Du frais pour soutenir la croissance de Kazidomi?

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Bien qu’il l’avait écarté au moment de sa création, le site belge en ligne de produits sains fait désormais le choix de proposer des produits frais à ses clients bruxellois. Une nouveauté qui répond tant à une évolution du marché qu’au besoin de contrecarrer des coûts d’acquisition digitaux de plus en plus élevés.

Sur la scène tech bruxelloise, le nom de Kazidomi truste régulièrement les colonnes de la presse écrite et son emblématique cofondatrice Emna Everard est sur tous les fronts: posts LinkedIn, quotidiens, magazines tant business que féminins. Le marketing de l’e-commerce de produits sains est plutôt bien huilé… au point que certaines mauvaises langues pensent que son exposition médiatique est inversement proportionnelle à son activité réelle. Aussi, quand la firme annonce qu’elle proposera désormais aussi des produits frais, l’information attire l’attention. A juste titre car jusqu’ici, le site de vente avait pris soin de ne pas se lancer dans ce créneau. Sur les 4.000 références proposées sur Kazidomi, on retrouvait des boissons, des compléments alimentaires ou des produits pour bébés, mais pas de produits frais.

Les coûts d’acquisition de nouveaux clients augmentent sur le marché digital.” – Alain Etienne

Ce positionnement que la start-up bruxelloise maintenait depuis son lancement n’avait rien du hasard. Il s’agissait à l’origine d’un choix “logistique”. “Au moment de lancer Kazidomi, nous avons fait le choix de proposer quelque chose de plus simple que les produits frais, détaille Alain Etienne, fondateur de Kazidomi aux côtés d’Emna Everard. Surtout que nous avions déjà en tête de nous internationaliser assez vite. Or, le frais nécessite plutôt une approche locale. Nous voulions aller chercher des clients partout et travailler la notoriété de notre marque.”

Pour quelle raison, dès lors, le site a-t-il alors tout récemment ajouté le frais dans son assortiment? L’évolution du marché y serait propice, avec l’arrivée de toujours plus d’acteurs sur ce créneau, comme des distributeurs, des acteurs de la livraison ultra- express comme Gorillas (en 15 minutes) ou des acteurs du bio comme eFarmz ou Eat’s Local. Sans oublier la demande du consommateur qui, depuis les confinements, semble désormais moins réticent à commander ses légumes ou son fromage sur le net.

Alain Etienne
Alain Etienne© PG

“One-stop” shopping

Si les circonstances de marché sont aujourd’hui nettement plus favorables aux commandes en ligne de produits frais, c’est également dans les besoins de Kazidomi qu’il faut aller chercher les raisons de ce changement. “On veut continuer de faciliter la vie de nos clients”, insiste Alain Etienne. Car jusqu’ici, les habitués de Kazidomi pouvaient acheter une partie de leurs produits sur Kazidomi (épicerie, boissons, cosmétiques, compléments alimentaires, produits bébés, etc.) mais devaient se tourner vers d’autres sites pour leurs fruits, leurs légumes ou leurs fromages, par exemple. Pas pratique… Surtout qu’un acteur comme eFarmz, de son côté, propose de plus en plus de produits comparables au site d’Emna Everard et Alain Etienne. Proposer autant que possible un “one-stop” shopping constitue dès lors un enjeu pour le site d’e-commerce s’il ne veut pas perdre les internautes qui cherchent la facilité et commandent leur frais ailleurs.

Mais ce n’est pas tout: “lancer le frais” constitue également un choix stratégique un peu particulier pour la start-up, une nouvelle manière de lui assurer la croissance “à moindre prix”. Explications. Pour soutenir leurs activités, tous les sites d’e-commerce doivent massivement recourir au marketing en ligne sur Google ou sur les réseaux sociaux pour attirer et convertir les internautes en acheteurs. Des campagnes marketing et des mots-clés qui sont loin d’être gratuits. En particulier lorsque la concurrence fait rage sur certains mots-clés, ce qui est le cas dans le domaine de la livraison alimentaire où l’on retrouve quelques acteurs aux poches profondes, comme les distributeurs traditionnels ou des pure players internationaux. Par exemple, le site Gorillas, qui propose la livraison de courses mais n’est pas considéré comme un concurrent direct de Kazidomi, concurrence celui-ci sur les mots-clés. Or, Gorillas, acteur international d’origine allemande, a levé pas moins d’un milliard d’euros en 2021…

Augmenter le panier moyen

Résultat? “Les coûts d’acquisition augmentent sur le marché digital”, admet Alain Etienne. Ces coûts varient fortement mais, de l’aveu du cofondateur de Kazidomi, peuvent grimper à une centaine d’euros par nouvel utilisateur. Alors que Kazidomi propose aux internautes un abonnement à 80 euros.

