En 2023, place aux entreprises militantes

CHEZ DISNEY, les employés ont appelé à débrayer en mars 2022, ce qui a poussé l'entreprise à publier un communiqué de presse s'opposant à la loi "Don't say gay" sur les droit parentaux. © REUTERS

Les entreprises devront de plus en plus prendre position sur des questions sociopolitiques, de l’avortement à la justice raciale.

En juin 2022, quand la Cour suprême américaine a révoqué l’arrêt Roe vs Wade qui, en 1973, a fait de l’avortement un droit constitutionnel, des centaines d’entreprises aux Etats-Unis ont rapidement affiché leur soutien envers leurs employées. Ce n’était pas la première fois que les entreprises réagissaient à un événement politique. Il ne s’agissait en fait que du dernier exemple en date d’un changement plus largement répandu dans la manière dont le secteur privé s’intéresse aux questions sociopolitiques, mais aussi dans la manière dont les consommateurs, les employés et les actionnaires jugent les entreprises. Ces dernières ne peuvent plus rester neutres sur les questions politiques et sociales. Car les pressions viennent de partout pour qu’elles expriment et défendent leurs valeurs aux yeux du grand public.

Pour les consommateurs militants, les entreprises ne peuvent pas se contenter de s’exprimer ; elles doivent pouvoir être cohérentes dans leur démarche.

En 2023, outre l’avortement, les entreprises seront donc jugées sur leur approche envers le changement climatique et la transition énergétique, les droits des homosexuels et des personnes transgenres, la diversité raciale et les pratiques de travail éthique. Car prendre position sur le plan politique ne sert pas uniquement à faire vendre ou à faire la une des magazines. C’est un moyen d’établir et d’entretenir une relation avec les consommateurs en toute confiance et en toute transparence, de montrer un certain engagement pour le bien-être des employés et d’intégrer une finalité dans la stratégie d’une entreprise.

Démarche cohérente

Pour les consommateurs militants, les entreprises ne peuvent pas se contenter de s’exprimer ; elles doivent pouvoir être cohérentes dans leur démarche. Ces consommateurs n’hésitent donc pas à manifester leur mépris et à rapidement l’exprimer sur les réseaux sociaux. Or, contrairement à la croyance populaire, les entreprises ne doivent pas nécessairement être progressistes pour exprimer leurs opinions politiques. Ainsi, Chick-fil-A, une chaîne de fast-food américaine, a conservé une image de marque solide malgré des appels au boycott à son encontre car elle soutient des organisations dont les valeurs “traditionnelles” sont considérées par certains comme étant homophobes. Les consommateurs militants, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre, valorisent la cohérence quand elle est courageuse.

Les employés deviennent eux aussi de plus en plus militants et accordent plus d’attention aux valeurs défendues par leurs employeurs. Chez Disney, en mars 2022, ils ont appelé au débrayage, reprochant au patron de l’époque, Bob Chapek, de traîner trop longtemps avant de s’opposer à la loi sur les droits parentaux en matière d’éducation (surnommée “Don’t say gay”, soit “Ne dites pas gay”). Ce qui a poussé l’entreprise à publier un communiqué de presse en ce sens. Et plus de 100 entreprises basées aux Etats-Unis ont réagi à l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade en élargissant les couvertures des assurances santé de leurs employés pour faciliter l’accès à l’avortement. Aujourd’hui, les entreprises se rendent compte que la satisfaction des besoins des employés contribue au recrutement et à la rétention des talents.

Les actionnaires jouent également un rôle dans ce changement car ils savent que les marchés réagissent aux positions adoptées par les entreprises. Selon une étude de la Yale School of Management, les actions des entreprises qui ont quitté la Russie après son invasion de l’Ukraine ont surpassé les performances de celles qui ont hésité ou décidé de rester. Pour les entreprises qui n’ont pas réagi rapidement, le risque du retour de bâton des consommateurs sur d’autres marchés, associé à la pression des investisseurs inquiets de voir le prix des actions chuter, a été une combinaison puissante.Mais il n’est pas évident de contenter tout le monde. Les entreprises qui prennent position contre la répression dans la région du Xinjiang en Chine, par exemple, sont peut-être louées en Occident, mais subissent des représailles de la part des consommateurs et des fonctionnaires chinois. Et les entreprises américaines basées dans des Etats à tendance républicaine ont été moins disposées à s’opposer à l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade.

Joindre le geste à la parole

De plus, les consommateurs et les employés ne sont pas dupes. Selon un rapport de la société de relations publiques Brunswick, les entreprises doivent joindre le geste à la parole par des “actions concrètes et significatives” si elles veulent éviter de passer pour des opportunistes. Et des patrons, des investisseurs et des politiciens contre-attaquent, affirmant que le capitalisme woke est allé trop loin.

Le militantisme d’entreprise n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Certaines entreprises avaient déjà pris position contre la guerre au Vietnam dans les années 1960 et contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Mais à mesure que la confiance envers la classe politique s’amenuise et que les entreprises sont désormais reconnues comme des agents puissants du changement social, les patrons doivent de plus en plus s’exprimer et agir en conséquence. Certaines entreprises sont plus enthousiastes que d’autres à l’idée de participer à l’action politique. Mais en 2023, elles n’auront plus tellement le choix.

Source : The Economist

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