Entre imams et poètes, un Iran tout en finesse

© Sylvie Bresson

Des mosquées et des palais dignes des 1.001 nuits, une population amicale et accueillante : il est temps de visiter cet Iran qui s’ouvre au monde après son long isolement.

Premier contact avec les Iraniens : dans le bazar de Shiraz, un ayatollah s’adresse à notre guide. ” Il est heureux de voir des étrangers et vous souhaite la bienvenue “, traduit ce dernier. Sympa… Dernier contact, le soir du départ. Une petite fille de 10 ans s’approche : ” Je suis contente de vous voir “, engage-t-elle la conversation, tout sourire et en anglais, après avoir demandé à ses parents de pouvoir nous parler. Adorable. Charmants, les Iraniens ? ” Ils sont les gens les plus amicaux au monde “, renchérit un touriste australien.

Entre imams et poètes, un Iran tout en finesse
© Sylvie Bresson

Le constat des voyageurs est unanime : le contact avec la population locale est aisé et bienvenu dans leur chef. On ne vous accoste pas dans la rue, mais on vous répond très volontiers. Y compris les femmes, non ultra-religieuses s’entend (encore que…), dont le maquillage et le sourire surprennent autant que l’aisance. Dommage que le personnel hôtelier soit parfois moins jovial… Avec un guide convivial comme le nôtre, qui discute avec ses compatriotes et nous présente à eux, nous traversons le pays en rencontrant vraiment la population !

Shiraz, la ville souriante

La visite de l’Iran commence souvent par Shiraz. Réputée ouverte et détendue, la ville offre plusieurs centres d’intérêt majeurs, dont la citadelle de Karim Khan, qui trône dans le centre-ville, et le mausolée Shah-e Cheragh. Cet important lieu de pèlerinage chiite remonte au 14e siècle. Nous sommes autorisés à pénétrer dans le saint des saints – si l’on peut dire – sous l’autorité d’une guide parlant anglais, une jeune avocate endossant ce rôle un jour par semaine par conviction religieuse. Traits fins et voix douce, elle est habillée de noir jusqu’au bout des doigts. Le mausolée est décoré de mosaïques composées de miroirs, une technique prisée en Iran. Abrité dans une cage de verre, le tombeau nourrit, ici comme ailleurs, une ferveur profonde.

Une fresque du début du 18ème siècle, dans le palais de Chehel Sotum, à Ispahan.
Une fresque du début du 18ème siècle, dans le palais de Chehel Sotum, à Ispahan.© Sylvie Bresson

Dépaysement d’un autre genre au bazar Vakil, où l’on ne manque pas d’acheter des pistaches, dont l’Iran pourrait bien redevenir le premier producteur mondial avec la fin de l’embargo. E-Vakil est aussi le nom d’une mosquée édifiée à la fin du 18e siècle. Majestueuse salle de prière aux 48 colonnes torsadées et, dans le porche d’entrée, délicates mosaïques au décor floral à dominante rose. Fort différente est la mosquée Nasir-ol-Molk, construite à la fin du 19e, d’où ces clochetons cocasses… Elle est réputée pour ses colonnes sculptées et surtout ses vitraux, mais on ne saurait négliger la décoration très raffinée des stalactites du porche.

Sur les traces du poète

Shiraz, ce sont aussi des jardins. Celui de la maison Naranjestan par exemple, pavillon de réception construit à la fin du 19e, que l’on visite notamment pour ses marqueteries de miroirs. Mais d’abord celui de Bagh-e Eram, inscrit au patrimoine de l’Unesco : allées de cyprès, pièces d’eau et roseraie au printemps. Les Shirazis en ont fait un but de promenade privilégié.

