Entretien avec Christian Onselaere, CEO d’ADB Safegate, la pépite belge que s’arrachent les fonds d’investissement

Christian Onselaere, patron d'ADB Safegate © DR

Mais quelle est cette pépite belge qui fait le bonheur des investisseurs et qui n’est connue que des spécialistes du transport aérien ? Nous avons rencontré son patron, Christian Onselaere, qui était de passage à Paris. Il retrace pour nous les grandes lignes de cette “success story” presque centenaire.

Voici une semaine Carlyle, le grand gestionnaire d’actifs alternatifs américain, annonçait l’achat de l’entreprise belge ADB Safegate spécialisée dans le balisage des pistes d’atterrissage et qui appartenait depuis 2013 au fonds parisien PAI Partners. En 2013, ADB était valorisé 220 millions d’euros environ. Aujourd’hui, même si les acteurs de la transaction désirent rester discrets, des sources relayées par l’agence Reuters font état d’un montant de 900 millions. ADB Safegate vise aujourd’hui les 400 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 900 personnes (dont 200 en Belgique).

Mais quelle est cette pépite belge qui fait le bonheur des investisseurs et qui n’est connue que des spécialistes du transport aérien ? Nous avons rencontré son patron, Christian Onselaere, qui était de passage à Paris. Il retrace pour nous les grandes lignes de cette “success story” presque centenaire.

D’abord, d’où provient ce nom ADB ?

D’Adrian de Backer. C’est lui qui a fondé la société en 1920. ADB est donc presque centenaire. L’entreprise à ses débuts fabriquait des composants électriques puis des systèmes d’éclairage pour les cinémas et les théâtres. En 1947 Adrian de Backer décide de réorienter à nouveau l’entreprise vers le balisage des pistes des aéroports. Sa première installation a lieu à Melsbroek. Le marché belge est rapidement trop petit. ADB réalise sa première installation internationale au Congo et le balisage des pistes d’aéroport devient l’activité principale. Au fil du temps la gamme de produits s’élargit. ADB ne produit plus seulement des balises (les feux), mais aussi des régulateurs (qui alimentent les circuits électriques auxquels sont connectées les balises) et les systèmes de contrôle situés dans les tours de contrôle ou dans des sous-stations pour gérer le tout. La société se développe et réalise une acquisition importante dans les années 70 aux États-Unis en achetant Alnaco.

Puis elle est rachetée à son tour.

Oui, par le groupe allemand Siemens, dans les années 80. Siemens apporte du professionnalisme dans les processus, dans la gestion des projets, des produits, dans la finance, la recherche et développement. J’ai moi-même commencé ma carrière chez Siemens, au département Télécom, avant de m’occuper de la division aéroportuaire dont je prends la tête en 2005.

Mais Siemens décide de vendre en 2009. Pourquoi ?

Siemens a apporté beaucoup de choses positives pour le développement la société. Mais celle-ci souffrait aussi de certaines contraintes liées au fait d’appartenir à un grand groupe. Il y avait notamment une certaine lourdeur des processus qui n’était pas adaptée à notre style de business et qui nous handicapait dans la réalisation de petits projets. En 2009, Siemens décide finalement de vendre et réalise un appel d’offre. Et c’est un fonds de private equity, Montagu, qui le remporte.

Vous quittez donc un actionnaire industriel pour un acteur financier.

Avec Montagu nous nous sommes surtout renforcés dans l’organisation : il fallait construire une organisation apte à fonctionner de manière indépendante. Nous nous sommes recentrés sur notre activité, nous avons renégocié les contrats avec les fournisseurs, nous avons focalisé la recherche et le développement sur les choses essentielles. Nous avons gagné quelques beaux projets notamment au Moyen-Orient. Notre développement a été très rapide, une rapidité qui m’a surpris moi-même. Montagu avait comme projet de travailler avec nous pendant 5 ans. Cependant, après trois ans, des opportunités de sortie sont apparues. Et PAI rachète ADB en 2013.

C’est alors une période de croissance externe qui commence.

La maison avait été mise en ordre. C’était en effet le moment de réaliser une opération de croissance externe. Nous avons d’abord renforcé notre organisation commerciale afin d’avoir une croissance organique plus poussée. Et dans le même temps nous avons commencé à regarder des opportunités d’acquisition. Afin d’élargir notre gamme de produits mais aussi pour nous renforcer dans les marchés d’Europe centrale, nous avons acquis une société allemande et une société suisse, deux entreprises sensiblement plus petites que nous. Puis nous avons eu l’occasion d’acquérir le groupe suédois Safegate qui était notre plus grand concurrent sur le marché mondial. Cette acquisition, que nous avons organisée comme une fusion, a permis d’élargir notre portefeuille de produits. Nous étions spécialisés dans le balisage, Safegate était spécialisé dans les mires de guidage (les équipements qui permettent aux pilotes de garer l’avion près de la passerelle d’embarquement) et avait aussi développé des solutions intégrées pour les tours de contrôle. Les deux sociétés avaient une taille comparable (180 millions de chiffre d’affaires pour ADB et 140 millions pour Safegate)….

