Ils se lancent durant la crise: découvrez le parcours inspirant de ces entrepreneurs
Ces entrepreneuses et entrepreneurs ont créé leur projet en pleine période de crise. Malgré les doutes et les incertitudes, ils perçoivent des opportunités et n’hésitent pas à s’en saisir. Par Christophe Charlot et Gilles Quoistiaux.
“La crise m’a donné l’envie de me lancer. ” Plutôt que de ruminer sur l’arrêt complet de son activité de podologue suite au confinement, Lionel Fuchs a décidé de devenir entrepreneur. Avec un projet de circonstance : la production de visières de sécurité. ” Dans chaque crise, il faut trouver des solutions. Nous apportons notre pierre à l’édifice. ”
Avec son associé, un ingénieur dans le secteur de la construction, le néo-entrepreneur s’engage dans la fabrication de visières en plastique transparent. Ces visières visent à protéger le visage des microgouttelettes qui transmettent le virus d’une personne à l’autre. Ce système est complémentaire aux masques en tissu qui sont de plus en plus utilisés par la population.
Lionel Fuchs pense que l’utilisation des visières de sécurité va, elle aussi, connaître une forte progression dans les prochains mois. Il cible dans un premier temps les entreprises qui cherchent à équiper leur personnel de systèmes de protection adaptés. Medi-Market a déjà passé une première commande à Square For You, l’entreprise créée par son associé et qui produit déjà 1.500 visières par semaine dans la périphérie bruxelloise. Lionel Fuchs ambitionne de multiplier cette production par 15 d’ici deux semaines, et pourrait même arriver à une capacité de 50.000 visières par jour, avec de nouveaux équipements. L’entrepreneur compte cibler prioritairement le secteur du commerce ainsi que l’horeca, qui pourraient être amenés à utiliser ce matériel dans le cadre du déconfinement.
Dès l’annonce des premières mesures visant à ralentir la progression de l’épidémie, Anouk Rosseels sent que les difficultés psychologiques ne vont pas tarder à apparaître chez les personnes confinées. Elle lance PsySolidaires, une plateforme en ligne qui met en contact des patients et des psychologues volontaires, pour des séances téléphoniques ou vidéos.
Ce service gratuit réunit aujourd’hui une centaine de psychologues. Il a déjà été utilisé par plus de 300 personnes. Anouk Rosseels souhaite désormais pérenniser l’initiative et lui donner une tournure entrepreneuriale. ” Je veux conserver l’esprit solidaire de la plateforme. Le service bénévole sera toujours proposé en première ligne. Mon idée est d’y ajouter un nouveau service de référencement des psychologues, qui payeront une cotisation en échange de la visibilité qu’apporte la plateforme “, explique-t-elle.
La psychologue entrepreneuse, qui suit une formation en marketing digital et en entrepreneuriat chez Skills Factory, n’en est pas à son coup d’essai. Elle compte déjà un premier concept à son actif : Alouha, une plateforme proposant des services aux entreprises dans le domaine du bien-être. Cette fois, Anouk Rosseels met le cap sur un service d’annuaire en ligne : ” J’ai beaucoup de demandes qui continuent d’arriver pour PsySolidaires. Je veux faire perdurer ce projet. Pour cela, je dois pouvoir gagner ma vie “. L’entrepreneuse planche sur son business plan et espère concrétiser son idée dans les prochaines semaines.
Lancer une agence digitale en pleine crise. Ce sera la deuxième fois qu’il fait le coup. En juillet 2001, juste après la bulle internet et avant les attentats de New York, Dominique Mangiatordi avait lancé Globule Bleu, agence liégeoise de développement numérique (site web, etc.). Non sans succès : l’entreprise avait dépassé les 50 personnes avant de séduire Fabrice Wuyts, fondateur de Proximedia, qui l’a rachetée.
Aujourd’hui, Dominique Mangiatordi, déjà à la tête du studio de développement d’application Opp, lance Greight. ” Une agence post-covid “, glisse-t-il le sourire aux lèvres. Concrètement ? Une entreprise de marketing digital spécialisée en expérience utilisateur (dites l’UX dans le jargon). ” Je suis convaincu qu’au sortir de la crise, plus que jamais, les réflexes du consommateur vont changer. Celui-ci deviendra une forme d’empereur que les marques devront satisfaire. Et le marketing psychologique deviendra le marketing tout court. ”
Si l’idée d’une nouvelle agence, en marge d’Opp, avait germé depuis quelque temps, la crise a accéléré les choses. ” C’est le bon moment, affirme le multi-entrepreneur. En période de crise, il y a des parts de marché à prendre. Les mois à venir seront moroses pour beaucoup de sociétés et pas mal d’agences vont souffrir car les budgets seront à la baisse. Nous, par contre, nous serons quatre pour commencer, donc nous n’aurons pas énormément de coûts. Nous serons agiles et flexibles, et nous n’aurons pas le stress des dettes et d’une structure qui plombe la créativité. ”
Car pour Dominique Mangiatordi, le marketing digital ne va pas s’arrêter : les boîtes auront toujours des budgets pour du marketing, mais voudront le faire autrement. Et Greight compte jouer la politique du ” pied dans la porte ” : entrer dans les entreprises via des petits projets, convaincre et grandir avec ses clients. La société derrière Greight sera constituée le 18 mai. Elle engrange déjà un capital de 300.000 euros et compte, parmi ses actionnaires, des proches du fondateur, dont Christophe Chatillon (Tapptic) et Fabrice Wuyts (ex-Proximedia).
