Faillites dans l’Horeca bruxellois: la faute à qui?

La Maison du Cygne, à Bruxelles. © BELGAIMAGE

Le 20 février dernier, un coup de tonnerre retentissait dans le secteur Horeca : 11 faillites simultanées étaient prononcées par le tribunal de commerce de Bruxelles. Une série de plus dans l’Horeca bruxellois? Ou un manque d’anticipation tant dans le chef des gérants de ces établissements que de l’administration?

Ce qui est en cause dans cette affaire, ce sont principalement des salaires impayés depuis des mois pour plus de 160 employés, des assurances incendie non réglées et, surtout, un chiffre étonnant de plus de 3,5 millions d’euros de dettes envers l’ONSS. A l’heure où chaque indépendant ou chef d’entreprise sait quelle peut être la pression mise par l’institution en charge de la sécurité sociale, l’interrogation est en effet grande quant au fait qu’on ait ainsi laissé, plusieurs années durant, des montants indus s’accumuler de la sorte. Pour Armand Broder, avocat spécialisé en curatelle de faillites notamment, “on doit peut-être y voir une forme de bienveillance de l’ONSS en regard des difficultés du secteur”.

Ceci étant dit, précisons que ni les évènements de Paris et Bruxelles ni la “black box” ne sont la cause de tous les malheurs de ces établissements. Et si pour des institutions touristiques telles que la Maison du Cygne, les chiffres confirment amplement que le piétonnier et les attentats de mars 2016 sont à la base d’une chute vertigineuse du chiffre d’affaires, ce sont plus les vases communicants et les montages financiers entre établissements qui ont entraîné dans leur sillage la chute de l’ensemble. Un élément qui devrait interpeller d’autres groupes tels que Restauration Nouvelle, le groupe Barry (‘t Kelderke, Chez Vincent, la Taverne du Passage…) ou encore la famille Blanchart, qui a repris cette semaine les Brasseries Georges. Tous trois aussi reposent sur des sociétés d’investissements communes. Un risque que du côté d’Ambiance Brasserie (Brasserie du lac, Brasserie de la patinoire et sept autres établissements) on n’a jamais voulu prendre. Michel Grenier et son associé Thierry Vandamme le confirment : “Nous sommes actionnaires en nom propre dans chacune des entités indépendantes que constituent nos restaurant. Pour éviter ce genre de choses.”. Un exemple à suivre ?

Quatre ans d’ONSS impayés ?

Une des questions clés du dossier est bien évidemment de savoir comment l’ONSS peut laisser ainsi une entreprise telle que la Maison du Cygne cumuler à elle seule une dette supérieure à 800.000 euros. Un début d’explication passe sans doute que, selon nos informations, l’ONSS n’aurait, à ce stade, pas encore fait de déclaration de créance complète et à jour auprès des intéressés. Autre élément intrigant : au 31/12/2016, le bilan de ladite entreprise ne laissait apparaître une dette sociale et fiscale “que” de 58.831 euros. Quand on sait que, dans l’intervalle, l’activité a tourné au ralenti et que la réduction des effectifs, déjà entamée depuis 2015, se poursuit, on doute que l’on arrive à un montant de 800.000 euros à devoir juste à l’ONSS. Sauf si les montants connus ou déclarés ne sont pas ceux qui devraient l’être, ou que les amendes et intérêts explosent… Mais alors, à quels chiffres se fier ?

Des bilans qui n’en sont pas…

Si l’on analyse les bilans des sociétés faillies, d’une manière générale, on constate une régularité dans certains manquements :

– un dépôt tardif systématique des comptes annuels,

– des assignations de l’ONSS depuis 2013 ou 2014,

– des comptes incomplets ou incorrects qui passent malgré tout par les mailles du filet de la BNB. La page C9 par exemple, qui doit mentionner les dettes fiscales/sociales échues, une information cruciale pour les tiers, est systématiquement manquante parce que non obligatoire. Et sans doute aussi parce que, ces dernières années, une certaine forme de laxisme des autorités face au non-respect de cette formalité est à constater.

Des chiffres incohérents

En creusant, on découvre que la championne en matière de publication parmi les 11 entreprises faillies est L’Opéra, emprunteuse probable aux Brasseries Georges ou au Paon Royal qui lui servaient vraisemblablement de “banque interne”. Dans ses comptes, on trouve soit un chiffre d’affaire incorrect, soit des charges inexactes, soit une marge incohérente. Voire les trois. Sans oublier la non-publication du bilan social, pourtant obligatoire.

Un constat que pose aussi Jean-Christophe Duplat, expert indépendant en gestion d’entreprise. “Sur le fond, toutes ces sociétés se caractérisent par un cash drain, une incapacité à générer un flux de trésorerie positif. Il faut dire que les derniers comptes disponibles sont ceux de 2016. Et si l’on va plus loin dans la bonne foi que l’on voudrait accorder aux deux frères Beyaz et à leurs actionnaires, à la base, toutes ont été suffisamment dotées en capital au départ et ont contribué à la dotation de la réserve légale. Sans doute une bonne influence de la mise en place des intérêts notionnels à l’époque.” Mais cela ne suffit pas. Car s’agissant de la trésorerie, d’autres problèmes se posent. Toutes les entreprises ou presque déclarent avoir accru leur personnel au cours de l’exercice 2016 alors que l’évolution des frais de personnel ne suit pas du tout l’évolution du chiffre d’affaires. Mieux, elles ont toutes en commun une augmentation forte à très forte des dettes fournisseurs et un assèchement parfois significatif des créances clients. Ce qui confirme un flux de trésorerie très, très tendu. Enfin, pour la plupart, elles présentent un accroissement des autres créances, à commencer par un coût de la dette exorbitant, qui doit se justifier par des opérations de prêts entre sociétés soeurs, ce qui a probablement entraîné un effet domino dans la culbute des unes ou des autres.

A la lecture de pareil constat, il semble évident qu’une catastrophe d’une telle ampleur (près de 200 emplois sur le carreau) aurait pu être évitée si, et seulement si, une certaine forme de concertation ou un croisement des indicateurs de risque et de mauvaise gestion avait eu lieu à temps.

Mettre en place un check fiscal

L’affaire, si elle a bien sûr des conséquences désastreuses sur l’emploi d’une part mais aussi sur l’image de l’Horeca bruxellois de l’autre, pourrait (voire devrait pour certains observateurs) servir d’exemple à ne plus suivre. Et pourquoi pas amener à intensifier les échanges d’informations à la base d’une forme de “dépistage” à organiser entre la BNB et les tribunaux de commerce qui auraient probablement pu mettre en garde les tiers contre ces faillites en cascade. Il existe pareilles solutions dans l’immobilier, pourquoi ne pas étendre ce double check “ONSS/fiscal” aux autres secteurs ? Sans oublier le système des contrôles encore trop laxiste des branchements de black boxes qui pose problème et maintient de facto un système de concurrence déloyale entre restaurateurs “branchés” ou non.

On ne peut s’empêcher de pointer du doigt ce manque d’information et de transparence des assignations ONSS/Horeca qui sont pourtant des clignotants importants, disponibles depuis des années pour les autorités. Car si même l’ONSS tarde à tirer le signal d’alarme non sans grever les dettes d’intérêts pharamineux, ce n’est pas aux fournisseurs qu’il appartient d’être les premiers à dire à leurs clients que la sauce commence à tourner. Les banques ayant, quant à elles, depuis longtemps, senti l’oignon.

Philippe Limbourg

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