En Bulgarie, le business des armes écrase celui des roses

Détail de l'affiche du film Barry Lyndon, de Stanley Kubrick. © DR

Après des années de vaches maigres, l’industrie militaire bulgare relève la tête, les usines d’armement de l’ère soviétique tournent à plein régime dans le centre du pays, ranimées par les conflits au Moyen-Orient.

Tabliers et gants en coton pour prévenir toute électricité statique, les ouvriers d’Iganovo (centre) manipulent avec précaution des munitions pour les redoutables lance-roquettes antichar de conception russe RPG-7. Certaines opérations s’effectuent dans une cabine blindée.

Pour la première fois depuis très longtemps, l’usine recrute et forme une nouvelle main d’oeuvre à ces gestes de précision.

Les cultivateurs de roses, l’autre spécialité dans cette vallée blottie au pied de la chaîne des Balkans, s’inquiètent même de ne plus trouver assez de saisonniers pour la cueillette estivale, a rapporté la presse locale.

“La demande dépasse nos capacités (…) Nous avons produit autant au 1er trimestre qu’en 18 mois les années précédentes”, se félicite lors d’une visite sur place, Ivan Guetsov, directeur général de l’entreprise VMZ Sopot.

Spécialisée dans la production d’armes légères et de munitions, “la Bulgarie produit des modèles russes pas chers et faciles à manier”, explique Tihomir Bezlov, expert en sécurité au Centre d’étude de la démocratie (CSD) de Sofia.

La reprise, particulièrement sensible depuis un an et demi, est “nourrie par les conflits en Syrie et en Irak”, affirme-t-il.

Les Etats-Unis ont récemment reconnu que des entreprises américaines achetaient à la Bulgarie des munitions destinées aux entraînements de l’opposition syrienne. Un Américain était mort et deux autres ont été blessés en 2015 sur un site d’essai de VMZ.

Mais selon l’expert en sécurité Slavtcho Velkov, “des armes et munitions bulgares légalement exportées tombent (aussi) entre les mains de l’État Islamique”, le groupe djihadiste responsable d’exactions en Syrie et en Irak ainsi que d’attentats meurtriers à travers le monde.

Une étude des munitions utilisées par le groupe Etat islamique dans le nord de l’Irak et de la Syrie, effectuée en 2014 par le centre d’analyse britannique Conflict Armement Research, a conclu que sur 161 cartouches récupérées, et fabriquées de 2010 à 2014, 47 étaient de production bulgare.

Gagne-pain à risque

Avec l’Irak, l’Inde et l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite figure également parmi les gros clients du pays. Selon une récente enquête du réseau d’investigation journalistique Balkan Investigative Reporting Network, le pays pourrait fournir ces armes aux groupes combattants qu’il soutient en Syrie et au Yemen.

Car l’armée saoudienne “en général, utilise des armes occidentales et non du bloc de l’Est”, souligne pour l’AFP Jeremy Binnie, de la revue de défense britannique IHS Jane’s Defense Weekly.

La Bulgarie, qui reste un producteur d’armes légères d’importance moyenne au regard des poids lourds du secteur, -États-Unis, Chine, Russie- assure respecter tous les embargos internationaux.

“Les produits ont un certificat pour leurs destinations finales. La Bulgarie ne peut pas être tenue responsable de ce qui se passe à partir de là”, a déclaré ministre de l’Economie Bojidar Lukarski cette semaine.

En attendant, VMZ, la dernière entreprise d’armement publique en Bulgarie, a récemment ouvert à Iganovo deux nouvelles unités pour augmenter de moitié sa production.

L’entreprise fondée en 1936 reste loin des 20.000 salariés qu’elle employait autrefois. Mais elle a embauché un millier d’ouvriers depuis sept mois, portant son effectif à 3.600, et elle cherche encore à pourvoir 500 postes.

Dans la ville voisine de Kazanlak, les 7.300 ouvriers de l’entreprise privée Arsenal fabriquent notamment la “Kalachnikov bulgare”, réputée pour son rapport qualité-prix, et profitent aussi de cette embellie.

Même si le métier peut être dangereux: trois ouvriers sont morts dans deux explosions accidentelles en avril et en mai chez Arsenal, la plus grosse d’une miriade d’entreprises privées d’armement.

Depuis 1989 et l’effondrement du bloc soviétique, l’industrie militaire bulgare a vu ses effectifs divisés par dix.

A l’époque du pacte de Varsovie, la Bulgarie vendait pour 800 millions de dollars d’armes en moyenne par an aux autres pays du bloc et aux régimes ou mouvements pro-communistes au Moyen Orient et en Afrique.

Réduites à un niveau symbolique dans les années 2000, les exportations ont atteint 80 millions d’euros en 2008 puis 404 millions d’euros en 2014 pour atteindre 640 millions en 2015, malgré des infrastructures vieillissantes et un manque chronique d’investissements.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content