Foto.com : un géant belge très discret

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En cinq ans, la petite entreprise brabançonne d’impression de photos numériques est devenue l’un des grands acteurs européens de son secteur. En toute discrétion.

Dans le Top 3 européen

Tous les grands acteurs du marché de l’impression photo revendiquent le titre de “leader” ou de “leading company“, y compris Foto.com. La comparaison n’est pas aisée. Si l’on s’en tient au chiffre d’affaires, par exemple, Foto.com est loin derrière le belge Spector, qui affiche 53,9 millions d’euros de ventes pour son activitéimaging pour les neuf premiers mois de 2009, alors que Foto.com a réalisé 25 millions d’euros pour toute l’année. Mais les ventes de Spector incluent un mix différent de celui de Foto.com, avec une partie dédiée à la photo traditionnelle en 35 mm.

“Foto.com est un joueur très important dans le marché, surtout dans le secteur du tirage papier, où nous finalisons un classement pour 2009”, commente Joanna Wright, senior market analyst chez Futuresource, une société d’études de marché spécialisée dans l’électronique grand public et l’image numérique. “Nous estimons que Foto.com devrait figurer dans le Top 3 de l’Europe occidentale pour ce marché, poursuit-elle. En revanche, l’album photo et les produits personnalisables ne sont pas un secteur encore très substantiel pour Foto.com, qui ne devrait pas figurer dans le Top 10.” En matière d’album de photo, les entreprises les plus importantes en 2009 en Europe ont été, par ordre d’importance, CeWe Color (Allemagne), Albumprinter (Pays-Bas), Hofmann (Espagne) et Extrafilm (Spector, Belgique).

En cinq ans, la petite entreprise brabançonne d’impression de photos numériques est devenue l’un des grands acteurs européens de son secteur. En toute discrétion.

S’il fallait dresser la liste des gagnants de la photo numérique chez nous, Pierre-François Grimaldi, 54 ans, figurerait sans doute en très bonne place. Cet homme d’affaires français, sérial entrepreneur, s’est installé en Belgique parce qu’il “en avait marre de la France”. A Paris, il avait déjà quelques belles créations d’entreprise à son actif, comme iBazar, un site de ventes aux enchères entre particuliers qu’il a revendu à eBay. Auparavant, il avait lancé un site de vente d’actions en ligne, iBourse, qu’il a bien revendu à une banque italienne.

Arrivé dans son nouveau pays, Pierre-François Grimaldi n’a pu s’empêcher de remettre le couvert. Toujours sur l’Internet, mais cette fois dans le marché naissant de l’impression de photos numériques en vente directe. “C’est l’un des secteurs où l’Internet remet en cause tout le business. Ce n’est pas comme pour l’épicerie, où on constate juste un glissement de quelques pour cent.”

Il n’a pas eu peur d’affronter la concurrence avec des laboratoires géants déjà bien installés, comme Spector (Wetteren) ou l’allemand CeWe Color. Lorsque Trends-Tendances lui avait rendu visite, en 2005, pour un premier article, il venait de s’installer dans des locaux de 300 m2 à Rhode-Saint-Genèse, sur la chaussée de Waterloo. Avec quelques employés, il faisait tourner une machine à développer Fuji. Son bureau se résumait à un divan et un ordinateur portable posé sur les genoux.

Aujourd’hui, Pierre-François Grimaldi occupe un bureau plus conventionnel, assez sobre, à Louvain-la-Neuve, d’où il dirige une véritable usine, avec 6.400 m2 de surface de production. Le bâtiment, voisin de McKinsey, occupe 200 personnes en période de pointe et commence à atteindre ses limites. “Nous regardons si nous ne pourrions pas déménager dans la même zone”, témoigne-t-il.

Trois millions de photos par jour

Foto.com navigue sur un marché que la crise n’a pas fait reculer. En 2009, l’entreprise réalisait un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros, contre 20 millions en 2008 et 15 millions en 2007. La société est rentable (440.000 euros de profit net en 2008). Sa clientèle déborde à présent largement la Belgique et concerne les pays limitrophes et la Scandinavie.

A ses débuts, Pierre-François Grimaldi faisait sourire la concurrence. “Il ne s’agit que d’un minilab“, avait-on entendu chez Spector. Ce qui n’était pas faux. Sauf que le minilab, devenu grand, se tient au coude à coude avec ceux qui le toisaient de haut. Sur son site, Foto.com s’affirme carrément “leader mondial du tirage numérique”. “En pleine capacité de production, précise Pierre-François Grimaldi, nous pouvons imprimer trois millions de photos par jour.” En matière de chiffres d’affaires, Foto.com n’est certes pas en haut du classement (lire l’encadré ci-contre), mais l’entreprise fait néanmoins partie des grands acteurs européens.