Dans le bazar Vakil, à Shiraz.
Dans le bazar Vakil, à Shiraz.© Sylvie Bresson

Il en va de même des jardins entourant le tombeau de Hafez. Poète du 14e siècle, Hafez est l’auteur chéri des Iraniens, que le régime islamique ne saurait gommer sous prétexte qu’il fait l’éloge du vin… Dans la cour précédant le pavillon, des étudiantes fêtent la réussite de leurs études et prennent la pose avec le sourire. Face à la tombe du poète, une gamine récite des poèmes sous le regard de sa mère, toutes deux fières que nous immortalisions la scène. Plus loin, notre guide converse avec une famille originaire de Téhéran. Le mari aime le chant traditionnel, apprend-on. Sans trop se faire prier, il s’exécute. La convivialité et la spontanéité des Iraniens s’expriment à merveille dans le jardin de Hafez. L’atmosphère sera plus grave tout à l’heure : des femmes portant le hijab disposent des corans sur des tapis, préparant une assemblée de prière.

La capitale de Darius

Les environs de Shiraz recèlent les deux sites antiques les plus prestigieux du pays. Priorité à Persépolis, capitale d’apparat érigée par Darius au 6e siècle avant notre ère. Il en subsiste divers éléments d’infrastructure, des colonnes et des ruines éparses… et surtout de prodigieux bas-reliefs très bien conservés. En vedette : les 23 tableaux représentant les peuples de l’empire achéménide faisant acte d’allégeance par leurs offrandes. En grimpant à flanc de colline, on approche deux majestueuses tombes royales creusées dans le roc, qui ont conservé de jolis éléments de décoration. Pour prolonger le sujet, cap sur Naqsh-e Rostam, six kilomètres plus loin. C’est ici que Darius a fait creuser son tombeau dans la falaise, imité en cela par trois de ses successeurs. Tous à mi-hauteur et en forme de croix. Et pour clore le sujet : un saut à Pasargades, avec le tombeau de Cyrus II.

La salle aux 48 colonnes torsadées de la mosuqée E-Vakil, à Shiraz.
La salle aux 48 colonnes torsadées de la mosuqée E-Vakil, à Shiraz.© Sylvie Bresson

Des vendeurs de pêches nous font signe au bord de la route. Pourquoi pas ? Quand il apprend d’où nous venons, l’un d’eux mime un tir au fusil. Ici, Belgique = armes, et non bière ou chocolat ! Un de ses proches a-t-il été tué par un fusil belge aux mains d’un soldat irakien lors de la guerre de 1980-1988, une plaie encore vive en Iran ? Ce n’est pas la question à poser…

Yazd, ou l’Iran traditionnel

Sur la route menant à Yazd, de plus en plus désertique, brève halte à Abarkuh pour y admirer un cyprès qui aurait 4.000 ans, sinon davantage. Et entendre le gardien affirmer avec fierté qu’il possède une arme belge. Décidément ! Halte aussi, au sud de la ville, au caravansérail superbement rénové de Zeyn-od Din, sans doute le plus beau d’Iran. On peut y manger et y passer la nuit. A l’entrée de Yazd, nous arrivons à l’Ateshkadeh (temple du feu), juste avant la cérémonie d’alimentation de l’âtre. C’est un temple zoroastrien, de cette religion fondée par Zarathoustra qui vénère les quatre éléments et antérieure à l’islam. Les zoroastriens seraient encore 50.000 en Iran aujourd’hui.

Yazd est une ville traditionnelle et religieuse qui a conservé quasiment intacts ses quartiers anciens, construits en pisé et inscrits au patrimoine de l’Unesco. Le bazar et ses environs sont particulièrement pittoresques. Ici, les artisans travaillent encore le métal dans leur échoppe. Là, une boutique de vêtements moderne voisine avec une boulangerie à l’ancienne, où les femmes en tchador viennent acheter le pain sortant du four sous leurs yeux.

