Delbôve: retour sur une histoire de fidélités et de rituels

Gina d'Ansembourg, la directrice, dans son cocon de la rue de l'Abbaye: "L'ambition est simplement de grandir". © PHOTOS FERNAND LETIST

La marque belge Delbôve a connu deux périodes. Celle de sa créatrice Marion Delbôve et, depuis 2011, celle de Gina d’Ansembourg, fidèle cliente devenue la nouvelle gardienne des crèmes et eaux “sorcières”.

La magie opère depuis 1967. Cette année-là, sous l’impulsion de son mari coiffeur passionné de chimie, l’esthéticienne bruxelloise Marion Delbôve lance sa gamme de cosmétiques. Ses produits phares: une crème et une eau de soin naturelles, dites “sorcières”, aux qualités bien spécifiques. Pourquoi “sorcières”? Le terme est un jour lâché par un journaliste spécialisé stupéfait par l’alchimie des produits mis au point par l’épouse de Roger Delbôve et un chimiste. Leurs longues et minutieuses recherches ont en effet débouché sur un savant dosage au service d’une notion clé de la philosophie cosmétique: l’homéostasie. A savoir le principe scientifique selon lequel tout système vivant est capable de maintenir ou de retrouver par lui-même l’état d’équilibre propice à son bon fonctionnement. Roger, le mari de Marion Delbôve, ne jurait déjà que par cette quête sur le terrain délicat du cuir chevelu. Elle en fera également la clé de voûte de sa gamme “Sorcière” entièrement dédiée aux soins de la peau.

Nous refusons d’entrer dans cette spirale infernale de production et d’extension annuelle de gammes qui agitent les grandes marques.

Sauver la marque et ses produits

“Le couple Delbôve avait tout compris et l’homéostasie reste l’axe essentiel de nos produits aujourd’hui”, souligne Gina d’Ansembourg, qui a relancé la marque en 2013 au départ de son magasin d’Ixelles. D’abord fidèle cliente de Marion Delbôve pendant 25 ans, Gina est aujourd’hui la gardienne d’un bel héritage cosmétique qui a bien failli tomber aux oubliettes en 2011 après la maladie puis la disparition de sa créatrice. “Mon mari Christophe et moi étions des clients assidus, se remémore l’actuelle directrice de Delbôve. Un jour, nous avons trouvé porte close. La fille de Marion avait tout déplacé vers son salon de coiffure pour faire des produits de soin Delbôve une offre complémentaire. Mais sans conviction. Cela sentait la fin de cycle, le creux commercial, le déclin. Ce qui pour nous, comme pour d’autres clientes, était inconcevable. Mon mari m’a dit: ‘Et si tu reprenais la marque pour la sauver?’ J’ai répondu: évidemment!”. Entre la reprise et la relance, s’ouvre alors une période de deux ans de battement. “Il a fallu harmoniser les formules des produits avec de nouvelles règles européennes ; opérer un léger refresh du packaging, des pots, du graphisme, de la typo des étiquettes ; trouver un écrin idéal pour le magasin ( rue de l’Abbaye à Ixelles, Ndlr). Mais aussi, à titre personnel, suivre des formations…”, précise celle qui ignorait tout de l’univers ultra-concurrentiel des marques cosmétiques avant d’y plonger à 100%.

Delbôve: retour sur une histoire de fidélités et de rituels
© PHOTOS FERNAND LETIST

Croître en douceur et profondeur

La transition est engagée. Mais en douceur. “J’ai tenu à ne rien changer de la composition fondamentale des produits. Grâce au progrès de la chimie, on a juste simplifié la formule initiale ( lire l’encadré page suivante). Deux ou trois nouvelles formules sont venues compléter notre gamme (notamment des concentrés d’actifs de teintures mères). Côté packaging, j’ai préservé la déco vintage de la marque. Je voulais que le temps s’arrête et que persiste l’élégance intemporelle que dégage l’univers Delbôve. Le but était de recréer pour les anciens et nouveaux clients la sensation que j’avais moi-même éprouvée au contact de Marion. Je veille à la qualité d’accueil, de disponibilité et de conseils de notre enseigne, comme elle. Et comme elle avant moi, je répète inlassablement que soigner et entretenir sa peau est une discipline quotidienne à laquelle il faut consacrer du temps, avec de bons produits.”

Depuis sa relance, le petit poucet Delbôve a toujours trouvé son chemin en croissance douce, sans trahir son ADN et sa gamme demeurée limitée en comparaison des tombereaux de crèmes, eaux, lotions et autres cosmétiques déversés chaque année par les grands groupes. “Notre gamme compte seulement 24 produits qui ont permis à la marque de survivre depuis presque un demi-siècle. Un exploit! Ce que je croyais au départ être une faiblesse, est en fait une force, relève la manager. Nous refusons d’entrer dans cette spirale infernale de production et d’extension annuelle de gammes qui agitent les grandes marques comme Sisley, L’Oréal et d’autres.”

