Faire face aux difficultés d’approvisionnement: la nouvelle affaire tournesol

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Avec la guerre en Ukraine, de nombreuses entreprises se retrouvent confrontées à des soucis d’approvisionnement de matières premières, comme l’huile de tournesol. Eclairage avec les entreprises Natura, Le Saupont et Lucien.

Cher client, nous sommes actuellement confrontés à une offre limitée de certaines matières premières sur le marché, notamment en raison de la situation en Ukraine. De plus, certains produits font l’objet d’une demande accrue. En conséquence, plusieurs produits sont temporairement manquants.” Tel est l’un des messages que l’on peut lire dans de nombreux supermarchés, notamment au rayon des huiles où le tournesol brille par son absence.

Beaucoup parmi nous ont probablement appris, depuis le déclenchement de la guerre, que l’Ukraine est non seulement le grenier à blé de l’Europe mais également le premier exportateur mondial d’huile de tournesol, suivie par… la Russie. Les deux pays produisent plus de 50% du total mondial. Si le particulier constate le vide actuel dans certains rayons, les entreprises sont également confrontées à cette pénurie momentanée. L’usage du tournesol se retrouve dans une foultitude d’applications telles que l’agroalimentaire, les cosmétiques, la chimie, les biolubrifiants ou encore la nourriture pour animaux d’élevage avec les tourteaux. Et la liste est loin d’être exhaustive. Bref, cela dépasse largement la seule cuisson de nos frites.

Forte hausse des prix

Des frites sur lesquelles on aime cependant mettre de la mayonnaise. Si certains producteurs de sauces utilisent d’autres huiles végétales (colza, palme, etc.) et ne sont pas directement impactés, d’autres privilégient le tournesol. C’est le cas de Natura dont la mayonnaise – et ses déclinaisons – est pleinement concernée. “L’huile de tournesol représente 80% des ingrédients, explique Arthus de Bousies, directeur général de Natura. Quelques jours après l’invasion, les prix avaient déjà doublé. Des stocks étaient disponibles en Ukraine mais rien ne pouvait sortir du pays. Nous avons toutefois pu acheter quelques volumes, notamment du tournesol bio, afin d’avoir un peu de réserves. Dans le même temps, nous avons également effectué une série de tests (gustatif, conservation, disponibilité) avec des huiles alternatives telles que le colza ou le soja.”

ARTHUS DE BOUSIES
ARTHUS DE BOUSIES© PG
Nous avons reçu des propositions jusqu’à 6 euros le litre alors qu’en temps normal, le prix tourne autour de 80 cents.” – ARTHUS DE BOUSIES (NATURA)

En mars, Natura ne disposait d’aucune disponibilité sur le long terme. Et puis en avril, surprise: de l’huile de tournesol sort d’Ukraine par bateau ou par camion mais dans des quantités limitées et à des prix parfois exorbitants. “Nous avons reçu des propositions jusqu’à 6 euros le litre alors qu’en temps normal, le prix tourne autour de 80 cents, constate Arthus de Bousies. Bref, c’était plus cher que la mayonnaise. Pour le moment, nous disposons de stocks suffisants jusqu’à fin août. De temps en temps, arrive un camion avec une citerne d’huile.” Par ailleurs, Natura, qui a repris il y a deux ans la moutarderie Bister, souffre également d’un manque de graines de moutarde (5% de la composition d’une mayonnaise) qui provient dans son cas également d’Ukraine. “Traditionnellement, les producteurs belges, néerlandais et allemands se fournissent en Ukraine alors que la France, par exemple, se fournit au Canada qui est le premier exportateur mondial de graines de moutarde, précise le directeur général. Mais l’année dernière, suite à la sécheresse, la production canadienne a chuté de 30%. Cette baisse a déjà conduit à une hausse record des prix, qui ont triplé ou quadruplé.”

Au jour le jour

Comme le disait Jacques Chirac avec son franc-parler, “les emmerdes, ça vole toujours en escadrille”. Car dans le cas de la mayonnaise de Natura, il n’y a pas que l’huile et la moutarde qui ont vu leurs prix exploser. Les oeufs aussi, suite à la grippe aviaire qui décime les élevages de volailles. Sans oublier la hausse du prix des emballages, des cartons, des étiquettes et, last but not least, de l’énergie. Des hausses et une instabilité qui demandent au chef d’entreprise de jongler en permanence avec ses prix et de les adapter au jour le jour. “Pour tout nouveau client, l’offre que nous lui soumettons n’est valable que jusqu’au soir”, confirme Arthus de Bousies.

On le voit, Natura présente un concentré des problèmes qui risquent de se multiplier à l’avenir pour nombre d’entreprises actives dans le secteur alimentaire: dérèglement climatique (graines de moutarde), développement de maladies telles que la grippe aviaire (oeufs), conflits (huile de tournesol).