Outre l’intéressant musée de l’eau, qui explique la gestion sophistiquée de cette ressource précieuse, et les spectaculaires tours du vent, qui rafraîchissent de belles demeures avec ingéniosité, Yazd vaut aussi pour plusieurs monuments réputés. Le surprenant Takieh, majestueuse façade à trois étages… derrière laquelle il n’y a plus rien. Mais devant laquelle trône un nakhl démesuré qui symbolise le cercueil de l’imam Hossein. On ne quitte pas cette place Amir Chakhmaq sans une visite gourmande chez Haj Khalifeh Ali Rahbar, une des pâtisseries les plus réputées d’Iran. Et sans assister, avec un peu de chance, aux démonstrations de force abritées dans l’ancienne citerne. L’autre édifice emblématique de la ville est la mosquée Djomeh, pour ses minarets de 48 mètres, son portail lui aussi fort haut et son ravissant mehrab à stalactites.

Ainsi parlait Zarathoustra

Nous retrouvons les zoroastriens lors d’une excursion à Chak Chak. Bâti autour d’une grotte sacrée, à flanc de montagne, ce site est leur principal lieu de pèlerinage. Un préposé allume le feu sous nos yeux, tandis qu’une famille nous offre un morceau de gâteau fait maison. Un autre crochet vers l’Est s’impose en quittant Yazd. Direction : l’étrange cité abandonnée de Kharanaq. Construite en pisé, elle s’est largement effondrée, mais on peut encore, ici et là, grimper aux étages de maisons enchevêtrées. Un décor vraiment étrange…

De Khomeyni à Khamenei, difficile d'échapper aux guides suprêmes.
De Khomeyni à Khamenei, difficile d’échapper aux guides suprêmes.© Sylvie Bresson

Retour sur la route d’Ispahan et arrêt à Meybod, pour y découvrir la forteresse de Narin Qal’eh, également construite en terre. Gigantesque et dans un état remarquable : on en profite pour admirer le caravansérail voisin. Deux autres centres d’intérêt majeurs dans la ville : un pigeonnier aux dimensions exceptionnelles, remis à neuf, ainsi que la mosquée du Vendredi, modeste mais fort authentique, garnie de tapis très anciens. Avant d’arriver à Ispahan, nous nous arrêtons encore à Naïn, ville réputée pour sa fabrication de tapis. A défaut d’en ramener de précieux en soie, une visite chez un artisan troglodyte est l’occasion d’acquérir de jolies pièces à prix très doux.

Ispahan vaut la moitié du monde

C’est ce que dit un dicton local. Ispahan est une ville verte : les avenues principales sont généreusement bordées d’arbres, tandis que la rivière Zayandeh, à sec en été, est entourée de parcs invitant à la promenade. Plusieurs ponts du 17e siècle l’enjambent, dont le Si-o-Seh aux 33 arches, ou encore le Khaju, réputé le plus beau avec ses deux niveaux. Il est aussi réputé comme lieu de rendez-vous… Espace vert encore que le parc entourant le palais Chehel Sotun, dit des 40 colonnes, à l’architecture majestueuse. Il renferme des fresques (début 18e) très colorées, uniques en leur genre. Autre site à ne pas manquer : la cathédrale chrétienne de Vank, dans le quartier arménien, richement décorée et flanquée d’un intéressant musée.

C’est toutefois la célébrissime place de l’Imam, une des plus grandes du monde, qui rassemble les principaux chefs-d’oeuvre de la ville. Construite en oblique à son extrémité sud, la mosquée de l’Imam est une splendeur, malgré un dôme toujours en réfection, les bâtiments rivalisant d’harmonie et de raffinement bleuté autour de la cour intérieure. Construite sur le versant est de la place, la mosquée de Sheikh Lotfollah ne possède ni cour, ni minaret, mais un dôme au décor époustouflant. Face à elle, trône le palais Ali Qapu, étrange immeuble de six étages. On admire la vue depuis sa terrasse, ainsi que la surprenante décoration de sa salle de musique.

Persépolis, l'ancienne capitale de Perse, bâtie par le roi Darius le Grand, il y a 2600 ans.
Persépolis, l’ancienne capitale de Perse, bâtie par le roi Darius le Grand, il y a 2600 ans.© Sylvie Bresson

A l’extrémité nord de la place s’ouvre le gigantesque bazar Bozorgh, que l’on a une bonne raison de parcourir longuement : on finit par arriver devant l’entrée de la très sobre mosquée Jameh. Cet ensemble bâti entre les 11e et 16e siècles est le plus vaste d’Iran. Peu de mosaïques chatoyantes, mais beaucoup de briques grises dessinant des coupoles d’une grande élégance. Retour sur la place de l’Imam pour observer que, le soir venu, les Iraniens s’y pressent par milliers pour converser et pique-niquer.

