D’Ieteren se lance et voit grand avec Lucien, sa nouvelle chaîne de magasins de vélos
En développant Lucien, une nouvelle chaîne de magasins de vélos, D’Ieteren Automotive s’attaque à un marché en plein développement qui va de plus en plus utiliser les mêmes outils que le secteur automobile, comme le leasing ou l’assistance.
Après Colruyt, c’est au tour de D’Ieteren, autre grand groupe belge, de se lancer dans le vélo. Il vient d’ouvrir sur 3.000 m2 le flagship store d’une nouvelle chaîne de magasins baptisée Lucien, à l’emplacement d’une ancienne concession Audi, au pied du siège du groupe, rue Américaine à Bruxelles.
Ce magasin est la vitrine des ambitions du groupe dans la bicyclette, un concept store avec une piste intérieure pour que les clients puissent par exemple essayer des vélos-cargos, plus délicats à tester sur la voie publique quand on n’en a jamais conduit.
D’Ieteren, premier importateur d’automobiles en Belgique (VW, Audi, Seat, Skoda, Bentley, Bugatti) avec Stellantis, s’intéresse à un marché en plein essor. Alors que la voiture est de moins en moins bienvenue en ville, c’est tout l’inverse pour le vélo. Les pistes cyclables se multiplient, y compris sur un pont par-dessus le ring de la capitale. Les modèles à assistance électrique ont rendu les deux-roues plus attractifs et induit de nouveaux usages, tels que le transport de marchandises. Leur tarif élevé est tempéré par des aides et des mesures fiscales attractives.
Développer une chaîne dans les villes
“Nous souhaitons devenir la chaîne préférée des Belges en matière de vélos”, résume Karl Lechat, le patron de la nouvelle chaîne, ancien manager de la marque Skoda et lui-même passionné de vélo. “J’en avais acheté un avec mon premier salaire chez D’Ieteren, un VTT Scott”, confie-t-il.
Les ambitions sont claires: D’Ieteren souhaite installer des magasins partout en Belgique. “Plutôt dans les centres urbains et d’ici cinq ans”, précise Karl Lechat. Ils vendront tous les types de vélos, y compris les sportifs et les VTT, mais la clientèle visée sera majoritairement les particuliers qui veulent aller au travail, à l’école ou faire leurs courses en bicyclette.
Ce nouveau développement est basé sur des acquisitions. A Bruxelles et à Anvers dans un premier temps, puis dans les autres villes à partir de 2023. Et avec des points de vente proche des clients (maximum 20 minutes) et une offre qui variera selon la réalité du marché local. Cette stratégie avait commencé fin 2021 avec le rachat de Goodbikes, un magasin créé il y a cinq ans par Giovanni Franzi, voisin du siège du groupe, puis d’iBike, la plus grande chaîne de magasins de vélos à Anvers, avec huit points de vente. Au total, cette première base représente environ 70 salariés et quelques millions d’euros de revenus. L’objectif est d’atteindre 100 millions d’euros de revenus annuels.
Un marché de 600.000 vélos par an
Le groupe D’Ieteren entre dans un secteur très fragmenté. “Il y a, selon les sources, entre 1.500 et 1.800 vélocistes en Belgique, dont à peine une centaine de magasins appartiennent à une chaîne”, explique Karl Lechat. Le groupe Colruyt suit la même approche après avoir racheté Fiets! , une chaîne comptant 24 magasins (uniquement en Flandre), fondée en 2010 et rebaptisée Bike Republic. D’Ieteren a choisi le nom Lucien car il sonne bien dans les langues pratiquées en Belgique, a un côté familier et renvoie au dernier Belge vainqueur du Tour de France (en 1976), Lucien Van Impe, dont une grande photo orne le flagship store. C’est aussi le prénom d’un membre de la famille D’Ieteren qui avait orienté en 1931 le futur groupe vers l’importation de voitures alors qu’elle était auparavant spécialisée dans la carrosserie d’automobiles produites en petites séries.
Le marché atteint une taille respectable, “environ 600.000 vélos par an”, estime Guy Crab, secrétaire général de Traxio Vélo, une sous-division de la fédération du secteur automobile et des secteurs connexes. Sa valeur a fort augmenté avec l’électrification. Un speed pedelec (vélo roulant à plus de 25 km/h, jusqu’à 45 km/h) de plus de 5.000 euros n’est pas une exception et les vélos-cargos sophistiqués peuvent atteindre les 15.000 euros. Soit des montants pour lesquels des outils financiers utilisés dans le secteur automobile et que D’Ieteren connaît fort bien, comme le crédit ou la location, peuvent aider à faciliter la vente. Son bras financier est la société VDFin (Volkswagen D’Ieteren Finance), joint-venture entre le groupe belge et la banque de Volkswagen, utilisée aujourd’hui pour le financement des véhicules importés. Elle travaille désormais pour Lucien sur une offre adaptée aux vélos.
Avec des entretiens et des réparations de plus en plus nécessaires, le monde du vélo se rapproche de plus en plus de celui de la voiture. Lucien va d’ailleurs développer des services familiers aux automobilistes: assistance, exemplaire de remplacement, entretien. Ses vélos sont par exemple vendus avec un an d’assistance.
