Paul Vacca

Crise du coronavirus: “Virus et viralités”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On aurait bien voulu cette semaine parler d’autre chose, s’offrir une récréation, proposer au lecteur une bouffée d’oxygène face à cette actualité ô combien anxiogène, ouvrir une fenêtre dans ce qui ressemble aussi à un confinement dans un seul et unique sujet, omniprésent et entêtant : le coronavirus.

Sauf qu’au moment où l’on rédige cette chronique, parler d’autre chose semble subitement hors sujet, hors-sol, presque une désertion. C’est que le virus – en tant que sujet d’information – constitue un sujet inévitable. A sa manière, il est une sorte de winner takes all à l’instar de ces géants monopolistiques du numérique, omniprésents et au coeur de nos vies privées, partageant les mêmes modes d’expansion mondialisés. Touchant à la fois à la géopolitique mondiale et aux bouleversements intimes, aux questions d’Etats et d’états d’âme.

Dimanche soir dernier, la télévision française nous a offert un exemple de cette manière dont le virus a imposé son agenda à tous. Une véritable contamination. Alors que les chaînes se préparaient au sacro-saint et immuable dispositif d’élections municipales avec dépouillement des résultats, invités politiques et chroniqueurs, le sujet du coronavirus a agi comme un virus informatique, un bug. Il a complètement déréglé le dispositif et ce furent les médecins que l’on écoutait attentivement alors que les discours politiques des uns et des autres apparaissaient – encore plus que d’habitude – comme de la cuisine interne et de la langue de bois. En temps normal, on avoue apprécier, à doses homéopathiques toutefois, ces rendez-vous de small talks politiques, un mixte entre le café du commerce, l’exercice rhétorique et le divertissement de téléréalité. Là, c’était tout simplement incongru et de fait parfaitement inaudible. Même les résultats électoraux eux-mêmes, qui s’égrenaient sur la frise, ressemblaient à une suite de chiffres d’un Loto dont on n’aurait rempli aucune grille. Notre attention se retrouvait soudainement happée lorsque les médecins faisaient un point sur le virus mais accusait de nouveau une forte chute lorsque les politiques, a priori au centre du dispositif, reprenaient la parole. Le virus avait parasité la soirée…

On constate la même infiltration du virus sur les réseaux sociaux où il s’invite également en parasite winner takes all. Là aussi, impossible d’y échapper au point que les statuts ou commentaires qui ne traitent pas du sujet apparaissent là encore hors contexte tels des spams. D’autant que certains auteurs de statuts hors sujet, s’excusant parfois d’être dérisoires et hors sujet, s’y rattachent par là même aussi…

Il faut dire que sur les réseaux sociaux, le virus, c’est le client idéal à la viralité. Il mute à son aise dans cet écosystème à la fois mondialisé et intime, empruntant toutes les formes de viralisations : des informations en temps réel sur les développements de la pandémie, des points de vue et interviews d’experts, des diagrammes en tous genres, des échanges sociaux autour du confinement avec des listes de livres à lire ou de films à voir, des échanges de conseils sur la garde des enfants à la maison ou sur le télétravail… Mais aussi, sans qu’on puisse vraiment faire le tri, une avalanche d’avis d’experts autoproclamés, d’imprécations aux gouvernements, de fake news et de polémiques politiques ou éthiques, sans oublier les cortèges d’indignations devant les rayons vides des supermarchés ou les caddies remplis de papier-toilette ou de lieux publics bondés faisant fi de la ” distanciation sociale “. Alors que les blagues sur la bière Corona refluent. Comme tout virus – et contenu viral – il se révèle incontrôlable.

Mais c’est aussi parce que nous-mêmes, en ces périodes en particulier, sommes plus particulièrement sensibles – addicts – aux virus que distillent les réseaux sociaux. Au point d’expérimenter ces temps-ci un double confinement : à celui physique et contraint s’ajoute celui sur les réseaux sociaux autour d’une même thématique. Avec une boucle sans fin, déjà identifiée dans les études à propos des réseaux sociaux pourvoyeurs conjointement d’angoisse et de soulagement, sans que l’on puisse déterminer précisément le moment où ils nous angoissent et celui où ils nous soulagent. Un peu à l’image du pharmakon des Anciens qui avait cette capacité d’être à la fois le poison et le remède.

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