Delbôve: retour sur une histoire de fidélités et de rituels
© PHOTOS PG

La cool et slow attitude de la marque belge paie. Elle peut compter sur une fidèle base de 800 clients qui, par la magie du bouche à oreille, ramènent régulièrement de nouveaux adeptes, ensorcelés par le rituel magique quotidien à pratiquer autour des crèmes et eaux sorcières. Elle peut aussi compter sur son magasin vitrine à Bruxelles, un comptoir à Paris au “Bon Marché” (une présence au Harrods de Londres est actuellement au frigo pour cause de crise Covid) et les 34 autres magasins en Belgique et France qui distribuent les produits Delbôve. Et sur un chiffre d’affaires de 430.000 euros en 2019 que l’année Covid 2020 n’a diminué que de 11%. L’année 2021 sera meilleure car, quoique presque jubilaire, la marque Delbôve a intégré l’agilité et les bons réflexes virtuels de la vente en ligne.

Delbôve: retour sur une histoire de fidélités et de rituels
© PHOTOS FERNAND LETIST

Sabbat virtuel

“Le contact présentiel ayant été fortement réduit, nos clientes sont très vite passées vers l’ online pour éviter tout risque de pénurie de nos produits, se réjouit Christophe d’Ansembourg, le mari de Gina qui tient à l’oeil les chiffres et résultats de l’enseigne. Avant la crise, notre vente en e-shop était très modeste, mais le Covid lui a donné une forte impulsion. On a augmenté de 50% nos ventes via internet. Ce qui n’était pas gagné d’avance vu notre clientèle souvent âgée, moins familiarisée avec le digital. Mais nos clientes seniors se font aider par leurs filles ou petites-filles car Delbôve est un virus qui se transmet de génération en génération.”

Marion Delbôve, fondatrice de la marque et de sa gamme phare.
Marion Delbôve, fondatrice de la marque et de sa gamme phare.© PHOTOS PG

“On va conquérir le monde!”, rigole Gina avant de rectifier: “Plus modestement, l’ambition est simplement de grandir”. A l’international, puis en créant éventuellement un institut de beauté Delbôve, voire un jour en passant le flambeau à l’un de leurs enfants… Mais les d’Ansembourg examinent toutes les possibilités de croissance avec prudence. “Nous occupons une belle niche et existons comme petite marque cosmétique réputée pour la qualité de ses produits naturels, que l’on compare souvent à Sisley ou La Prairie, et bénéficiant d’une fidélisation remarquable. Delbôve est une société saine, sans dette et nous sous-traitons la fabrication de nos produits de soin chez Labocréation, au sud de Paris. On a toujours progressé doucement mais sûrement depuis la reprise de la marque il y a neuf ans. Notre seul faux pas, c’est quand nous avons voulu aller trop vite en lançant une deuxième enseigne à Anvers en 2016, fermée après trois ans”, déplore Gina. La “sorcière bien-aimée” sait donc qu’il ne suffit pas de faire bouger son nez comme dans la série télé pour que la magie opère. Il faut plutôt entretenir sans relâche son image et offrir pleine satisfaction à sa clientèle….

En temps normal, Delbôve organise d’ailleurs des sabbats – pardon des workshops – autour de ses eaux, crèmes et élixirs. La fondatrice de la marque avait, paraît-il, toujours cultivé l’échange, la transmission, l’écoute, le partage. Une approche perpétuée par Gina d’Ansembourg qui, rosissant quand on lui demande de quelle touche personnelle elle a enrichi l’univers Delbôve, esquisse: “La déco design et l’atmosphère de notre magasin, une certaine élégance, mon sourire… Et puis ma conviction d’inconditionnelle de cette gamme de soins authentiques d’offrir à ma clientèle un rituel unique de reconnexion quotidien avec sa peau”.

La formule qui défie le temps

Delbôve revendique depuis l’origine sa capacité à traiter la peau du visage et du cou dans sa globalité mais surtout à lui permettre de travailler et donc retrouver par elle-même son hydratation spontanée et son équilibre. Une approche qui serait à l’opposé des produits trop riches des autres marques qui rendraient la peau fainéante. Lors de la reprise de l’enseigne, Gina d’Ansembourg a néanmoins entrepris de simplifier la formule d’origine des crèmes et eaux “sorcières” composée de 34 ingrédients, pour les ramener à… 9! Une opération qui prit trois ans mais fut préconisée par les chimistes car beaucoup d’ingrédients originels faisaient doublon. “La modernisation de la formule s’est opérée sans perte de propriétés, d’authenticité ou d’efficacité de nos produits mais a surtout permis de simplifier leur fabrication”, assure la directrice de Delbôve. Mais rien n’a été altéré: ni les ingrédients actifs (50% de la composition), ni les textures, ni les propriétés, ni ce qui s’avère une grande spécificité des crèmes “sorcières”: le peu d’eau qu’elles contiennent. “Seulement 40%, là où la plupart des marques sont à 60, voire 80%.”

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