Plus de leasing pour pousser les ventes
D’Ieteren ne rachète pas des magasins uniquement pour multiplier des points de vente mais aussi pour recruter des spécialistes du vélo. “Notre approche consiste à racheter des vélocistes et à leur faire profiter de notre expertise dans le leasing et les services, explique Karl Lechat. Nous conservons les équipes. C’est même une condition sine qua non. Ils sont nos partenaires.”
Grâce à son expertise dans le financement, D’Ieteren espère pousser les ventes. Les distributeurs ont parfois du mal avec les tarifs atteints par les modèles électriques haut de gamme et sont souvent peu au courant des outils qui pourraient les aider à vendre de tels vélos. “Un speed pedelec Riese & Müller à 6.000 euros, c’est beaucoup d’argent. Le client peut hésiter. Mais si vous proposez un financement à 160 euros par mois, la vente a plus de chance de se réaliser. On ne le fait pas encore beaucoup dans le secteur, où l’on parle des prix en valeur absolue. Mais 160 euros, ce n’est même pas deux pleins d’essence.” Surtout que l’employeur peut payer jusqu’à 25 centimes/kilomètre d’indemnité vélo aux salariés, non taxable, pour encourager les déplacements bureau-domicile en deux-roues. Karl Lechat calcule qu’un salarié qui habite à 20 km du bureau et qui y vient quatre fois par semaine en speed pedelec peut financer intégralement les 160 euros mensuels avec la participation de son employeur. “Le salarié peut bénéficier de ce dispositif même s’il a une voiture de société”, précise encore Karl Lechat. “Et il est question d’élever le plafond au-delà des 25 centimes par kilomètre non taxable”, ajoute Guy Crab, de Traxio Vélo.
Plans “cafétéria” et indemnité vélo
Outre le remboursement des kilomètres par l’employeur, il existe d’autres moyens d’obtenir un vélo de prix à des bonnes conditions, et donc de doper les ventes. Les plans “cafétéria” sont aussi un moyen très pratiqué. Ils permettent, de manière fiscalement avantageuse, de convertir partiellement le treizième mois en un vélo. Pour ceux qui n’accèdent pas à ces formules, certains financements peuvent adoucir le coût. D’Ieteren compte même proposer des crédits “ballon”, très utilisés pour les voitures. Ceux-ci consistent en un emprunt semblable au leasing avec option d’achat, prévoyant une dernière mensualité élevée, ce qui réduit d’autant le montant des loyers. Pour une voiture, cette dernière mensualité élevée peut être “effacée” en utilisant son véhicule comme apport pour en racheter un nouveau. Une logique qui devrait être transposée dans le deux-roues.
Lucien va devoir en outre affronter la question de la seconde main, qui est le talon d’Achille du leasing vélo. Pour ne pas devoir le revendre, les loueurs espèrent que l’utilisateur reprendra son engin en fin de contrat en exerçant son option d’achat.
L’occasion aussi
Lucien va aussi miser sur la seconde main. La nouvelle chaîne envisage d’ouvrir ou de reprendre une enseigne centrée uniquement sur l’occasion afin de proposer ces vélos sur son site web. Cela permettrait un débouché pour les vélos de leasing en fin de contrat, ainsi que pour les exemplaires d’essai et les occasions récentes. Actuellement, les loueurs de vélos n’ont pas développé cette expertise existant dans l’automobile afin de s’assurer un prix de revente à peu près prévisible, notamment parce que l’état des vélos en fin de contrat est très incertain. “Nous pensons que nous aurons une meilleure vue sur la qualité des vélos grâce au service entretien de nos ateliers, augure Karl Lechat. Et cette solution nous paraît nécessaire pour insérer le deux-roues dans une économie circulaire.”
Du milieu au haut de gamme
Mais D’Ieteren importe des voitures, pas des vélos. Or, pour Lucien, il s’agit typiquement d’un rôle de détaillant, très différent de l’importation de véhicules. Une trentaine de marques seront distribuées par la nouvelle chaîne, comme Cube et Urban Arrow, des marques qui misent encore sur la vente chez des détaillants. Celles orientées vers la vente directe, en ligne, intéressent moins Lucien.
Le positionnement va du milieu au haut de gamme, annonce Karl Lechat: “Nous serons complémentaires avec Decathlon”, assure-t-il. L’enseigne française, leader dans notre pays, représenterait 30% du marché belge.
L’ambition est aussi de développer des relations avec les fabricants de vélos. “Habituellement, dans le secteur, les magasins ont des contrats pour se fournir sur une année, puis ceux-ci sont renégociés”, explique Karl Lechat qui utilisera la taille grandissante de la chaîne pour négocier des contrats pluriannuels.
L’après-vente
La dernière approche inspirée du modèle des concessions automobiles est l’après-vente, appelée à jouer un rôle important avec l’électrification. “Elle représente 50% de la rentabilité d’une concession, alors que pour les vélocistes, cela va actuellement de -5% à 10%.” Les magasins comporteront des accès séparés pour le show-room et l’après-vente.
Pourquoi des vélocistes comme Goodbikes acceptent-ils de s’intégrer dans une telle chaîne? “Il y a eu une grande réflexion sur le sujet, répond Giovanni Franzi, le fondateur de Goodbikes. Cela nous a paru judicieux parce que le métier est en train de changer. Rester vélociste avec un seul magasin va sans doute devenir plus difficile, sauf si l’on se spécialise dans une niche comme le vélo-cargo.”
6.000 euros
Le prix atteint par certains “speed pedelecs”
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