prenantes de nos bonnes intentions, ce sera tout profit pour Electrabel et le pays.

Vous dites deux réacteurs, peut-être trois. Il y a deux mois, c’était trois.

Aujourd’hui, nous penchons plus pour deux réacteurs. Surtout en raison des investissements nécessaires pour permettre une prolongation conformément aux exigences de sécurités actuelles et futures. Tihange 1 aura alors 50 ans. Prolonger sa durée de vie n’est pas impossible, mais cela nécessitera pas mal de travail.

Et si le nouveau gouvernement maintient la sortie du nucléaire ?

Pas de problème. Nous aurons alors besoin de centrales au gaz, et je veux que nous en construisions au moins la moitié. Le gaz naturel est une technologie de transition. A terme, nous avons l’ambition de développer un système 100% renouvelable dans lequel l’hydrogène aura également une place. Mais nous ne pourrons intensifier nos efforts en recherche & développement que si le gouvernement et nos clients nous disent que nous sommes une entreprise qui a un sens.

Il n’y a toujours pas fumée blanche, ni sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, mais sur le système de subvention pour les nouvelles centrales au gaz.

Compte tenu de l’imprévisibilité des prix du marché, nous pensons que les deux sont nécessaires, D’un point de vue macro-économique, ceux-ci devraient augmenter avec le déploiement de la voiture électrique, du chauffage électrique, etc. Mais s’il y a beaucoup de vent et de soleil, ces prix peuvent même être négatifs. Sans une forme de garantie de rendement, personne ne va construire de centrales au gaz.

Sous conditions, Engie Electrabel peut-elle envisager une prolongation ?

Nous voulons un rendement équitable, qui tienne compte des risques d’exploitation que nous supportons de toute manière. Reste à savoir comment appréhender une possible situation de prix de l’électricité structurellement bas, surtout si nous construisons de nouvelles centrales au gaz.

L’énergie nucléaire présente plusieurs avantages : les coûts de production sont bas et elle ne nécessite pas de nouveaux marchés publics. Si elle peut encore apporter un surcroît de bénéfices aux producteurs, nous devons voir comment le partager. Si quelqu’un veut y voir une taxe nucléaire, ce n’est pas mon problème.

Quand faudra-t-il trancher sur une éventuelle prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ?

La deadline, c’est la mi-2020. Et la tâche s’annonce compliquée vu les difficultés à former un gouvernement. S’il faut retourner aux urnes, ce sera trop tard.

Qu’en est-il du stockage de déchets nucléaires, qui coûte très cher. Electrabel dispose-t-elle de capacités financières suffisantes ?

Nous avons des centrales nucléaires depuis 50 ans, et après un demi-siècle, nous ne savons toujours pas comment stocker ces déchets. C’est quand même problématique. Mais dans ce débat aussi, notre position est claire. Qu’on nous demande de stocker les déchets nucléaires à 200, 400 ou 1.000 mètres, nous payerons la facture. Mais en tant que nouveau dans ce dossier, je ne cache pas que l’inaction me frustre. Tôt ou tard, il faudra prendre une décision. On ne peut pas continuer à reporter le problème.

N’est-ce pas un problème général dans la politique ? On a parfois l’impression que la politique énergétique et climatique est imposée soit par les entreprises et les mouvements de protestation, soit par l’Europe.

L’Europe devrait en faire encore plus. Avec son Green Deal, la Commission européenne essaie d’agir dans le dossier climatique, mais je n’ai pas l’impression qu’elle se préoccupe vraiment d’une production d’énergie suffisante. Les énergies renouvelables et la modulation de la demande ( qui consiste à mettre des installations en service ou hors service en fonction de la production, Ndlr) pourraient ne pas suffire.

On vous qualifie de top manager. Qu’est-ce qu’un bon manager selon vous ?

Quelqu’un qui s’entoure de nombreuses personnes talentueuses, qui parvient à les faire collaborer dans le but d’être les meilleures et à transmettre cet esprit à toute l’organisation. A la fin de mon mandat chez bpost, nous avions une culture de la performance en trois étapes. Un : la volonté d’exceller. Deux : de l’espace pour l’initiative et la prise de responsabilité. Et trois : la formation et le développement afin de donner à chacun la possibilité de devenir le meilleur dans sa branche. Il faut investir dans ses collaborateurs. Et quand on l’a fait, travailler pour atteindre ses objectifs.