… et elles étaient complémentaires ?

En réalité ADB et Safegate étaient arrivées à la même conclusion chacun de son côté. Lorsque nous nous sommes rencontrés lors de la fusion, nous avons constaté que nous avions ensemble une force de proposition énorme.

Vous savez, les aéroports ont de plus en plus de contraintes, non seulement en Europe mais aussi au Moyen-Orient. Le trafic ne cesse d’augmenter mais les limites liées à l’infrastructure sont toujours là. Les projets d’extension des aéroports de Londres ou de Munich prennent par exemple énormément de temps. Et il faut gérer entre-temps l’augmentation du trafic. Et c’est là où nous pouvons jouer un rôle. Pour vous donner un exemple l’aéroport de Gatwick gère 45 millions de passagers par an avec une seule piste d’atterrissage. Arlanda en Suède dispose de trois pistes mais ne gère que 25 ou 26 millions de passagers par an. Il y a donc peut-être moyen de faire plus avec l’infrastructure existante. Notre rôle est dès lors d’offrir des solutions pour optimiser le trafic. Nous avons par exemple une application qui s’appelle “follow the greens” (suivez les lumières vertes). C’est un système qui calcule en temps réel la route optimale la plus rapide et la plus sûre de l’avion entre la piste d’atterrissage et la porte d’embarquement. Une fois le chemin calculé, il est indiqué au pilote par des petits feux verts qui s’allument progressivement le long de la route à emprunter.

Pour pouvoir gérer ce genre de projet, il faut avoir une certaine taille. Il faut disposer des ressources nécessaires en termes de compétence, d’organisation, de fabrication de produits et également en termes financiers car certains projets doivent être préfinancés.

Votre métier a profondément changé ces dernières années ?

Je vous aurais dit voici cinq ans que nous étions une société de balisage. Nous étions un fournisseur de produits qui nous étaient demandés par nos clients. Mais aujourd’hui, compte tenu de la complexité croissante (augmentation du trafic, réglementation, sécurité, événements météo, …), nos clients eux-mêmes ne savent plus très bien ce qu’ils doivent faire. Il y a donc une opportunité pour nous. Notre démarche est devenue proactive. Nous essayons d’abord de définir avec l’aéroport ses besoins et ensuite nous sommes naturellement capables d’offrir des solutions. Ces solutions, ce sont des conseils, un design, des produits et naturellement l’installation des produits et ensuite les services liés à ces produits. Nous sommes par exemple allés trouver les responsables du nouvel aéroport d’Istanbul (actuellement en construction NDLR) en leur présentant des options qui leur permettraient de préparer leur aéroport pour la croissance future. Nous les avons convaincus d’inclure dans leurs choix les technologies nécessaires pour, par exemple, pouvoir mettre en oeuvre une application telle que le “follow the greens” dont nous parlions tout à l’heure. Le client a accepté cette proposition. Il a lancé un appel d’offre pour faire jouer la concurrence, un appel d’offre que nous avons remporté. Istanbul est, je crois, le plus grand projet en fourniture de produits que nous ayons gagné. C’est un contrat de 23 millions d’euros.

Et maintenant ?

Il y a encore énormément de travail à faire. Nous sommes assis sur une montagne de données. Les données sont là. Mais elles ne sont pas exploitées. Dans nos budgets de développement nous avons prévu des montants importants afin de développer des applications pour gérer ces données.

Vous avez des projets d’acquisitions ?

Oui. Tout ce qui nous permet d’améliorer cette approche d’efficacité des performances des infrastructures aéroportuaires est dans notre collimateur, de même que des sociétés qui nous permettraient de renforcer notre présence en Asie.

Mais à l’heure où l’on déjà parle d’avions sans pilote, comment voyez-vous votre futur ?

C’est la question que tout le monde se pose! Aura-t-on encore besoin de tous ces systèmes dans le futur ? Personnellement je n’ai pas l’intention de prendre un vol s’il n’y a pas de pilote dans l’avion. Je sais que l’on parle d’avions sans pilote. Mais l’évolution en ce sens va encore prendre un certain temps.

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