Guillaume Collard, CEO d’Eleven Sports: “Notre plus grand défi: continuer à innover”

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Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Arrivé en Belgique il y a six ans à peine, le groupe britannique Eleven Sports a fini par détrôner les opérateurs historiques pour les droits de retransmission du football belge. Ce nouvel acteur a déboursé plus de 500 millions pour un contrat de cinq ans dont la première saison s’achève en pleine crise sanitaire. Interview en forme de bilan.

Jamais le championnat belge de football n’avait valu autant d’argent. Pour la première fois de son histoire, la Pro League a en effet franchi le cap symbolique des 100 millions d’euros pour ses droits de retransmission avec une première saison malheureusement ternie par le Covid-19. Le nouveau détenteur des droits, Eleven Sports, fait le point sur cette aventure inédite par la voix de son patron belge.

TRENDS-TENDANCES. Il y a tout juste un an, la Pro League vous accordait les droits de diffusion du football belge. Quel bilan tirez-vous de cette première saison placée sous le signe d’Eleven?

GUILLAUME COLLARD. L’enthousiasme que nous avons mis dans le projet reste intact et nous sommes très satisfaits de ce que nous avons réalisé jusqu’à présent. A l’époque, nous avions présenté une vision inédite du championnat belge de football et nous étions venus avec un projet lourd d’investissements. Car il y a les droits, bien sûr, mais il y a tout le reste! Avec Eleven, c’est la première fois qu’un acteur du monde des médias investit autant dans le football belge et, faut-il le rappeler, dans une période Covid…

Concrètement, cela veut dire?

Nous avons lancé six nouvelles chaînes dont une dédiée au football belge qui est diffusée 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ce qui est une première dans le paysage média en Belgique. Nous produisons plus de 20 heures de contenus par semaine, sans parler des captations qui représentent plus de 30 heures chaque week-end, et c’est la raison pour laquelle il y a aujourd’hui, directement ou indirectement, 550 personnes qui travaillent pour Eleven Sports Belgique. Les gros matchs avec Bruges, Standard ou Anderlecht se font désormais avec 23 ou 24 caméras dans les stades, ce qui est seulement une ou deux de moins qu’un Clasico Real Madrid-Barcelone. C’est énorme! Nous avons eu aussi des accords avec tous les distributeurs historiques (Proximus, Telenet, VOO…) pour diffuser nos chaînes en plus d’Orange et de M7/TV Vlaanderen. Nous avons lancé nous-mêmes une nouvelle plateforme digitale qui a pris beaucoup d’ampleur et nous avons aussi multiplié les accords pour distribuer la Jupiler Pro League à l’étranger, ce qui permet au final de donner une exposition maximale au football belge. Bref, nous avons pas mal innové et nous avons aussi lancé un nouveau branding autour de la Pro League. Si on met tout cela en perspective, encore une fois en période Covid, je peux dire que nous sommes très contents.

Il y a aujourd’hui, directement ou indirectement, 550 personnes qui travaillent pour Eleven Sports Belgique.

Pouvez-vous dire aujourd’hui quel montant Eleven a payé pour ces droits télé ou cela reste-t-il encore tabou? On a parlé de 500 millions d’euros pour une durée de cinq ans, ce qui fait plus de 100 millions par an…

Ce n’est pas tabou mais il y a un contrat et il faut en respecter la confidentialité. Je peux juste vous dire que les chiffres qui ont été mentionnés sont proches de la réalité, mais c’est plus que 100 millions par an. Vous savez, je suis CEO d’Eleven Sports Belgique et Luxembourg, mais je suis aussi chief rights acquisition officer pour le groupe d’Eleven au niveau mondial, donc je connais bien l’industrie dans laquelle on évolue et je peux vous dire qu’il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui ont mis plus de 100 millions par saison, sans compter la production, pour un projet d’une telle ampleur en pleine crise sanitaire.

Et quel est le montant dépensé pour tous les investissements annexes dont vous parliez à l’instant?

C’est très simple: par an, rien que pour la production, vous pouvez ajouter 25%. Sans le marketing, ni tous les autres coûts indirects…

En cumulant les droits et les coûts de production, on atteint déjà plus de 125 millions par an. Le championnat belge, surtout en temps de Covid où il n’y a pas de spectateurs dans les stades, vaut-il vraiment cette somme?

