Dieter Vranckx, nouveau CEO de Brussels Airlines: “Je dois avoir du kérosène dans les veines”

Brussels Airlines © GETTYIMAGES

Le nouveau patron de Brussels Airlines, ancien de la Sabena, Swiss et Lufthansa, mène un plan pour “garantir à la compagnie sa survie à long terme”. Il est même prêt à déménager le siège de Brussels Airlines si l’économie en vaut la peine.

” Je dois avoir du kérosène dans les veines “, avance Dieter Vranckx, 46 ans, CEO de Brussels Airlines depuis le 1er janvier. A l’issue de ses études, il ne se doutait pas qu’il allait accomplir toute sa carrière dans l’aérien. ” Je ne l’aurais jamais cru “, déclare-t-il aujourd’hui, se rappelant qu’il avait la possibilité d’aller chez Peugeot ou Citroën. Après un diplôme d’ingénieur commercial et un MBA à la Solvay Business School (VUB), il signe en effet le 15 juillet 1998 (sa mémoire est très précise) son premier contrat à la Sabena. ” Ce qui me plaisait avec la Sabena, c’était le concept de management training, on gérait quatre projets pendant deux ans, dans quatre départements différents. On les menait à bien, on les finalisait. ” La Sabena était de facto intégrée au groupe suisse SAirGroup (Swissair), qui en possédait 49,5%, via une structure commune, AMP, pour gérer des services entre les différents transporteurs du groupe (Swissair, Austrian Airlines, Sabena, notamment). La faillite du SAirGroup et, en conséquence, de la Sabena et ensuite de Swissair, et les polémiques qui avaient suivi, ont effacé les aspects positifs de cette tentative de construire un groupe aérien.

D’un groupe à l’autre

D’une certaine manière, Lufthansa, financièrement plus robuste, a réussi là où le SAirGroup, plus faible, a échoué en 2001. Le groupe a repris en 2007 la compagnie Swiss, née de la faillite de Swissair, Austrian Airlines (qui avait aussi figuré parmi les participations du SAirGroup) en 2008, et enfin Brussels Airlines, créée en 2017 au départ d’une filiale de la Sabena, pour consolider un groupe européen. Dieter Vranckx est passé de l’un à l’autre. De la Sabena à Brussels Airlines, puis longuement chez Swiss. Il a ainsi voyagé à travers le groupe Lufthansa, avant de revenir au point de départ, à la b.house, siège de Brussels Airlines. D’abord comme CFO (directeur financier) en 2016, à présent comme successeur de Christina Foerster, CEO, qui est partie rejoindre le comité de direction de Lufthansa.

Il y a moyen de développer une compagnie aérienne profitable en Belgique. La question est : quelle est sa taille idéale ?” Dieter Vranckx

Sa mission : améliorer les finances de la compagnie belge. En 2018, sa marge opérationnelle (Ebit) ne dépassait pas 7,6 millions d’euros (0,5% des ventes). Le groupe Lufthansa demande d’arriver à 8% d’ici trois ans. La réponse est le plan Reboot, annoncé en novembre, une économie de 160 millions d’euros par an d’ici trois ans, un objectif qui prend en compte l’évolution des salaires, soit environ 10% du chiffre d’affaires (1,5 milliard d’euros).

Le groupe Lufthansa avait réalisé en 2018 une marge opérationnelle de 8,3%. Il est coté en Bourse et cherche à restaurer son rôle de valeur aéronautique sûre en déployant plusieurs programmes d’efficience, au moment où les performances du groupe fléchissent.

Dieter Vranckx
Dieter Vranckx© PG

Maintenance moins chère

” Nous avons commencé à négocier avec les fournisseurs, indique Dieter Vranckx. Nous venons de conclure de nouveaux contrats pour la maintenance qui vont nous aider à baisser les coûts. ” De son côté, le personnel sera mis à contribution via une intégration entre différents services et ceux du groupe Lufthansa. Des départs volontaires concerneront le personnel des services centraux (1.200 personnes sur un total de 4.200), mais pas les pilotes et le personnel de cabine. Un accord semble en vue.

