John Cockerill, la locomotive trop souvent oubliée

John Cockerill © belga
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Le groupe liégeois a maintenu son chiffre d’affaires au-delà du milliard en 2020. Et les perspectives sont très positives pour 2021. Surtout si les plans de relance accélèrent un peu et n’oublient pas de miser sur les locomotives industrielles, capables d’entraîner tout un écosystème derrière elles.

La performance est “remarquable”, se réjouit Jean-Luc Maurange, CEO de John Cockerill Group. L’entreprise sort en effet de cette année 2020 “atypique et angoissante” avec un chiffre d’affaires toujours au-dessus du milliard d’euros et un résultat positif de 13 millions d’euros. Il y a un an, quand les unités du groupe étaient à l’arrêt, tantôt en Chine, tantôt en Italie, tantôt en Amérique latine, il n’aurait sans doute pas osé parier sur un tel résultat.

La performance est d’autant plus remarquable que le groupe John Cockerill la doit essentiellement à lui-même. L’année avait en effet particulièrement mal commencé. L’entreprise avait continué à produire, anticipant une demande clients qui a plusieurs fois été repoussée du fait de la pandémie. “Nous avions un trou de trésorerie à combler et nous n’avons pas reçu d’écho favorable du secteur bancaire, explique Jean-Luc Maurange. Nous avons pu obtenir des prêts de trésorerie pour nos filiales en France ou aux Etats-Unis -et nous les remboursons maintenant- mais pas en Belgique. Le système n’a pas fonctionné ici.” L’entreprise s’est alors tournée vers ses clients pour monétiser son sur-stock. Cela a permis d’acheminer 300 millions d’euros sur les comptes du groupe et de lui assurer une trésorerie “correcte” jusque la fin 2022. “Finalement, nous sortons de la crise avec une trésorerie renforcée, résume le CEO. Mais, c’est vrai, à certains moments, nous avons dû basculer en mode survie.”

“La reprise, c’est maintenant !”

S’il comprend la nécessité de mobiliser les moyens pour sauver les secteurs en arrêt forcé, Jean-Luc Maurange regrette que les entreprises saines -comme la sienne- aient été un peu trop mises sur la touche. “C’est dans les périodes comme celle que nous vivons que se construisent les champions, dit-il. La Chine l’a très bien compris et elle n’est pas la seule. Les aides doivent aussi permettre à des entreprises d’accentuer leur leadership, d’intensifier leurs investissements en R&D. Si on ne le fait pas, nous verrons dans deux ou trois ans que l’Allemagne, la France, l’Espagne et d’autres ont bougé pendant que nous faisions du sur-place. John Cockerill, c’est une locomotive qui entraîne dans son sillage des sous-traitants, des start-ups etc. Aujourd’hui, on met beaucoup d’argent dans les wagons mais n’oublions pas la locomotive. Plus elle sera puissante, plus de wagons elle pourra tirer.”

La locomotive est en tout cas bien repartie, après les hésitations du premier semestre 2020. Le carnet de commandes se remplit bien, au point que l’entreprise table sur une entrée de commandes 2021 supérieure au niveau moyen réalisé entre 2016 et 2019. “La reprise, c’est maintenant !”, clame résolument le groupe John Cockerill, sans attendre une xième réunion du comité de concertation sur la gestion de la pandémie. “Nous sommes prêts pour cette reprise mais je ne pense pas que l’ensemble de l’écosystème le soit, concède Jean-Luc Maurange. Le déploiement des plans de relance prend trop de temps, notamment en Belgique.”

Hydrogène : ne pas trop traîner

Son rôle de locomotive, le groupe John Cockerill peut très certainement le jouer dans deux domaines : les énergies renouvelables et la défense. Le premier est au coeur de tous les plans de relance de tous les pays. L’entreprise liégeoise revendique le titre de leader mondial dans la production d’hydrogène par électrolyse, avec des grands projets en Espagne, à Taiwan et en Belgique (tous en 2020). “Nous réalisons un chiffre d’affaire de 20 millions d’euros dans l’hydrogène et nous pourrions multiplier ce chiffre par 10 ou 20 dans les prochaines années, assure Jean-Luc Maurange. Les perspectives sont énormes. Tellement énormes que nous ne pourrons peut-être pas y aller seul et que nous aurons besoin d’être accompagnés.”

L’une des vitrines du savoir-faire de John Cockerill en la matière, c’est le projet HaYport qui vise à assurer une mobilité-hydrogène tout autour de l’aéroport de Liège. L’hydrogène sera produit par électrolyse, grâce à l’apport du champ photovoltaïque de l’aéroport, et alimentera ensuite les taxis, les bus et même les engins de manutention. “Nous avons l’occasion de démontrer, sur l’un des plus grands aéroports de fret en Europe, que la mobilité basée sur l’hydrogène fonctionne, dit le CEO de John Cockerill. Nous sommes prêts mais ce dossier mêle beaucoup d’acteurs et nous attendons leurs décisions.” Il faut équiper les taxis, le TEC doit acheter des bus roulant à l’hydrogène, les pouvoirs publics doivent délivrer toute une série d’autorisations. Et puis il y a la prise en charge du surcoût par rapport aux carburants fossiles. “Il existe des financements européens, insiste Jean-Luc Maurange. Pour les obtenir, il faut que le gouvernement monte des dossiers et les défende. Il y a là une perte d’efficacité. Je le répète, nous sommes prêts mais les acteurs privés ne peuvent pas tout faire.”

Le groupe liégeois s’illustre également dans les centrales thermo-solaires, un secteur de niche avec une quinzaine d’unités installées à travers le monde. Un tiers sont équipées de la technologie John Cockerill, comme celle du désert du Chili (en cours de démarrage) ou de Dubai (inauguration prévue en juin). “Ces centrales incluent un système de stockage, par la technique des sels fondus, précise Jean-Luc Maurange. Cette technique est bien maîtrisée, elle peut s’appliquer au photovoltaïque et, là, les perspectives sont beaucoup plus grandes.”

La défense, éternelle oubliée

L’autre domaine dans lequel John Cockerill se profile dans le top mondial, c’est donc la défense. Ce département représente un tiers du chiffre d’affaires du groupe et est une source constante d’innovation, dans l’élaboration de nouveaux matériaux comme dans les développements technologiques (cyber-sécurité, analyse de données etc). Tous les pays où le secteur militaro-industriel représente une part significative de l’activité économique en ont dès lors fait l’un des axes de la relance. Tous sauf la Belgique. Chez John Cockerill, on a l’habitude de ce manque d’intérêt, à défaut de bien le comprendre. “On se drape derrière des règles européennes et on ne négocie pas assez les retombées des contrats militaires pour l’industrie belge, regrette Jean-Luc Maurange. Nous sommes en négociation pour un contrat d’un milliard d’euros avec l’armée espagnole. Le domaine est considéré comme stratégique et, pour espérer obtenir le marché, nous devons prendre l’engagement d’ouvrir une usine et un centre de recherche en Espagne. En France, en Roumanie ou ailleurs, ce serait pareil. Mais en Belgique, ce n’est pas stratégique. A la longue, cela devient une vraie question stratégique pour une industrie comme la nôtre. On va finir par supprimer la R&D dans ce secteur.”

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