Jim Rowan (Volvo Cars): “En 2025, le coût d’une voiture électrique sera celui d’une auto à carburant”
Le nouveau patron de Volvo Cars estime que le premier défi du secteur automobile est davantage une question de logiciels que d’électrification. La marque suédoise multiplie les usines en ce sens, profitant en plein des synergies avec son actionnaire chinois.
Non, Jim Rowan, CEO de Volvo Cars depuis mars dernier, ne vient pas du sérail automobile. Ce n’est plus une expérience obligatoire pour les dirigeants des entreprises du secteur: les administrateurs de l’entreprise préféraient un habitué des softwares et des puces plutôt que des six cylindres. Le Britannique a en effet été CEO de Dyson, roi de l’aspirateur high tech, et auparavant directeur opérationnel de BlackBerry. C’était au temps où le groupe canadien était le champion des smartphones professionnels, avant que l’iPhone ne débarque et bouleverse le secteur, poussant Nokia et d’autres hors de ce marché.
Moment iPhone?
“La plus grande partie de ma carrière s’est déroulée dans la haute technologie”, indiquait Jim Rowan lors d’un passage en Belgique. L’homme rendait visite aux filiales du constructeur suédois, dont l’usine de Gand, l’une des plus importantes du groupe et un acteur important de l’automobile en Belgique, où tant de sites d’assemblage ont fermé. Jim Rowan perçoit dans l’automobile une évolution qu’il a connue dans le monde du téléphone, quand le simple GSM est devenu smartphone, rebattant toutes les cartes. “Aujourd’hui, il n’y a plus que deux plateformes, Apple IOS et Android”, rappelle- t-il.
La valeur résiduelle d’un véhicule à carburant devrait reculer.
L’automobile connaîtra-t-elle le même sort? C’est un risque. Tous les constructeurs devront tôt ou tard passer à la mise à jour à distance des logiciels de leurs véhicules, comme pour les iPhone ou les Samsung. C’est déjà le cas pour Volvo qui adopte une architecture technique proche de celle d’un smartphone, plus centralisée. Tout l’inverse de ce qui s’est fait jusqu’à présent, où dans chaque véhicule, chaque fonction (freins, moteurs, etc.) a sa propre informatique, ses propres puces, et est généralement sous-traitée. “C’est l’un des changements les plus importants pour le secteur, peut-être plus que l’électrification, assure Jim Rowan. Aujourd’hui, il y a moyen de mettre des systèmes informatiques énormes sur une seule puce.”
Technologies moins chers
Les turbulences du secteur, en proie à des pénuries, n’ont pas modifié l’objectif de la marque: ne plus écouler que des véhicules électriques à partir de 2030. A ce titre, Volvo Cars fait partie, avec Renault et VW Group, des constructeurs les plus ambitieux en Europe: il espère passer de 700.000 à 1,2 million d’exemplaires d’ici le milieu de la décennie, dont 50% de véhicules électriques. “Pour le moment, nos deux voitures électriques, la XC40 et la C40, sont plutôt de grands modèles, et nous venons d’annoncer la EX90. Mais notre projet est de sortir un SUV plus petit, qui n’a pas encore de nom.” Celui-ci visera plutôt une clientèle jeune. “Nous le proposerons notamment sous forme d’abonnement, ce qui devrait être attractif”, estime Jim Rowan. Ce modèle devrait aider à gonfler le volume des ventes.
Volvo mise sur le segment premium, qui représente plus du cinquième du marché automobile. Son attention pour l’électrification et la conversion aux logiciels mis à jour à distance découle de cette orientation, car le marché premium tend à s’électrifier plus rapidement. Pour attirer des clients jeunes, miser sur l’automobile connectée est primordial…
La fin des soutiens publics
Le souci, c’est évidemment le prix relativement élevé des véhicules à piles. A l’achat, il n’y a pas grand-chose en dessous de 40.000 euros, les particuliers sont réticents. L’abonnement permettra peut-être de limiter l’impact des tarifs. “En 2025, le coût d’une voiture électrique sera identique à celui d’une automobile à carburant, promet pourtant Jim Rowan. Même en ne prenant pas en compte les subsides. L’industrie ne doit pas compter sur ces aides. Il faut de l’argent pour les soins de santé, pour affronter des coûts énergétiques plus élevés: à long terme, les soutiens à l’électrique disparaîtront”. Ceux-ci ne concernent de toute façon pas la Belgique, qui n’a pas créé de prime pour les voitures électriques, contrairement aux pays voisins.
Je suis ingénieur, je vois les choses d’un point de vue d’ingénieur. Une voiture électrique est moins bruyante, génère moins de chaleur, est donc plus efficace.
Une voiture électrique au prix d’une automobile à carburant? Le CEO maintient sa prévision malgré les turbulences sur le coût des matières premières, qui ont stoppé le recul du prix des batteries. “Actuellement, le prix de certaines matières premières est élevé, celui du lithium a beaucoup augmenté, concède-t-il. Mais nous avons analysé plus d’une centaine de sources sur le sujet, et arrivons à la conclusion que le prix du lithium devrait repartir à la baisse au quatrième trimestre de 2023.” Le Britannique mise aussi sur des technologies de batteries moins coûteuses, appelée LFP (batteries lithium fer phosphate, sans cobalt) mais énergétiquement moins dense, donc avec moins d’autonomie. “Tout le monde n’a pas besoin d’une autonomie de 500 à 600 km ; pour beaucoup d’utilisateurs, 300 à 350 km sera suffisant”, assure le CEO.