En mars dernier, Ludmila de Moffarts quitte son boulot dans une grande entreprise internationale pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Son idée ? Créer des espaces de coworking à domicile. Cet ” Airbnb du bureau partagé ” se présente comme une alternative aux espaces de coworking classiques ” trop chers pour le service proposé et pas suffisamment conviviaux “, estime l’entrepreneuse. Elle invite, en mode test, des freelances à la rejoindre chez elle pour 10 euros par jour. Le succès est immédiat. ” Cinq personnes devaient venir chez moi quelques jours plus tard. Puis le lockdown est tombé “, explique Ludmila de Moffarts.
L’entrepreneuse ne se décourage pas. Elle crée un groupe Facebook invitant ses membres à échanger des bons plans pour des activités à domicile. Après avoir réuni près de 1.000 participants, elle réoriente les discussions vers la question de la productivité à domicile. ” L’idée est d’animer des espaces de coworking virtuels, pour aider les travailleurs à domicile qui souffrent de la solitude “, souligne Ludmila de Moffarts. Ucowo est né.
Chaque jour, l’entrepreneuse organise des sessions de 50 minutes destinées à déterminer les objectifs professionnels de chacun, à échanger sur des sujets d’actualité ou à brainstormer. Actuellement, les sessions sont ouvertes à tous, gratuitement. Mais le service va passer en mode payant (19,95 euros par mois), avec un accès illimité aux sessions de travail et à la communauté de coworkers virtuels.
Ludmila de Moffarts songe aussi à faire évoluer son concept vers un service à destination des entreprises qui cherchent à optimiser le travail à domicile de leurs collaborateurs. L’entrepreneuse se voit comme une ” facilitatrice du homeworking “. Son projet initial d’Airbnb du bureau partagé reste aussi dans un coin de sa tête, en espérant qu’il puisse resurgir lors d’une phase ultérieure du déconfinement.
Se rencontrer pour faire des affaires et trouver de nouveaux clients ? Voilà le créneau des ” clubs d’affaires “, ces réseaux structurés qui permettent aux pros de se refiler des clients, bons plans, etc. Mais forcément, en période de confinement, ce genre de rendez-vous, souvent hebdomadaire, est impossible. ” Voilà pourquoi nous avons volontairement accéléré le lancement de notre idée de club d’affaires en ligne “, avancent en choeur Pierre Garcia et Jean Benoit Duvivier, les fondateurs de BAO, pour ” bouche à oreille “.
Leur projet se présente comme une plateforme d’échange qui permet de mettre en relation des prestataires. Un grand réseau de leads, en quelque sorte, où les prestataires inscrits peuvent obtenir de nouveaux clients, renseignés par des utilisateurs, lesquels empochent une commission. Alors que la société qui encadre BAO sera constituée d’ici quelques semaines, la plateforme tourne déjà depuis quelques mois. Et ses fondateurs l’ont surtout boostée depuis quelques semaines pour rebondir sur la crise Covid-19. C’est à distance qu’ils ont obtenu 250.000 euros d’une série d’investisseurs et qu’ils ont recruté pas moins de 750 utilisateurs. Il s’agit d’un club ” privé “, sur invitation. Mais tous les profils peuvent s’y inscrire pour renseigner des leads et toucher une commission.
Les prestataires, quant à eux, s’acquittent d’un abonnement de 800 euros pour faire usage de la plateforme. Plus d’une cinquantaine se seraient déjà inscrits. ” Cela montre bien que BAO apporte une solution attendue dans un contexte compliqué, insiste Pierre Garcia. Et même une fois le déconfinement amorcé, BAO permettra de faire facilement des affaires, comme dans un club d’affaires, mais sans la contrainte du présentiel. ” Néanmoins, pour assurer les liens entre membres, BAO prévoit, dès que ce sera réaliste, des rencontres bel et bien physiques.
Personne n’est encore parvenu à trouver une alternative vraiment efficace à la simple to do list. C’est sur la base de ce constat que le start-up studio belgo-français eFounders a initié le projet Kairn, avec Patricia Bernasconi comme CEO et cofondatrice. ” Arriver à avoir un outil numérique capable de capturer facilement des tâches à faire, connecté aux outils de communication et qui accélère la récupération des tâches, voilà le défi qu’on s’est fixé, avance la CEO. Car notre mission ultime consiste à avoir un impact positif sur la productivité et faire en sorte que nos utilisateurs soient fiers de leur journée. ”
En mode start-up, Kairn n’a pas encore dévoilé sa version beta. Il faut dire que la jeune pousse, basée à Paris, vient juste de voir le jour. Mais plus de 1.000 personnes se sont déjà inscrites sur la waiting list du projet. ” La crise ne nous inquiète pas, glisse Patricia Bernasconi. Au contraire, je pense que c’est un bon moment. Car la situation est anxiogène et les gens vont vouloir changer leur manière de gérer leur quotidien. Cela nous ouvre la voie pour devenir cet accompagnateur de nouvelles pratiques, plus productives et plus efficaces. ” Pour l’instant, Kairn n’a pas besoin d’aller trouver des investisseurs : le projet est financé par eFounders sous son modèle de ” start-up studio ” qui initie des projets, en finance les premiers développements, avant l’arrivée de premiers investisseurs et le début de l’envol.