Foto.com avait l’avantage de partir de zéro, et de ne pas devoir assumer une transition entre la photo 35 mm et l’image numérique, comme Spector ou CeWe Color. Spector a beaucoup tâtonné car son modèle d’affaires était surtout basé sur la vente via des détaillants. Il a dû développer la vente directe avec la marque Extrafilm tout en continuant de servir son réseau avec Spector.

Les start-up comme Foto.com visent, elles, la vente directe. Pierre-François Grimaldi a dû transformer une faiblesse en force. Il ne proposait que deux formats de photos, 10 x 15 cm et 11 x 15 cm. Mais à un prix très modique : 9 cents par photo, soit environ la moitié de la somme demandée par les concurrents du moment. Il insiste moins aujourd’hui sur cet aspect, car l’écart de prix n’est plus aussi significatif. “Le prix est un argument, mais le service est plus important. Beaucoup de gens qui étaient encore moins chers que nous n’ont pas tenu.”

Dès le début, Pierre-François Grimaldi s’était creusé la tête pour marquer l’esprit du client par un détail et compenser le côté désincarné du développement de photos en ligne. Il a donc misé sur l’emballage et fait fabriquer des boîtes en plastique pour l’envoi des photos imprimées. “Je me disais que, du point de vue du consommateur, la question de l’emballage était primordiale. Les gens se demandent souvent dans quel état ils vont recevoir leurs photos…” Il fallait donner une bonne impression dès la première commande. Pour qu’il y en ait ensuite une deuxième, puis une troisième…

Les albums plus rentables que les photos

En cinq ans, les choses ont fortement changé. Foto.com a élargi son offre. La petite boutique est devenue un supermarché, avec un choix à la hauteur des grands concurrents comme CeWe Color ou le groupe français Photoways. Foto.com mise moins sur les prix. D’ailleurs, la simple photo n’est plus le marché qui monte en flèche. La concurrence y a du reste laminé les marges. En 2010, la croissance et les marges proviennent surtout des albums photo, des posters et des produits personnalisables : mugs, tee-shirts, ballons, cartes de v£ux et autres calendriers. Dernier gadget en date… le string personnalisé !

Les ventes de Foto.com se partagent à parts égales entre impression photo et produits dérivés (albums compris). Selon la société d’études de marché Futuresource, les albums ont connu une croissance globale de 36 % en 2009, pour arriver à plus de 14 millions d’exemplaires, et devrait atteindre les 23 millions en 2012. Ce marchéévolue donc très bien, mais reste toutefois encore freiné par deux facteurs : les prix sont nettement plus élevés que pour les tirages photo et l’élaboration de l’album exige un grand travail pour le client. Il doit prendre le temps de choisir, puis placer les photos et rédiger les légendes en utilisant les logiciels plus ou moins conviviaux fournis par les sites de service en ligne.”Cela reste un marché de niche, estime le patron de Foto.com. La question est de voir si un marché de niche se transformera, comme le tirage photo, en marché de masse.”

Un marketing discret

Foto.com – qui a fait le choix de la distribution directe – a été sollicité dès le début de ses activités par des chaînes de magasins, mais n’a jamais conclu d’accord. “La marge d’un vendeur en ligne comme nous est un peu plus élevée que celle d’un grossiste, mais plus faible qui celle d’un détaillant.” Pour éviter de trop raboter sa marge, Foto.com a donc évité de conclure ce type d’accord.

Pour le marketing, Pierre-François Grimaldi se montre beaucoup plus discret. “C’est un peu le trou noir de l’entreprise”, avoue-t-il. Il préfère ne pas trop en parler, car tout le monde s’épie sur le marché. Comme l’entreprise n’est pas cotée, elle n’est pas obligée de publier des informations détaillées dans des rapports annuels et trimestriels, comme le font Spector ou CeWe Color. Elle s’en tient aux obligations légales : les comptes déposés à la Banque nationale de Belgique.