Kashan, la méconnue

En remontant vers Téhéran, on peut s’arrêter à Natanz, pour sa mosquée mongole du 14e siècle, ou Abyaneh, village zoroastrien niché dans des paysages ocres. Il serait dommage de rater Kashan, ville authentique, religieuse et encore peu connue. Pour son jardin de Fin ou sa mosquée Agha Bozorg, mais surtout pour son bazar qui vous plonge dans l’Iran traditionnel comme peu d’autres endroits. Et pour ses palais du 19e siècle, immeubles bas articulés autour de deux cours, telle la maison Borudjerdi, ou le Saraye Ameriha, devenu hôtel.

Il n’est pas utile de s’éterniser à Téhéran, conviennent les voyageurs, mégalopole moderne où seuls quelques musées retiennent l’attention. Certes, mais ils méritent la visite : Iran Bastan pour l’art persan depuis l’Antiquité, le palais Golestan (dont on peut choisir certaines sections), ou encore la Banque Melli, qui rassemble les joyaux de la couronne. Et pour quitter le pays sur une note résolument contemporaine, on franchit l’impressionnant pont Tabiaat, gigantesque passerelle piétonne construite en 2014 et devenue le lieu de flânerie et de rencontre le plus couru de la ville.

Salam !

Il est aisé de saluer et remercier les Iraniens en farsi. Dans le premier cas, salàm convient en toutes circonstances. Dans le second, on dit simplement… mèrsi. Il n’est guère d’usage de serrer la main et certainement pas à une personne du sexe opposé, ce qui est proscrit en public. Une contrainte : les femmes sont tenues de porter le voile. Mais pas le hijab dissimulant complètement les cheveux, ainsi que nombre d’Iraniennes le démontrent crânement ! Le tchador, qui couvre tout le corps, est de mise dans les sites religieux et prêté sur place.

Via Istanbul

Plusieurs compagnies européennes desservent Téhéran, parfois depuis peu, mais pas les autres villes du pays. Ni au départ de Bruxelles. Avantage, dès lors, à Turkish Airlines, qui se profile comme trait d’union entre l’Europe et cette partie du monde. La compagnie offre sept destinations iraniennes au départ d’Istanbul, ville elle-même desservie jusqu’à cinq fois par jour depuis Bruxelles. Les prix démarrent en dessous de 400 euros, repas compris. A noter que les vols vers l’Iran sont opérés de nuit.

En pratique
Entre imams et poètes, un Iran tout en finesse
© Sylvie Bresson

Le tour opérateur Continents Insolites) se profile comme le spécialiste belge des destinations en marge des sentiers battus, les grands classiques (et les autres) étant agrémentés de “cousu main” et bénéficiant d’un hébergement haut de gamme quand faire se peut. La grande spécialité de la maison, ce sont les circuits privés, à la carte, avec un chauffeur-guide parlant français. Pour une différence de prix pas exorbitante, la formule (retenue ici) permet d’aménager le programme de base en fonction de ses aspirations personnelles. Sur place, on visite non seulement le pays à son rythme, mais on obtient réponse à toutes ses questions et on entre en contact avec la population locale autant que souhaité.

L’Iran se visite de préférence en automne et au printemps; le coeur de l’hiver est très frais et l’été torride. Il n’est pas (encore) possible de payer avec une carte occidentale, hors de rares commerces, ni de retirer de l’argent. Impossible aussi de louer une voiture. Aucune boisson alcoolisée n’est disponible dans le pays, mais on y mange bien. Et pour d’autant moins cher que les portions sont souvent suffisantes pour deux !

Par Guy Legrand – Photos : Sylvie Bresson.

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