Son directeur général demeure cependant confiant, comme il nous le confie: “Avec nos sauces Natura, nous fournissons le retail (60%) et l’horeca (40%). Et dans ce dernier, on sent une reprise. La situation est certes difficile depuis deux ans, mais – c’est paradoxal – nous sommes en croissance. Notamment avec les moutardes Bister dont les ventes ont doublé depuis septembre 2020.” Pour l’huile de tournesol, Arthus de Bousies ne s’attend toutefois pas à un retour à la normale avant 2023, pour autant que les semis soient réalisés dans la première moitié de ce mois. Mais en Ukraine, si une bonne partie des terres sont prêtes, avec des engrais et des semences, ce sont les hommes qui manquent actuellement. La plupart d’entre eux sont sur le front…

ETIENNE GENIN
ETIENNE GENIN© PG
La question qui se pose à ce stade n’est pas tant le prix de l’huile de tournesol, qui a quadruplé, mais la disponibilité à long terme.” – ETIENNE GENIN (ATELIER DU SAUPONT)

Pénurie réelle ou créée

Dans un autre registre et en quantité moindre, l’Atelier du Saupont est également friand d’huile de tournesol. “Nous en utilisons dans nos produits cosmétiques pour plusieurs de nos clients, confirme Etienne Genin, directeur général de cette entreprise de travail adapté (ETA). Pour certains, cela peut même être l’ingrédient de base, comme dans le cas de l’huile de massage, par exemple. La remplacer est possible mais cela nécessite de développer une nouvelle formule avec tout ce que cela implique en termes de coût, tests, efficacité et délais.” Et de s’interroger dans la foulée sur ce qui cause ce problème d’approvisionnement, au-delà de la guerre actuelle: “Il y a effectivement une pénurie – réelle ou créée? – liée au conflit en Ukraine. Le tournesol est récolté une fois par an. Donc, il s’agit à mon sens de la crainte de ne pas avoir de l’huile pour l’année prochaine. Beaucoup de sociétés essaient de se couvrir en stocks de manière à éviter ce problème dans le futur. Pour assurer la continuité du business, la question qui se pose à ce stade n’est pas tant le prix, qui a quadruplé, mais la disponibilité à long terme.”

Ce coup de projecteur mis sur l’huile de tournesol n’a pas amené les seules entreprises à s’inquiéter. Les consommateurs aussi, dont certains ont constitué quelques réserves, anticipant une pénurie qui n’existe pas (encore). Si l’on en croit les acteurs de la distribution, on devrait pourtant voir prochainement les rayons se garnir à nouveau d’huile de tournesol, ainsi que de colza et d’arachide, entre autres, sur lesquelles certains clients s’étaient reportés. Reste que cette question de pénurie est également analysée par Thomas Cnockaert, fondateur avec ses cousins Antoine Van den Abeele et Stany Obin, des Chips de Lucien, aujourd’hui rebaptisées simplement Lucien. “Pour notre part, nous ne constatons pas de pénurie, déclare-t-il. Il est vrai que nous ne nous fournissons pas en Ukraine mais en France. De plus, pour nos chips, nous n’utilisons pas de l’huile de tournesol linoléique mais oléique, plus riche en acides gras. Nous sommes couverts jusqu’en juin. Mais suite à la guerre, on nous a dit qu’il n’y en avait plus. Certains spéculent clairement sur la pénurie.”

Privilégier l’approvisionnement local

En matière de spéculation, les agriculteurs en connaissent en effet un bout. C’est d’ailleurs pour s’extraire de cette perpétuelle incertitude que les trois cousins se sont lancés dans la fabrication de chips avec leurs propres pommes de terre, qui constituent l’essentiel des ingrédients. “Le problème dans notre métier, c’est que le chiffre d’affaires est volatil, poursuit Thomas Cnockaert. Vous pouvez travailler exactement de la même manière d’une année à l’autre et réaliser un chiffre d’affaires totalement différent. C’est pour stabiliser celui-ci que nous avons décidé de valoriser notre production de pommes de terre.” Après deux ans et demi d’existence, Lucien compte une vingtaine de collaborateurs et produit plus de 10.000 paquets de chips par jour. Et l’entreprise est en passe de se diversifier, annonçant le lancement d’ici quelques semaines d’un nouveau produit autre que les chips, d’où le changement de nom de la société.

Pour notre part, nous ne constatons pas de pénurie. Il est vrai que nous ne nous fournissons pas en Ukraine mais en France.” – THOMAS CNOCKAERT (LUCIEN)

On l’a compris, le succès de Lucien s’inscrit dans la tendance de fond que représente aujourd’hui le développement du circuit court. Les trois cousins souhaitent également développer à terme d’autres produits issus de leurs exploitations agricoles, et ce afin de gagner en autonomie et se rapprocher davantage des consommateurs. “Ces derniers sont de plus en plus en quête de sens dans leur alimentation, ajoute Thomas Cnockaert. Notre projet participe à cette démarche.” Plus largement, les circuits courts attirent une clientèle croissante mais offrent également une plus grande garantie en termes d’approvisionnement. C’est vrai pour le consommateur. Ce l’est également pour le producteur. Lucien a ainsi mené des tests avec de l’huile de colza qui pourrait être produite localement et entrer dans la composition des chips. L’idée n’est pas abandonnée mais nécessite encore quelques essais, notamment afin de désodoriser l’huile de colza. En conclusion, il apparaît que le retour à une production plus locale ne peut que croître à l’avenir. Au bénéfice des producteurs, des consommateurs et de l’environnement.

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