La position clé de Gand
Jim Rowan parle peu des véhicules à carburant, qui composent pourtant encore la large majorité des ventes de Volvo Cars, environ 90%. L’usine de Gand, l’une des plus importantes du groupe, reflète cette situation. Elle occupe plus de 6.000 personnes, produit autour de 200.000 exemplaires par an, notamment le SUV XC40, l’un des modèles les plus vendus du groupe, dont 21.100 électriques sur les neuf premiers mois de 2022, et 92.400 à carburant, hybrides ou non. Des packs de batteries sont assemblés aussi à Gand.
Mais outre un coût de l’électrique qu’il espère voir s’aligner sur celui du carburant, le CEO s’attend à voir “d’autres facteurs jouer. Par exemple la valeur résiduelle d’un véhicule à carburant, qui devrait reculer. C’est une décision importante pour le client: voulez-vous une nouvelle technologie, avec une bonne valeur résiduelle, ou une voiture thermique? Je suis ingénieur, je vois les choses d’un point de vue d’ingénieur. Une voiture électrique est moins bruyante, génère moins de chaleur, est donc plus efficace. Un véhicule à carburant a une efficacité énergétique de 35% à 38%, un électrique de 90% à 95%, et n’émet pas de CO2 quand il roule”.
Pour assurer la croissance des ventes, Volvo Cars multiplie les usines. A celles de Göteborg (Suède) et de Gand, le groupe a ajouté une implantation américaine à Charleston, possède trois usines en Chine et va en ouvrir une en Slovaquie en 2026. L’avenir de l’usine belge? “Son futur, c’est la croissance, tout simplement”, assure Jim Rowan. Mais la Slovaquie servira aussi la croissance espérée. “La chaîne d’approvisionnement est en train de changer, nous cherchons à éliminer le CO2 émis pour les livraisons, la Slovaquie nous y aidera.” L’idée est de produire sur les marchés où les voitures sont achetées. L’ambiance plus protectionniste qui se développe est un puissant incitant. Ainsi, le futur petit SUV sera d’abord produit en Chine, puis devrait aussi sortir des chaînes sur les continents où il atteindra les marchés les plus importants, en Europe vraisemblablement.
Volvos Car n’est plus une simple filiale de Geely. Nous sommes une compagnie autonome, cotée à la Bourse de Stockholm, sous les lois suédoises.”
En parlant de Chine… quand on rappelle à Jim Rowan que Volvo Cars, sous ses dehors suédois, reste bien un élément du groupe automobile chinois Geely, la mise au point ne tarde pas. “Je souhaite préciser que nous sommes une compagnie autonome, cotée à la Bourse de Stockholm, sous les lois suédoises, rétorque-t-il. Cela peut paraître sémantique, mais ce changement a été fait il y a un an (avec l’introduction en Bourse, Ndlr). Nous avons Geely comme actionnaires, avec qui nous collaborons, mais ne sommes plus une simple filiale.” Actionnaires à plus de 80% en compagnie de fonds d’investissement occidentaux, les Chinois sont de fait minoritaires au conseil d’administration, dont le président est Li Shufu, le patron du groupe Geely. Ce dernier a développé une stratégie subtile en investissant dans les marques occidentales en mal d’actionnaires, comme Volvo Cars, alors détenu par Ford mais qui affrontait il y a une décennie de graves difficultés.
Lire aussi | Le véhicule électrique sous forte pression chinoise
Depuis l’acquisition réalisée en 2010, Volvo Cars a été relancé, développé, de manière rentable, en utilisant sa réputation de sécurité comme levier. Dans les coulisses, Geely et Volvo Cars développent en commun des plateformes pour répartir les coûts. L’acquisition a imposé la marque en Asie. “Nous pouvons aussi accéder à des chaînes d’approvisionnement complexe, importantes, en Chine, jouer sur l’effet de volume de l’ensemble du groupe, réaliser des synergies”, précise Jim Rowan. On rappellera que Smart est aussi une participation de Geely, à parité avec Mercedes dont il est actionnaire à 9,69%.
Nouveaux concepts
Geely crée aussi de nouvelles marques, qui sont autant de nouveaux concepts, parfois avec l’aide de Volvo Cars. Celui-ci détient par exemple la moitié de Polestar, un constructeurs de voitures électriques au design très suédois mais fabriquées en Chine, vendues en ligne. Il possède aussi le tiers de Lynk&Co, une marque de véhicules vendus par abonnement.
Dernier élément de la mue de Volvo Cars, qui s’inscrit parfaitement dans la stratégie du groupe Geely: la vente directe. La marque suédoise espère fortement accroître la part de la vente sur le net. D’ici la moitié de la décennie, elle compte écouler une voiture sur deux de cette manière, contre 6% actuellement. Les constructeurs n’ont souvent aucun contact avec les clients, c’est l’affaire des concessionnaires. “Mais je trouve étrange de vendre des véhicules de plusieurs dizaines de milliers d’euros sans jamais parler aux clients”, observe Jim Rowan.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici