Decathlon: louer du matériel plutôt que le vendre?

La location portera dans un premier temps sur des vélos, des articles de sports nautiques, de fitness, de camping, de randonnée et de sports d'hiver. © Photos PG

Après deux ans de tests, Decathlon Belgique se lance dans la location de matériel. La raison? Améliorer son impact environnemental et faciliter l’accès au sport. Mais l’enseigne pourra aussi évaluer l’effet d’un tel service sur le business. Celui-ci sera-t-il plus rentable? Permettra-t-il l’accès à de nouvelles données stratégiques?

Proposer la location d’équipements de sport quand on est l’un des plus gros vendeurs du secteur et qu’on possède différentes marques peut paraître totalement contre-intuitif. Pourtant, tel est bien le mouvement stratégique opéré par Decathlon en Belgique. Dès à présent, et après avoir réalisé deux années de tests, l’enseigne lance un service de location d’équipements à grande échelle. Elle commencera par des vélos, des articles de sports nautiques, de fitness, de camping, de randonnée et de sports d’hiver. Au total, 3.000 produits dans quelque 150 catégories sont proposés. L’offre sera élargie par la suite.

Jusqu’à 210 euros inutilisés

Dorénavant, les clients de Decathlon pourront donc louer du matériel pour quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Pour l’enseigne, très préoccupée par son empreinte écologique, il s’agit d’une manière d’apporter une alternative durable à la vente (et donc à la fabrication) de matériel dont l’utilisation n’est pas régulière. En été, le matériel de ski ou de snowboard a en effet rarement l’occasion de sortir des placards tandis qu’en hiver, planches de surf et palmes restent le plus souvent dans le garage.

D’après une étude menée par Decathlon, un ménage belge sur quatre posséderait des articles utilisés uniquement quelques fois par an. Et ce chiffre est même supérieur (37%) dans la tranche des plus sportifs. En moyenne, entre 155 et 210 euros d’équipement de sport pas ou peu exploité sommeilleraient ainsi chez chaque famille. Et si cette réalité s’explique majoritairement par la saisonnalité de certaines pratiques sportives, d’autres facteurs l’influencent. “Certains veulent essayer un nouveau sport, achètent le matériel adéquat puis se rendent compte que ce n’est pas leur truc”, analyse Quentin Goffart, responsable de la location chez Decathlon Belgique. Voilà pourquoi, au sein de l’enseigne, a mûri cette idée. Le consommateur loue des outils de bricolage ; pourquoi pas des équipements de sport? “Le point de départ de ce service est aussi lié à l’analyse de l’impact de nos produits, explique Quentin Goffart, Après une vraie prise de conscience en interne, nous avons constaté que 80% de l’impact environnemental de Decathlon était lié à nos produits (la chaîne de production, le cycle de vie, etc.).”

Pour l’enseigne, très préoccupée par son empreinte écologique, c’est une manière, d’apporter une alternative durable à la vente de matériel.

La réponse à cette réalité a été multiple, et cinq grandes lignes on été dégagées pour changer la donne et diminuer cet impact CO2: apprendre aux clients à mieux entretenir leurs produits pour leur offrir une durée de vie plus longue, ouvrir des service de réparation, miser sur la seconde main pour donner une deuxième vie aux produits inutilisés, trouver des manières de réutiliser/recycler des produits en fin de vie… et bien sûr, mettre en place des systèmes de location pour éviter la fabrication de matériel inutilisé.

Sur papier, le concept de la location de matériel doit en effet permettre de soutenir la démarche circulaire du groupe Decathlon, lequel propose déjà des articles de seconde main et des ateliers de réparation. Il peut à terme diminuer significativement l’empreinte CO2 du groupe. “En démultipliant l’usage d’un produit unique, on limite l’impact sur les matières premières qui tendent à arriver à certaines limites”, plaide le responsable du service chez Decathlon Belgique. Avec 150 jours d’utilisation/location, la réduction d’impact CO2 atteindrait environ 50%, d’après les calculs de l’enseigne.

“Sport as a service”

Mais ce nouveau service correspond aussi à un nouveau modèle business. Ce qui n’a rien d’anodin. “Dans un contexte de pouvoir d’achat en apparence sous pression et avec l’augmentation continue des loisirs, la démarche de Decathlon fait sens, observe Pierre-Alexandre Billiet, CEO du groupe Gondola, spécialisé en retail. Sachant qu’aujourd’hui, on multiplie toujours plus les activités de hobby, la location de matériel chez Decathon va encore faciliter l’accès à de nouveaux sports. Et l’enseigne peut alors se positionner comme une plateforme.” Après le concept, très en vogue, de mobility as a service, Decathlon semble donc bien inaugurer le sport as a service. Ce qui, stratégiquement, lui confère également une position de point d’accès vers le sport. “En permettant la location, Decathlon donne au public l’occasion de se tester mais aussi de le faire au travers de ses propres marques, enchaîne le patron de Gondola. C’est très intéressant pour l’enseigne parce que cela lui offre un nouvel accès à une cible qui n’est pas encore hyper spécialisée, celle qui fait justement partie de son coeur de cible.”

