D’avocat d’affaires à CEO du groupe Blueberry, portrait de Stéphane Burton

© Alexis Haulot
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le CEO du groupe Blueberry cherche à faire oublier le traumatisme de la faillite de la Sabena pour relancer l’appétit, en Belgique, pour le transport aérien, le service et la fabrication aéronautique. Avec des succès prometteurs…

Stéphane Burton, 47 ans, a bouclé le rachat de la Sabca en formant le groupe Blueberry en pleine pandémie, en juin 2020. Cet ancien avocat d’affaires qui dirige Sabena Aerospace depuis plus de cinq ans a l’habitude des temps difficiles. “La crise touche surtout le secteur des vols passagers, dans lequel les opérations ont reculé de 70% à 80%, relève-t-il. La diversification du groupe Blueberry dans le cargo, la défense et le spatial ainsi que la coopération entre les filiales et départements devraient amortir ce recul à – 25%.” Avec une perte qu’il espère bien éviter en 2021.

Une heure dans les bois

Autant qu’il le peut, Stéphane Burton marche une heure dans les bois tous les matins. “Heureusement, je n’habite pas loin de la forêt, à Woluwe-Saint-Pierre. Me balader une heure me calme.” Il aimait la course à pied “mais je n’en fais plus à cause d’un souci au genou”. Il pratique beaucoup le tennis avec ses enfants, et le vélo. “On est aussi des fanas de ski, mais cette année, nous avons dû renoncer. J’aime également la voile.” Cela remonte à loin: quand il était adolescent, son père l’avait inscrit à un stage de voile organisé à la côte belge par une institution germanophone. “Pour que j’apprenne l’allemand. Je m’étais un peu fait avoir…”

La création du groupe Blueberry reste un moment symbolique, celui de l’intégration de son entreprise, Sabena Aerospace, spécialiste de la maintenance aéronautique, avec la Sabca, une ancienne filiale belge de Dassault, fabricant de pièces pour Airbus et pour la fusée Ariane, spécialiste de la maintenance des avions militaires F-16. “Soit 1.400 personnes au total”, précise Stéphane Burton. L’opération a été réalisée avec le soutien de la SFPI, le fonds d’investissement fédéral dirigé par Koen Van Loo, ravi de pouvoir ancrer la Sabca en Belgique dans un secteur stratégique. “Je viens même de racheter le nom Sabena à la curatelle, ajoute Stéphane Burton. C’est une grande marque, un grand nom, même si en Belgique c’est comme si on en avait parfois honte.”

Quand je me suis posé la question des études universitaires, j’ai hésité à suivre la même voie que mon père.

Ces derniers mois, le nom de Stéphane Burton se retrouve un peu partout dans l’aérien. Au conseil d’administration d’Air Belgium, où il est le seul privé à investir, avec le CEO Niky Terzakis. Ou à Liege Airport, où Renaud Witmeur, CEO de la Sogepa et directeur ad interim de Nethys, l’a invité à siéger comme administrateur (et vice-président). Le ministre Jean-Luc Crucke l’a aussi intégré au groupe de travail formé pour sauver l’aéroport de Charleroi, présidé par Gilles Samyn. Pourtant, Stéphane Dumont ne vient pas de l’aéronautique. Né à Villers-le-Bouillet (Huy), le monde des affaires l’a toujours intéressé. En 1991, il choisit d’étudier le droit à l’UCL. “Quand je me suis posé la question des études universitaires, j’ai hésité à suivre la même voie que mon père qui était ingénieur commercial Solvay, avait travaillé chez D’Ieteren, chez BP et dans le secteur bancaire. Il me disait que le droit serait une bonne voie car il avait ressenti dans sa vie professionnelle que c’était une compétence essentielle pour le business. Il me disait: “Tu vas étudier le droit, puis tu vas faire un MBA.” Stéphane suit ce conseil mais, hélas, Paul Burton, décédé pendant ses premières années universitaires, ne verra pas décoller la carrière trépidante de son fils. “Mon père parlait six langues. Il disait que les langues, c’est une question de volonté”, se souvient-il. L’acharnement de son père à le rendre polyglotte l’a formidablement aidé. Stéphane parle allemand, néerlandais et anglais. Il a retenu la leçon pour ses quatre enfants, âgés de 8 à 16 ans.

Stéphane Burton fut un étudiant très actif. “J’ai même fait trois baptêmes”, reconnaît-il. En droit, mais aussi en math, en physique “car c’était comique”. Il sera cantor primus. “C’était la liberté. Avant, je sortais de chez les Jésuites à Liège et je rentrais sagement chez papa-maman. Le deal avec mon père était le suivant: “Tu réussis fort, et alors tu peux faire la fête”. Et j’ai réussi une bonne première candi… Stéphane n’était pas le plus assidu mais appréciait les cours de Philippe Maystadt, en économie, ou de Francis Delpérée, en droit constitutionnel. Durant ses études, il fondera un kot à projet, le Mediakot, consacré à la communication. “Nous invitions des politiques à venir débattre. C’est comme ça que j’ai connu Jacky Morael et Jacques Simonet.” Il s’occupe très activement du journal étudiant de la Faculté de droit, Le Bègue, auquel participait notamment Alexia Autenne, actuellement professeure de droit et administratrice générale de l’UCLouvain.