Ces départs se feront à mesure que des services de Brussels Airlines seront intégrés au groupe Lufthansa. C’est le cas depuis longtemps pour Austrian et Swiss, deux autres filiales du groupe. ” Ils ont complètement intégré leurs fonctions commerciales avec Lufthansa, le back office, les fournisseurs. Nous n’irons pas jusque là. ” L’intégration sera obligatoire pour certaines fonctions, facultative pour d’autres. ” Elle se fera pour plusieurs fonctions clés du commercial : la gestion du réseau, le revenue management (la gestion des tarifs), la vente, y compris sur le Net. Le site web de Brussels Airlines est géré chez nous. A partir de 2021, il sera repris par le service IT de Lufthansa. Pour les voyageurs, rien ne changera, ils verront toujours un site Brussels Airlines. ” Pour d’autres départements, Dieter Vranckx a le choix. ” Nous déciderons du degré d’intégration comme les finances, les ressources humaines, les opérations. Nous donnerons la priorité à une solution du groupe, mais nous n’y sommes pas obligés. ”

En attendant le terme du plan Reboot, fin 2021, le groupe Lufthansa ne veut pas entendre parler d’expansion de la flotte. ” C’est bien simple, sans atteindre ces 8% de marge, nous n’avons pas la possibilité d’investir dans des avions additionnels “, tranche Dieter Vranckx.

B.HOUSE Le siège de Brussels Airlines restera-t-il encore à Diegem, à côté de Brussels Airport ?
B.HOUSE Le siège de Brussels Airlines restera-t-il encore à Diegem, à côté de Brussels Airport ?© BELGAIMAGE

Croissance gelée

La flotte de 48 avions pourrait même diminuer. ” Nous jouons sur la flotte existante, en retouchant certaines lignes, comme les vols vers Toronto, qui seront remplacés par des vols vers Montréal. Mais on devra aussi voir si l’on remplace les avions qui sortent de la flotte. ” Cette année, deux avions partiront, un long courrier A330 et un A319 moyen courrier. Seront-ils remplacés ? ” Cela dépendra des progrès du plan Reboot. Le project management qui le gère réalise un monitoring mensuel pour vérifier les progrès des initiatives. ”

Rien n’est exclu, assure Dieter Vranckx. ” Nous évaluons toutes les options. Si les équipes de maintenance occupent plusieurs bâtiments, nous verrons s’il est opportun de tout regrouper. On regarde tout. Y compris le siège de la compagnie b.house (à Diegem, le long de l’aéroport, Ndlr) : à un certain moment, nous devrons évaluer si c’est encore le bon choix. “. Cette question sur un déménagement du siège pourrait se poser dans la mesure où le plan Reboot va vider des bureaux.

Le couac Thomas Cook

Le départ d’un avion de Ryanair va-t-il faciliter la tâche, en réduisant la pression concurrentielle ? ” Ryanair enlève un avion, mais Transavia (filiale low cost d’Air France KLM, Ndlr) arrive à Zaventem. La concurrence est toujours là. D’où l’importance d’être plus rentable, plus flexible. ” Brussels Airlines a aussi souffert de la faillite de Thomas Cook, qui lui apportait des clients. Elle a pu signer un contrat avec le voyagiste TUI Fly. ” Il ne remplacera pas 100% de la perte de volume induite par la chute de Thomas Cook “, prévient Dieter Vranckx.

Les soucis de la compagnie belge font écho à ceux de la Sabena, qui n’était quasiment jamais parvenue à gagner de l’argent. Depuis sa naissance en 2001, Brussels Airlines était partie d’un meilleur pied, faisant rapidement et mieux la preuve qu’elle pouvait dégager un profit, mais elle a mal digéré la crise financière de 2008 et la pression de Ryanair. Elle n’a pu trouver des actionnaires en Belgique (1) pour continuer son développement, et a été cédée en deux temps au groupe Lufthansa (45% en 2009, pour passer à 100% en 2017), prospère mais à la discipline financière exigeante.

Après la crise de 2008, Brussels Airlines a misé sur la taille et les longs courriers pour améliorer son profil financier. A présent, le groupe préfère que la filiale belge gèle sa croissance et prouve sa capacité à être rentable au niveau exigé par le groupe, les fameux 8%. ” Il est important d’avoir une compagnie saine sur le plan financier pour avoir une vue à long terme “, indique Dieter Vranckx, qui résume le plan Reboot par la phrase ” reculer pour mieux sauter “. Il parle de ” garantir la survie à long terme “.

“Le perspectives sont moins floues qu’il y a un an”

Certains syndicats semblent y croire. ” Les perspectives sont moins floues qu’il y a un an, lorsqu’il était question de l’intégration de Brussels Airlines dans le pôle Eurowings de Lufthansa “, reconnaît Filip Lemberechts, secrétaire permanent de la CGSLB. Eurowings est le pôle low cost de Lufthansa, où Brussels Airlines aurait dû se diluer et perdre à terme son nom. ” Personne n’était enthousiaste en Belgique. Maintenant, Brussels Airlines restera une société indépendante. Si elle réussit l’exercice, elle a la perspective de développer des longs courriers d’ici trois ou quatre ans. ” Même s’il s’inquiète à court terme de l’évolution du réseau, ” qui reste floue “.

