Droit de grève : la Belgique condamnée

© Image Globe/Dirk Waem

Les actions judiciaires intentées contre les piquets de grève en Belgique violent la Charte sociale européenne. Victoire pour les syndicats… ou confirmation que le droit de grève n’est pas absolu, comme le soulignent les fédérations patronales ?

Les actions judiciaires intentées contre les piquets de grève en Belgique violent la Charte sociale européenne, a conclu mardi le Comité européen des droits sociaux (CEDS), un organe du Conseil de l’Europe chargé de veiller au respect de cette convention internationale. La décision n’a toutefois pas de force contraignante.

Voici deux ans, la FGTB, la CSC et la CGSLB avaient saisi le comité pour dénoncer l’intervention jugée excessive du pouvoir judiciaire dans les conflits sociaux. Les syndicats affirmaient que les procédures judiciaires ont conduit, au fil des ans, à un détricotage du droit de grève. Les tribunaux belges ont effet rendu de nombreuses décisions ordonnant l’arrêt de piquets, même si cette jurisprudence n’est pas uniforme.

Le CEDS a largement suivi l’argumentation des syndicats, que contestait le gouvernement. S’il admet que les intimidations sont “de nature à porter atteinte à la liberté des non-grévistes”, le comité juge “légitime que les travailleurs grévistes cherchent à entraîner l’ensemble des travailleurs dans leur mouvement”.

La pratique non violente des piquets de grève ne peut être entravée par la voie judiciaire. Le CEDS a donc conclu, par 8 voix contre 4, à la violation de la charte sociale européenne. Les juges minoritaires ont joint une opinion dissidente à la décision. Conclu en 1961 et revisité en 1996, la charte est l’une des références juridiques européennes en matière de droit social.

Syndicats : “La Belgique viole le droit à l’action collective !”

La décision du comité sera transmise au Conseil de l’Europe, qui pourra y donner suite, sans toutefois pouvoir imposer de mesures à la Belgique. Cela n’a pas empêché les syndicats belges de se réjouir de cette conclusion.

“De plus en plus souvent, certains employeurs tentent d’empêcher l’exercice du droit de grève (plus particulièrement les piquets de grève), indiquent-ils dans un communiqué. Au mépris des instruments internationaux ratifiés par la Belgique et sans se soucier du motif du conflit, ils s’adressent aux tribunaux, avant même toute action, pour obtenir des condamnations sous peine d’astreintes, sans donner à la partie adverse la possibilité de produire ses propres arguments.”

La Belgique viole le droit à l’action collective tel qu’il est garanti par la Charte sociale européenne révisée, en permettant arbitrairement aux juges d’interdire les grèves, même préventivement, au moyen de requêtes unilatérales, écrivent-ils : “Le recours abusif à la requête unilatérale avait déjà été dénoncé en 2011 par la Cour européenne des droits de l’homme lorsque la Belgique avait été condamnée pour l’interdiction, imposée sur requête unilatérale, d’un reportage portant sur des erreurs médicales.”

Les organisations syndicales belges applaudissent ce jugement et expriment “clairement leur volonté de s’asseoir autour de la table avec le gouvernement pour examiner la meilleure manière de veiller à ce que la Charte sociale européenne révisée ne soit plus violée dans notre pays en cas de conflit collectif. Un recours plus fréquent aux conciliateurs sociaux, spécialement formés à cette fin, pourrait jouer un rôle dans ce cadre. Ces conciliateurs sont en effet les personnes indiquées pour essayer, en cas de conflit collectif, de trouver par la conciliation et la médiation une solution acceptable pour les deux parties et de rétablir ainsi le climat social dans les entreprises.”

Les syndicats demandent enfin aux ministres de l’emploi et de la justice de faire le nécessaire pour diffuser la décision du Comité européen des droits sociaux auprès du pouvoir judiciaire.

Patronats : “Le droit de grève n’est pas absolu !”

Les fédérations patronales nationale (FEB), wallonne (UWE), flamande (Voka) et bruxelloise (Beci) dénoncent, de leur côté, la “conclusion unilatérale” tirée par les syndicats. Eles se réjouissent par ailleurs “que le CEDS ait confirmé que le droit de grève n’est pas absolu, à savoir, que ses auteurs doivent tenir compte des droits et des libertés d’autrui.”

Le CEDS réaffirme que toute intimidation ou violence est contraire à la Charte sociale européenne et que le juge belge peut valablement être chargé de rétablir l’équilibre entre le droit de grève et le droit de travailler, pointent les organisations patronales du pays. “Ceci s’applique notamment en cas de piquet de grève non pacifique, atteinte aux biens et aux personnes ou encore blocage des accès.”

En revanche, FEB, UWE, Voka et Beci “s’étonnent que le CEDS arrive à une conclusion impraticable en droit belge lorsqu’il estime que les requêtes unilatérales introduites par les employeurs ne respectent pas assez le droit des auteurs des piquets. Face à un piquet, comment un employeur pourrait-il faire respecter ses droits alors que les syndicats ne disposent pas de la personnalité juridique ? En d’autres termes, elles se demandent comment il est possible de maintenir l’équilibre entre le droit de grève et les autres droits fondamentaux (droit de travailler, liberté de circulation, etc.).”

Les quatre organisations patronales estiment que ce rapport constitue l’occasion de lancer un débat serein entre partenaires sociaux sur un encadrement équilibré – “qui soit légal ou non” – du droit de grève.

Trends.be

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