D'avocat d'affaires à CEO du groupe Blueberry, portrait de Stéphane Burton

Il part ensuite en Erasmus à Berlin, à la fameuse université Humboldt dans l’ex-Berlin-Est. La formation qui semble l’avoir le plus impressionné est celle en droit social, économique et financier qu’il a suivie à l’UGent. “Nous avions cours avec Willy Van Eeckhoutte, un des avocats les plus brillants de sa génération, qui était également l’un des 16 avocats à la Cour de Cassation.”

Stéphane Burton démarre ensuite une belle carrière d’avocat chez Stibbe, à Bruxelles. “J’ai eu la chance de faire beaucoup de négociations, d’accompagnement de clients, mais tous les six mois, on change d’affaires. Ma frustration était de me limiter à donner des conseils, pas de construire dans le temps.” Avec le recul, il fait aussi son mea culpa: “J’ai fait partie de cette génération qui se croyait super intelligente en participant à un mouvement de désinvestissement dans notre industrie”.

Entre pairs

Stéphane Burton aime rencontrer d’autres entrepreneurs dans une association internationale, YPO, dont il préside cette année le chapitre belge. “Elle compte plus de 28.000 chefs d’entreprise dans le monde et a été créée après la Seconde Guerre mondiale par ces enfants qui se sont retrouvés à gérer l’entreprise familiale parce que leur père était mort durant le conflit.” L’association compte un tiers d’entrepreneurs CEO et actionnaires, un tiers de family business et un tiers de managers professionnels qui ne sont pas actionnaires de l’entreprise dirigée. Stéphane Burton y rencontre Bernard Delvaux (Sonaca), François Blondel (KitoZyme) et Didier Engels (Engels Windows & Doors). “Ce n’est pas un club d’affaires. Il permet de parler et d’échanger avec des pairs qui ne sont pas votre actionnaire, votre collaborateur, votre banquier, votre fournisseur ou votre client. Qui prennent du temps pour vous écouter et échanger, à condition que vous en fassiez de même en toute confidentialité et de manière bienveillante.”

La faillite de la Sabena lui met le pied à l’étrier. Le curateur de la compagnie, Christian Van Buggenhout, a attendu le bon moment pour vendre en 2005 la filiale maintenance de la compagnie belge, Sabena Technics, à TAT, un groupe français de services aéronautiques. Il prend à part Stéphane Burton, avocat de l’acheteur français, et lui dit: “J’ai l’impression qu’il faudra que tu les aides.” Bien vu: à peine acquis par TAT, Sabena Technics part en grève et l’avocat belge est appelé pour arranger les bidons. Le patron de la division Maintenance du groupe TAT, Christophe Bernardini, finit par s’attacher au jeune avocat et le place en 2007 à la direction d’un groupe international (3.300 collaborateurs) qui reprend le nom de Sabena Technics. Il y sera successivement secrétaire général, administrateur de filiales, membre du directoire et participera au développement international en Russie, aux Etats-Unis et en Asie.

Comme le marché aérien, sa carrière est mouvementée. Quand la crise de 2008 arrive, Stéphane Burton refuse tout net la mise en faillite de la filiale belge. Il parvient à la redresser. Le patron et fondateur du groupe TAT, Michel Marchais, a été interloqué par son opposition à la faillite. “Six ans plus tard, lorsque j’ai racheté les filiales belges, il m’a fait un fameux compliment en me disant que c’était la première fois qu’il avait un entrepreneur ayant grandi dans les rangs du groupe.” Lorsque TAT choisit de réduire son activité de maintenance, Stéphane Burton négocie la reprise à son compte de Sabena Technics Belgique, rebaptisée Sabena Aerospace. Sans le levier d’un private equity. “Cela aurait signifié revendre cinq ou six ans plus tard, pas question.” Il se démène pour rentabiliser l’entreprise en développant des postes de maintenance en Afrique et, plus tard, se lancer dans la maintenance militaire. En 2015, la SFPI entre au capital de Sabena Aerospace.

Quand la Sabca, dirigée par Thibauld Jongen, est à vendre, il se met sur les rangs, avec la SFPI. Ce n’est peut-être qu’un début. “J’espère que l’on pourra développer la collaboration dans l’industrie belge. Cela ne marche, hélas, pas aussi bien ici qu’en France ou aux Pays-Bas, regrette-t-il. Enfin, on essaie. J’ai de bonnes relations avec Bernard Delvaux à la Sonaca (les deux groupes échangent du personnel), Christian Boas chez Asco, Arnaud Feist à Brussels Airport.” Le nouveau groupe est devenu un peu familial car l’épouse de de Stéphane Burton, Isalyne Michel, a rejoint le conseil d’administration du holding familial et le groupe “pour participer à la consolidation”, à la direction commerciale de Sabena Aerospace, après avoir travaillé dans le marketing, le commercial, la business transformation et le general management pour Lu-Danone, Nestlé Belgilux et MSD.

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