Sur abonnement

Depuis mars 2017, Kazidomi s’est tourné vers un modèle business spécifique, plutôt rare pour un site d’e-commerce. Le magasin en ligne propose en effet un abonnement entre 80 et 100 euros selon le mode de payement. En retour, le client bénéficie de la livraison gratuite à partir de 69 euros, a le droit d’acheter des articles avec une réduction affichées entre 20 et 50%. Pour Kazidomi, cela lui assure des rentrées en cash avant même les commandes de ses clients. Par ailleurs, en étant abonnés, les clients sont incités à consommer plus…

“La pression sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche est très forte, enchaîne Alain Etienne. Tout le monde se bat et nous ne pouvons pas, comme certains, investir des millions sur Facebook.” Kazidomi débourserait déjà chaque mois “des dizaines de milliers d’euros”. Pour ne pas devoir se battre exagérément dans cette cour-là tout en essayant de maintenir une forte croissance de ses activités, le site d’e-commerce a multiplié des alternatives moins onéreuses et lance désormais en phase pilote la vente de produits frais. Le calcul? Permettre à ses quelque 15.000 à 20.000 clients réguliers de trouver toute une gamme de nouveaux produits dont ils ont besoin régulièrement. Le frais ne conservant pas, les utilisateurs sont poussés à venir faire plus souvent leurs courses sur Kazidomi. Objectif? Doper leur panier jusqu’à + 30%…, ce qui constituerait une voie intéressante en matière de croissance.

Pour l’instant, la firme propose la livraison de produits frais en phase pilote et à Bruxelles uniquement. Kazidomi doit en effet encore apprivoiser cette nouvelle activité qui change un peu la donne. “Il a fallu trouver des fournisseurs différents et les produits ont des dates limites de consommation beaucoup plus courtes, explique Alain Etienne. Du coup, nous effectuons les achats de manière assez différente. Alors que nous avions l’habitude d’acheter pour quelques mois, ici, on se fournit pour quelques jours seulement. Au niveau de la logistique, chez nous, cela ne change par contre pas grand-chose: que les produits se trouvent dans une chambre froide plutôt que sur une étagère ne bouleverse pas la préparation des commandes. A ceci près qu’une attention toute particulière doit être réservée au produit en matière de qualité: il faut, par exemple, vérifier que les légumes que l’on vend sont encore en parfait état.” Quant à la livraison, c’est un enjeu majeur. Pas tant sur la manière de livrer (c’est la même société de livraison, mais avec des cool packs isothermes) que sur le timing: “On doit s’assurer de livrer en temps et en heure, insiste Alain Etienne. Ni en retard, ni en avance”.

Du frais pour soutenir la croissance de Kazidomi?
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Le défi du frais à l’international

Si l’expérience bruxelloise se passe bien, l’étape d’après sera le développement géographique de ce pilote. La seconde phase verra Kazidomi proposer du frais au reste de la Wallonie, ce qui “ne devrait pas être une vraie complication”, précise Alain Etienne. Mais l’enjeu sera l’international. Car aujourd’hui déjà, la firme réalise 60% de son business en France! Tout est géré depuis un entrepôt près de Bruxelles et expédié vers l’Hexagone. L’exportation de l’activité “frais” sera donc une vraie question à résoudre. “Pour l’instant, nous n’avons pas pris de décision, précise le cofondateur de Kazidomi. Nous verrons si cela peut se faire par camions ou si nous aurons besoin d’un nouvel entrepôt. Par ailleurs, il n’est pas interdit de ne pas offrir tous les services à tous les clients. C’est déjà le cas aujourd’hui pour certains produits que l’on ne peut proposer à certains endroits, soit pour des raisons de régulation, soit parce que nos accords commerciaux ne nous le permettent pas.” Toutes les options restent ouvertes à ce stade. Et ce n’est pas le seul enjeu pour Kazidomi, qui se développe bien (70 personnes, 10 millions de chiffre d’affaires en 2021) mais n’atteint pas encore la rentabilité. “En 2020 ( derniers chiffres officiels disponibles, Ndlr), Kazidomi dégageait une marge brute positive de 341.000 euros, ce qui était très faible en soi puisque cela représentait une rentabilité de 4,24%, analyse Pascal Flisch, business developper chez Trends Business Information. Surtout que le coût de personnel a très fortement augmenté. Résultat: des pertes reportées importantes de plus de 2 millions.” Heureusement, l’e-commerce bruxellois a levé pas mal d’argent pour compenser ces pertes: 6 millions obtenus en 2020.

Cela n’a toutefois rien de très inquiétant pour une start-up qui doit continuer d’investir pour assurer sa croissance. En plus du recrutement, du marketing et du sourcing, la firme a réinvesti dans une nouvelle plateforme (prête à absorber une croissance importante), dans une appli mobile, etc. Elle a par ailleurs dû changer sa structure en créant deux nouvelles entités: une entreprise de logistique ainsi qu’un holding venant chapeauter l’ensemble de ses activités. “Nous restons toutefois attentifs, insiste Alain Etienne. Notre ambition est de maintenir une croissance saine et mesurée. On progresse avec un horizon de rentabilité à court terme et on ne cherche pas les levées de fonds à tout prix.” En matière de financement aussi, toutes les options semblent ouvertes…

Le frais est peu rentable

“Les produits frais standards ne sont pas les plus rentables”, admet Alain Etienne. Ce n’est donc pas sur des oignons, des carottes ou des concombres que l’e-commerce améliorera sa rentabilité. Ça peut être un peu plus le cas sur des produits transformés, sur du poisson ou de la viande. Pourtant, par conviction et pour rester cohérent avec son image, le site ne proposera ni viande ni poisson. Par contre, le frais se veut important “car les gens le consomment et créent donc de la rétention et de la rotation”, précise le cofondateur de Kazidomi.

10 millions

En euros, le chiffre d’affaires 2021 de Kazidomi, en croissance de 25% par rapport à l’année précédente.

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