Je conseille à un bon manager de se regarder chaque jour dans la glace et de se demander s’il est performant. Si vous avez un problème avec quelqu’un, demandez-vous d’abord ce que vous pouvez faire pour la faire réussir. Recherchez d’abord la responsabilité chez vous-même.

Qu’est-ce que l’on pourrait encore améliorer chez Engie Electrabel ?

Nous avons de nombreux ingénieurs très compétents et une excellente technologie, mais nous pourrions faire preuve d’un peu plus de rage de vaincre. Quand on a une part de marché de 40%, il faut vouloir 50%. La différence avec bpost est que mon impact est plus indirect. Car il passe par le management à Paris et Bruxelles. Mais nous travaillons à des projets iconiques qui vont nous permettre de faire la différence. Je dépasse un peu le rôle d’un président classique, mais je sens que l’organisation en a besoin.

A votre départ de bpost, vous vous étiez heurté violemment à la politique. Aujourd’hui, vous devez aplanir les différends…

Ce n’est pas mon impression. Je ne me suis jamais mis en colère, sauf une fois ( quand le gouvernement a voulu diminuer son salaire de moitié et qu’il a démissionné, Ndlr). Chez bpost, j’ai eu huit ministres de tutelle. J’ai eu de franches discussions avec chacun d’entre eux, mais je me ne suis jamais emporté. Sans l’aide de Johan Vande Lanotte, je n’aurais jamais pu fermer autant de bureaux de poste pour les remplacer par des Points Poste. Je ne suis pas un homme de conflit. Mais je peux être obstiné si je suis convaincu de la qualité d’un dossier et je veux qu’il avance.

Johnny Thijs:
© Franky Verdickt

Vous êtes administrateur dans cinq entreprises et le projet de formation sociale TAJO (talentatelier voor jongeren), et êtes conseiller chez CVC et Lazard Benelux. Allez-vous réduire ces mandats ?

Non. Je termine ce que j’ai commencé. Même si je ne peux pas nier qu’Electrabel me prend beaucoup plus de temps que ce que ma femme et moi avions prévu. Il est vrai que j’ai 67 ans, je veux m’arrêter par moi-même, pas rester jusqu’au moment où on me met dehors. Mais toutes ces entreprises sont passionnantes.

Vous auriez également pu être administrateur et copropriétaire du Sporting d’Anderlecht. Vous auriez racheté le club avec notamment Wouter Vandenhaute.

Nous pensions réussir. Sauf que nous avons pris conscience au dernier moment que le club avait besoin d’argent – ce dont chacun a pu se rendre compte depuis. Nous avons alors modifié notre offre : 5 millions de plus dans une augmentation de capital, 5 millions de moins pour les actions du club. Je me suis laissé dire que sans ce revirement de dernière minute, nous l’aurions emporté. Je regrette la manière dont cela s’est déroulé, mais je ne sais pas si nous aurions fait différemment ou mieux que Marc Coucke. En tant que supporter, j’espère surtout que la situation du club s’améliorera rapidement. Mais il faut parfois du temps.

Profil

– Né à Saint-Trond le 8 mai 1952

– Etudie les sciences commerciales à la Economische Hogeschool Limburg

1974-1981 : product & marketing manager au sein du groupe de tabac Vander Elst

1981-1986 : marketing & sales manager Belgique, Pays-Bas, Allemagne, France pour l’entreprise agroalimentaire MasterFoods

1986-1991 : corporate marketing manager et general manager chez Côte d’Or-Jacobs-Suchard

1991-2000 : executive vice-president et CEO pour l’Europe, la zone Asie-Pacifique et l’Afrique d’Interbrew (désormais InBev)

2000-2002 : CEO de l’entreprise de charcuterie Ter Beke

2002-2014 : administrateur délégué de La Poste/bpost

Depuis le 3 octobre 2019 : président d’Engie Electrabel

– Président de Recticel, Corealis, Golazo, Hospital Logistics, TAJO ; administrateur chez H. Essers ; conseiller de CVC et de Lazard Benelux.

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