Et le marché des clients ? Dans un premier temps, Kairn sera gratuit pour la gestion de tâches, avant de se tourner, à terme, vers des fonctionnalités professionnelles payantes. ” Si les clients sont plus frileux pour de nouvelles dépenses, il faudra leur montrer toute la force de notre produit, analyse l’entrepreneuse. Et leur assurer un vrai retour sur investissement, une grosse valeur ajoutée… ”
Tout était prêt pour un lancement début avril. Puis le Covid-19 est venu tout chambouler. ” Reculer n’a jamais été une option. Mais vu les incertitudes, nous avons choisi de repousser après les vacances de Pâques la communication autour de notre projet. ” L’avocat Guillaume Beauthier ne s’attendait pas à inaugurer son nouveau cabinet, Harvest, dans une période aussi particulière, mais il ne voit aucune raison de changer ses plans. ” Les journées sont bousculées d’un point de vue pratique, comme pour tout le monde. Mais l’activité continue “, souligne l’avocat. ” Les questions des entreprises ne sont pas fondamentalement différentes par rapport à d’habitude. Certes, l’administration fiscale fonctionne encore un peu plus au ralenti mais chez nos clients ça tourne “, sourit l’avocat fiscaliste et associé Didier Grégoire. Comme les autres avocats de Harvest, il est issu du cabinet CMS.
La nouvelle structure se présente comme un cabinet ” boutique “, spécialisé en droit des affaires et en fiscalité. Ses fondateurs estiment être armés pour faire face à la crise. ” Contrairement aux cabinets établis, nous n’avons pas une grosse structure de coûts. Nous sommes plus agiles “, commente Guillaume Beauthier. Harvest vit pour le moment en mode ” start-up ” dans des locaux aménagés à la va-vite. Le mobilier de bureau, commandé dans le nord de l’Italie, se fait encore attendre…
Le plus gros défi sera d’assurer la prospection de nouveaux clients, une activité indispensable lorsqu’on lance un nouveau cabinet inconnu au bataillon. Difficile pour l’instant d’écumer les séminaires et autres événements, encore plus de luncher avec des prospects. Du coup, le bureau d’avocats compte surtout sur le bouche à oreille. ” La meilleure manière de se faire connaître, c’est de délivrer à nos clients un service juridique de qualité. C’est toujours vrai en temps de Covid “, souligne Guillaume Beauthier.
“Après 15 mois de travail, de recherches, de formations, de rencontres et avec la grande aide de ma famille, d’amis, d’entrepreneurs et de coachs, je deviens officiellement entrepreneur et indépendant. ” Ce message posté sur LinkedIn par Gilles Crahay prend un sens particulier en cette période de crise. Il a presque un air de défi. ” Vu les circonstances, j’ai eu un gros coup de pression pour la création de mon entreprise. Mais je suis surtout engagé dans un projet à long terme, qui prendra plusieurs années “, confie l’entrepreneur.
S’il a dû précipiter la création de sa société, c’est en raison d’une date butoir. Le 2 avril dernier, Gilles Crahay devait répondre à un appel à projets de recherche lancé par la Région wallonne. Une procédure qui nécessitait d’être organisé en société. ” J’ai pu m’arranger avec la banque, le notaire, le guichet d’entreprise, en faisant des réunions par vidéoconférence… Tout prend plus du temps, mais tout le monde est compréhensif “, souligne l’entrepreneur.
Le projet de Gilles Crahay répond à une problématique très actuelle : comment fabriquer des emballages plus respectueux de l’environnement ? Son idée est de créer un bioplastique à base d’amidon de pois. Cette matière première peu valorisée est récupérée dans le processus de production de l’entreprise familiale Cosucra, dirigée par son père Jacques Crahay, par ailleurs président de l’Union wallonne des entreprises (UWE).
” Nous devons nous passer d’un maximum d’emballages, explique le jeune entrepreneur. Mais nous voyons aussi que nous avons besoin des emballages pour des raisons de stérilité, d’hygiène, de protection des produits… Pour cela, le plastique reste aujourd’hui le matériau le plus pratique et le moins cher. Nous devons lui trouver une alternative durable. ” S’il décroche la bourse de recherche, Gilles Crahay se lancera dans un processus de tests qui durera deux ou trois ans avant de déboucher sur un produit commercialisable. Mais il débute déjà ses démarches auprès d’entreprises qui pourraient être intéressées par son concept. Les fabricants de produits d’entretien, notamment de dosettes pour lave-vaisselle, mais aussi le secteur alimentaire font partie de ses priorités.
C'est le bon moment pour lancer sa boîte
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