Nous avons un projet et une vision sur cinq ans. Si nous avons décidé, à un moment donné, de débourser ces montants, c’est parce que nous estimons que c’est la juste valeur qui nous permet d’avoir la rentabilité et le retour sur investissement sur une période de cinq ans. Mais il est évident que notre business plan a évolué avec le Covid. Les supporters, qui sont au coeur de notre projet, ne sont plus dans les stades. Or, sans les fans dans les stades, c’est une moins-value manifeste. Alors, on essaie de compenser avec, par exemple, le son virtuel sur trois rencontres par semaine, mais ce n’est pas la même chose. Bien sûr, certains vous diront que le Covid a aussi ses avantages et qu’il y a forcément plus de spectateurs derrière leur écran. C’est fort probable, mais il ne faudrait pas tomber dans le raccourci qui consiste à croire qu’il y a, en conséquence, plus de revenus publicitaires. Ce n’est pas vrai car le marché publicitaire en 2020 a aussi été touché par la crise…

Guillaume Collard, CEO d'Eleven Sports:
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Les contributions des opérateurs télécoms, les abonnés payants sur votre plateforme digitale et vos revenus publicitaires dépassent-ils ensemble ces 125 millions par an? Autrement dit, votre business est-il rentable?

On ne ferait pas ça pour le plaisir sans espérer que cela soit rentable au terme des cinq années du contrat. Mais c’est une bataille de tous les instants…

Contrairement aux opérateurs télécoms qui détenaient précédemment les droits du foot belge, vous avez choisi de communiquer, pour la première fois cette saison, les audiences de chaque match avec le CIM. Pourquoi?

Et pourquoi pas? Non, sérieusement, il n’y rien de secret! Cela dit, il y a quelques nuances à apporter. Premièrement, cela s’inscrit dans notre modèle économique. A partir du moment où l’on crée une chaîne unique, diffusée par tous les opérateurs, elle est plus facilement mesurable par le CIM. Deuxièmement, il est important pour nous de savoir, en termes de performances, où l’on se situe. A cela s’ajoute une valeur commerciale. L’une des lignes de notre business model, c’est la publicité. Pour les annonceurs, il est important de savoir ce qu’ils achètent exactement et donc d’avoir une évaluation de leur investissement. Et puis, enfin, il ne faut pas oublier que c’est aussi une demande des clubs, depuis plusieurs années, pour deux raisons: d’une part, pour leurs sponsors et, d’autre part, pour la clé de répartition des revenus des droits dans laquelle nous ne sommes pas impliqués.

Nous avons multiplié les accords pour distribuer la Jupiler Pro League à l’étranger, ce qui permet de donner une exposition maximale au football belge.

Cela permet aussi de créer un classement “indiscutable” des clubs de la Pro League en termes de visibilité pour éviter des prises de position isolées, comme l’ont fait l’Antwerp et La Gantoise qui avaient refusé, au départ, de se joindre à l’accord…

Il ne faut pas le voir comme un moyen de pression. La façon dont les clubs s’organisent au sein de la Pro League ne nous regarde pas. Il faut plutôt le voir comme un outil de mesure qui est sain et qui permet à chacun de connaître enfin les vrais chiffres d’audience de chaque match.

Aujourd’hui, vous touchez 900.000 foyers qui paient les opérateurs télécoms pour voir vos chaînes, c’est exact?

Oui, c’est cela, nous sommes présents dans plus de 900.000 foyers en Belgique à travers l’ensemble de nos chaînes. C’est énorme.

Le fait de communiquer les audiences de chaque match va-t-il vous permettre de peser davantage sur le marché publicitaire?

C’est la logique même. Dans le projet que nous avons créé, il est important de mesurer exactement l’audience des rencontres pour développer les meilleures relations commerciales possibles.

Etes-vous satisfait des audiences chez les différents opérateurs télécoms?

Globalement, nous sommes satisfaits, mais je suis sûr qu’on peut encore faire mieux. Je dois reconnaître que les chiffres, par moment, m’ont vraiment étonné…

Par exemple?

Un Bruges-Anderlecht, dans le nord du pays, fait quasiment 20% de parts de marché un dimanche après-midi. Cela veut dire qu’une personne sur cinq en Flandre, qui était devant sa télé, a regardé ce match alors qu’il s’agit d’une chaîne payante. Standard-Anderlecht, il y a moins de deux semaines, a fait 14% de parts de marchés en Wallonie. Nous sommes très fiers car nous touchons en moyenne, chaque week-end, entre 650.000 et 750.000 téléspectateurs.

Aujourd’hui, qui est le club champion de l’audience télé en Belgique? Le classement médiatique est-il similaire au classement sportif?

Pas nécessairement. Bien sûr, les clubs historiques comme Bruges, Anderlecht et le Standard font généralement les meilleures audiences, mais on a très vite des équipes comme Genk, Charleroi, La Gantoise, Antwerp et le Beerschot qui suivent. C’est assez serré et ça reflète un peu la logique sportive.