Le divorce d’avec Eurowings déplace Brussels Airlines dans le pôle Network du groupe Lufthansa à partir de cette année. La compagnie y côtoie Austrian, Swiss ainsi que Lufthansa German Airlines. Ces trois compagnies réalisaient des marges opérationnelles respectives de 3,8%, 12,1% et 11% en 2018. Swiss et Austrian Airlines sont basées dans des pays de taille comparable à la Belgique, même plus petits en nombre d’habitants (moins de 9 millions). ” La compagnie Austrian est la plus proche de notre situation “, estime Dieter Vranckx. Comme Brussels Airlines, Austrian est soumise une forte concurrence low cost. Elle suit aussi un programme de réduction de coûts, visant 90 millions de gains d’ici 2021.

Reste que la Belgique n’est pas une une terre idéale pour développer une compagnie aérienne. Très peu s’y sont développées. On compte encore TUI Fly, qui est rentable, et appartient au voyagiste TUI, et Air Belgium, qui débute. ” Il y a moyen de développer une compagnie aérienne profitable en Belgique, assure Dieter Vranckx. La question est : quelle est sa taille idéale ? Ensuite, une fois qu’on y arrive, quel sera le bon développement, qui ne détruit pas la rentabilité ? ”

(1) Brussels Airlines a été lancée, en 2001, grâce à un actionnariat très éclaté des principales entreprises et invests du pays, chacun prenant une petite part (Engie, KBC, ING, SRIW, Ndlr.) pour aider au décollage. Aucun actionnaire professionnel belge n’a pris le relais, d’où la vente à Lufthansa.

Accord en vue avec les syndicats

La partie délicate du plan Reboot, sur les départs volontaires, était susceptible de se régler au moment de la sortie de ce numéro. Brussels Airlines pourrait en effet signer un accord avec les syndicats. ” Un préaccord a été conclu avec nous et le syndicat libéral, nous attendons le texte, indique Anita Van Hoof, secrétaire fédérale du Setca, en charge du secteur aérien. Nous avons consulté le personnel, il a donné son feu vert. ” Le syndicat chrétien CNE-ACV Puls est opposé au plan de départs volontaires et ne participe pas à l’accord.

” Nous préférons négocier à trois, mais voilà…, note Filip Lemberechts, secrétaire permanent de la CGSLB. Je ne pense pas que Brussels Airlines envisage de déclencher un plan Renault, soit ici plus de 30 licenciements sur 60 jours. Nos retours du personnel indiquent un intérêt pour des départs volontaires. ” Brussels Airlines propose que ceux-ci soient accompagnés, avec un coaching pour les partants, et le paiement de mensualités tant qu’un point de chute n’a pas été trouvé, pendant une certaine période. La négociation inclut aussi des départs pour les plus de 58 ans, avec une combinaison de crédit-temps et de soutien de Brussels Airlines.

Les départs concernent le personnel au sol en Belgique, qui comporte 1.200 personnes (les syndicats parlent de 800 personnes concernées). Aucun chiffre n’a été avancé, cela dépendra des restructurations de chaque département, étalées sur trois ans. ” Un groupe de travail a été convenu avec la direction pour accompagner les annonces des restructurations service par service, précise Anita Van Hoof. Notre but est d’éviter des licenciements secs, quitte à jouer sur des mutations internes, avec une formation. ”

Le petit poucet

Que pèse Brussels Airlines dans le groupe Lufthansa ? Quelques pour cent. La compagnie transportait 10 millions de passagers en 2018, réalisait 1,5 milliard d’euros de ventes, occupait près de 4.200 personnes. Soit moins de 5% des ventes du groupe, 3% des effectifs (135.844 personnes au total). C’est le petit poucet du groupe. Cette part minime est amplifiée par la dimension très large des activités du groupe, qui comprend un business de maintenance, Lufthansa Technics, travaillant même pour un concurrent, Ryanair ; du catering (LSG, partiellement mis en vente). En ne prenant que l’activité de transport aérien, les 10 millions de passagers de Brussels Airlines représentaient 7% du total transporté en 2018 par Lufthansa et les différentes compagnies du groupe (142 millions de passagers au total).

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