Donc point de confidences sur le marketing, hormis ce qui est visible, comme la marque. Pierre-François Grimaldi a acquis le nom de domaine Foto.com en 2000, pour plus de 100.000 euros. Cela a pu jouer un rôle pour le décollage de l’activité. “Les noms de domaine générique, finalement, ce n’est pas si important que cela, estime aujourd’hui l’entrepreneur. C’est comme si l’on produisait des voitures qui s’appelleraient voiture.” Foto.com achète aussi des mots-clés sur Google, et n’oublie pas d’envoyer des mails promotionnels aux clients existants.

Les limites de l’imprimerie numérique

De toutes les entreprises que Pierre-François Grimaldi a lancées sur l’Internet – et même avant, car il a débuté dans les petites annonces sur Minitel en 1985 -, Foto.com est sans nul doute la plus industrielle. “Cela n’a rien à voir avec un Facebook ou un Google qui, pour poursuivre leur croissance, se contentent d’ajouter des racks d’ordinateurs. Nous faisons cela aussi, car la partie IT est très importante ; c’est elle qui automatise nos relations avec les clients. Mais nous devons aussi acheter et installer des machines à imprimer à 500.000 euros pièce. Il faut en outre stocker du papier, des emballages, des produits chimiques.”

Car si la prise de vue est désormais numérique, l’impression des images reste encore chimique, comme il y a 50 ans. “Rien ne bat la qualité de l’image argentique”, note Pierre-François Grimaldi. Les albums photos peuvent certes être produits sur des presses numériques qui offrent une souplesse considérable et permettent l’impression recto-verso. Mais si vous faite un test auprès du public, en montrant des photos argentiques et des photos issues d’imprimeries numériques, les premières seront toujours préférées.”

“Notre spécificité, dans le monde de l’e-commerce, c’est que nous produisons ce que nous vendons.” L’exercice est donc assez délicat. Pour les tirages, les opérations sont très automatisées. Mais l’activité liée aux produits dérivés (albums, mugs, tee-shirts,…), en forte croissance, consomme davantage de main-d’£uvre et exige un suivi de qualité plus important. Chaque album, par exemple, doit être vérifié alors que pour les tirages numériques, il suffit de faire trois calibrages par jour pour assurer une qualité constante. La délocalisation ne nous apporterait pas de solution, car le gain en coût de main-d’£uvre se ferait au détriment de la performance de la livraison, facteur primordial dans ce marché.

Or Foto.com cherche àéviter les pertes de temps. Pour les marchés voisins, la société belge envoie chaque jour un véhicule dans le pays concerné afin de remettre directement les paquets aux services postaux nationaux. Pour la France, par exemple, les photos sont déposées directement à la Poste de Lille. Pour l’expédition en Belgique, l’entreprise assure un pré-triage à Louvain-la-Neuve, à la fois pour obtenir un meilleur tarif et s’assurer d’un délai de livraison en J+1.

Le futur de la photo papier

Ce marché devrait connaître encore d’importantes évolutions dans le futur. La concurrence de l’impression à domicile n’est plus un souci majeur, comme elle a pu l’être voici cinq ou six ans. Le consommateur a constaté que l’écart de prix en matière d’impression reste important et l’usage se limite surtout aux photos urgentes, ou à des situations particulières, comme pour les agences immobilières. Les cadres photos numériques ont fait une spectaculaire percée, mais sont encore très concentrés sur certains marchés comme la France et la Grande-Bretagne.

La barrière la plus importante dans le développement de cette activité reste la performance des télécoms. Les opérateurs augmentent la vitesse de téléchargement vers l’utilisateur, mais en sens inverse (upload), la vitesse est nettement plus lente. De quoi décourager certains consommateurs. “Après des débuts brillants, avec l’ADSL, la Belgique s’est un peu laissé aller”, estime Pierre-François Grimaldi. Pour envoyer un paquet de photos à une société d’impression en ligne, il faut facilement plus d’une heure de téléchargement car la définition atteinte par les appareils photo a alourdi les images. Ce souci devrait être réglé avec l’arrivée de réseaux plus rapides.

Enfin, sur le long terme, il reste à voir si l’image papier conservera son attrait, car les jeunes générations semblent se contenter des photos digitales, notamment sur leur GSM. “Pour le moment, 3 % à 5 % des photos prises sont imprimées. C’est peu et aussi beaucoup, car on n’a jamais pris autant d’images, il y a beaucoup de déchet. Je pense que d’ici 10 ans, on continuera à imprimer des photos, car on a envie de garder sur papier le souvenir de ce qui s’est passé voici 10 ou 20 ans. Alors que votre GSM rempli d’images ne durera pas tout ce temps”, conclut-il.

www.foto.com

Robert van Apeldoorn

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