Quel est le match de Pro League qui a été le plus regardé à ce jour?

Genk-Anderlecht avec près de 450.000 téléspectateurs ( en mode “reach 1s”, c’est-à-dire des téléspectateurs qui ont regardé au moins une seconde du match, Ndlr).

A ces statistiques, il faut ajouter celles de votre propre plateforme digitale où vous diffusez également les matchs. Combien d’abonnés payants avez-vous aujourd’hui?

Plusieurs dizaines de milliers, mais nous ne communiquons pas le chiffre exact pour l’instant. Nous le ferons peut-être en fin de saison parce que les chiffres seront plus consistants. Il ne faut pas oublier que le marché digital est assez volatil dans le sens où certains prennent un abonnement d’un mois pour voir leur équipe favorite lors d’un grand match, en se disant qu’ils reviendront peut-être pour les play-offs. Donc, il est préférable de faire le bilan en fin de saison avec toutes les statistiques. C’est plus consistant.

Autre nouveauté: vous avez conclu un accord avec le bancassureur KBC/CBC pour la diffusion de buts et de résumés de matchs sur son application mobile. C’est inédit dans le monde du football…

Oui et nous en sommes très fiers! C’est une innovation qui est en phase avec notre positionnement et avec notre projet. Cette banque a décidé, à un moment donné, d’opter pour une stratégie différente, d’innover dans son industrie et, après huit mois, je peux vous dire que nous sommes ravis de ce partenariat. C’est d’ailleurs un de nos communiqués qui a été le plus repris à l’international avec des titres parfois approximatifs comme Une banque diffuse le football belge ( rires). Ce n’est pas tout à fait correct, mais ça montre l’importance de cette nouvelle. Pour nous, KBC est un partenaire stratégique avec qui on s’entend très bien. Nous sommes assez complémentaires.

Vous avez aussi choisi de doper la marque Pro League en essayant de vendre les droits du championnat belge à l’étranger. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui dans cette conquête de nouveaux marchés?

Notre projet consiste à développer le football belge et la marque Pro League non seulement en Belgique mais à l’international. Aujourd’hui, nous sommes présents sur environ 40 territoires. Nous avons signé cette année avec ESPN, le plus grand réseau de chaînes sportives sur tout le continent américain et, il y a quelques jours à peine, avec les plateformes de streaming internationales MyCuJoo, OneFootball et LiveNow. Grâce à cela, la Jupiler Pro League est désormais accessible dans les grands pays du football européen comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni d’une manière innovante.

Justement, quels sont vos arguments de vente pour promouvoir aujourd’hui le football belge à l’étranger?

Il y a la réputation des Diables Rouges, bien sûr, et le terreau qui les a vus grandir. Certains Diables reviennent aussi jouer au pays et ça permet de les suivre. Et puis, il y a la campagne européenne de certains clubs qui peut donner l’envie de s’intéresser davantage à eux. Il ne faut pas non plus oublier une autre réalité économique: de plus en plus de clubs belges sont aujourd’hui détenus par des investisseurs étrangers et cela a donc un écho dans certains pays.

Quel est désormais votre plus grand défi à la tête de Eleven Belgique?

C’est de continuer à faire évoluer le produit en restant en phase avec la vision que l’on a établie. On peut continuellement l’améliorer et apporter des innovations. On va d’ailleurs faire de grandes choses pour les play-offs alors que nous pourrions laisser la saison se terminer tranquillement et reporter ces innovations à la saison prochaine. Allez, je vous donne un scoop! Pour les play-offs, nous allons amener la réalité augmentée en bord de terrain. Concrètement, le journaliste qui sera sur la pelouse du match pourra montrer des graphiques virtuels et d’autres animations à l’écran comme s’il était en studio. Cela ne s’est jamais fait en Belgique et c’est l’exemple même de notre plus grand défi: continuer à innover.

Profil

  • Né le 31 août 1984 à Charleroi.
  • Diplôme d’ingénieur de gestion à la Louvain School of Management.
  • Premiers pas professionnels en 2007 comme analyste de marché chez Belgacom.
  • Il gravit peu à peu les échelons de l’entreprise devenue Proximus et est nommé, en 2014, responsable de la stratégie et de l’amélioration du contenu.
  • En 2016, il intègre Eleven Sports Belgique comme responsable commercial, avant d’en devenir, trois ans plus tard, le directeur général.
  • Depuis cette année, il est également responsable des acquisitions du groupe Eleven Sports au niveau mondial.

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