Concrètement, le prix de la location variera entre 2 et 10% du prix d’achat du matériel loué, avec un prix dégressif en fonction de la durée du service. Un vélo de 600 euros pourrait ainsi être amorti sur six mois environ s’il est loué pendant un mois par six personnes différentes. Et comme il est probable que l’engin puisse être loué plus longtemps que six mois, cela signifie que la location est potentiellement rentable. Sur papier en tout cas.

Quel soin de la part du client?

Toutefois, le calcul n’est évidemment pas aussi simple. Car pour arriver à assurer la location de matériel, Decathlon doit disposer d’une logistique spécifique et d’équipes dédiées: quatre personnes pour l’instant mais probablement cinq fois plus d’ici l’été. Le service est actuellement centralisé depuis l’entrepôt où sont réalisés le reconditionnement et le check-out des produits ramenés. Avec de nouveaux gestes à apprendre: reprise du produit, analyse, remise en place du produit. Et puis, rien n’indique que chaque matériel mis en location sera effectivement loué. Et certains produits pourraient n’être loués qu’une seule fois et plus jamais ensuite.

Par ailleurs, un gros point d’interrogation subsiste: le matériel tiendra-t-il le coup? “La qualité est un élément déterminant, soutient Pierre-Alexandre Billiet. C’est une question centrale dans le modèle. Mais visiblement, les responsables de Decathlon ont l’air d’avoir une vraie confiance dans leur matériel.” Du côté de l’enseigne, on admet que la question se pose. Mais avec d’autres termes: “Là où l’on prend surtout le risque, c’est sur l’usage des produits par le client: quand on voit les nombreuses détériorations des trottinettes en libre partage, cela pose question, reconnaît Quentin Goffart. Mais on pense que tout passe par la responsabilisation de l’usager.”

3.000 produits sont proposés au total à la location.
3.000 produits sont proposés au total à la location.© Photos PG

L’état des objets loués ne sera cependant pas seulement scruté pour vérifier si l’usager a bien respecté le produit. Cette inspection devrait également permettre à Decathlon de collecter des informations sur les faiblesses de ses produits pour, éventuellement, en améliorer la qualité. “A la base, nos produits sont fabriqués pour un usage personnel, glisse Quentin Goffart. Avoir les bonnes données peut nous permettre de les améliorer, de les rendre plus solides et mieux réparables. Nos marques sont friandes de ces données. Pour l’instant, on dispose uniquement des feed-back clients, mais pas de la traçabilité sur les réparations. Du reste, mieux on le fera et plus la démarche sera rentable.” A terme, cette collecte d’informations permettra aussi d’imaginer la fabrication adaptée de produits, exclusivement pour la location. Ce qui se fait déjà ponctuellement.

Les responsables de Decathlon ont l’air d’avoir une vraie confiance dans la qualité de leur matériel.” – Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)

Big data?

Par ailleurs, il se pourrait bien que la captation d’informations ne se limite pas au seul état du matériel quand il revient de location. Les habitudes des clients constituent également une mine d’informations. “Quand vous savez que votre client a loué un vélo lors des deux précédentes vacances de Pâques, vous pouvez supposer qu’il sera à nouveau intéressé par une bicyclette l’année d’après, observe Pierre-Alexandre Billiet. Et cela vous permet de développer de belles offres, en fonction de la stratégie de l’entreprise à ce moment-là”. Déjà informée des habitudes d’achat de sa clientèle, Decathlon passe à côté de bon nombre d’autres informations de comportement dans l’univers du sport. Or, à l’heure des algorithmes d’intelligence artificielle et de l’interprétation de données, celles collectées par ce service de location pourraient permettre d’améliorer la compréhension de la clientèle, d’affiner le marketing de l’enseigne et, pourquoi pas, d’adapter ou lancer certains nouveaux services…

Ce virage stratégique de Decathlon, même s’il reste anecdotique aujourd’hui, constitue un laboratoire intéressant pour la firme, tant sur l’aspect circulaire que sur l’axe business. Mais aussi pour l’ensemble des autres entreprises qui pourront tirer les enseignements d’une telle évolution. Qu’elle réussisse ou pas.

Plus blanc que blanc

La location de matériel n’est qu’une des voies empruntées par Decathlon pour réduire son impact sur l’environnement. L’enseigne vient, par exemple, de lancer une nouvelle collection de matériel de camping déclinée uniquement en blanc, ce qui permet d’éviter le processus de coloration qui consomme beaucoup d’eau et fait appel à divers produits chimiques. Selon Decathlon, ce procédé réduit de 54 % l’empreinte carbone des articles concernés.

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