Comment Telenet s’attaque au marché francophone

John PorteR, patron de Telenet, distribuant des gaufres à deux pas de la Grand-Place, en novembre dernier, pour promouvoir l'image de sa société auprès des Bruxellois. © pg

L’opérateur flamand lance une grande offensive promotionnelle sur Bruxelles, où Telenet est désormais disponible dans les deux tiers des communes. En Wallonie, l’entreprise mise sur des partenariats professionnels, comme avec l’aéroport de Charleroi. L’opération séduction a débuté pour les clients francophones. Mais elle a ses limites.

Telenet a des vues sur le marché francophone. Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’offensive de charme que l’opérateur vient de lancer à destination des Bruxellois. Dans les communes où Telenet est présent, l’entreprise propose un rabais inédit à ses nouveaux clients : un pack triple play (Internet, TV, téléphone fixe) ou même quadruple play (avec la téléphonie mobile) pour 30 euros par mois. On se croirait en France ! Bien sûr, l’offre n’est pas illimitée : elle ne court que sur cinq mois. Après quoi, le client retrouve des tarifs beaucoup plus ” belges “. Mais elle démontre la volonté de Telenet de s’imposer sur le marché bruxellois, où l’opérateur fait encore figure de nouveau venu.

Migration accélérée

Telenet a fortement augmenté sa présence dans la capitale depuis l’acquisition de l’opérateur SFR BeLux (ex-Numericable) conclue fin 2016, pour 400 millions d’euros. Depuis, sa couverture est passée de 7 à 13 communes, dont de gros morceaux comme Bruxelles-Ville et Molenbeek-Saint-Jean. Mais dans ces communes nouvellement couvertes, la marque SFR a subsisté jusqu’il y a peu.

La migration des clients SFR vers Telenet ne s’est accélérée qu’au cours de ces derniers mois. Non sans mal. A cette occasion, les clients doivent en effet changer de matériel (décodeur, modem, etc.), ce qui peut impliquer le passage d’un technicien. Certains clients en ont profité pour passer à la concurrence (Proximus, Orange).

Sur le mobile, c’est jouable, Telenet peut être compétitif en Wallonie. Pour le reste, l’opérateur se heurte à Proximus et Voo, qui jouent la carte des offres convergentes.” Stefaan Genoe, analyste spécialisé chez Degroof-Petercam

Même si elle permet d’imposer un peu plus la marque Telenet sur le marché bruxellois, cette migration n’est pas (à court terme) une bonne opération pour l’opérateur basé à Malines. Sur les neuf premiers mois de 2018, Telenet affiche un déclin de 20.000 abonnés triple play sur l’ensemble du pays (- 2%). Une évolution négative que l’opérateur explique notamment par ” un taux plus élevé de désabonnements dans la zone de couverture SFR acquise à Bruxelles dans le contexte de la migration accélérée des clients “.

Cette perte sèche de clients est un coup dur pour un acteur qui espérait capitaliser sur la base d’abonnés intégrée automatiquement dans sa clientèle suite au rachat du pôle belgo-luxembourgeois de SFR (propriété d’Altice, dirigée par le Français Patrick Drahi). Cette déconvenue explique en partie la nouvelle offensive de Telenet dans la capitale. Une opération au cours de laquelle le CEO, l’Australien John Porter, n’a pas hésité à mettre la main à la pâte, distribuant des gaufres à deux pas de la Grand-Place, pour promouvoir l’image de sa société auprès des Bruxellois.

A l’étroit en Flandre

Le marché francophone revêt une importance stratégique pour un opérateur qui se sent à l’étroit dans son pré carré. Détenu aujourd’hui par le groupe américain Liberty Global, Telenet s’est développé à partir des intercommunales flamandes de télédistribution. Sur le marché résidentiel du nord du pays, le câblo-opérateur est l’acteur dominant. Ce qui est loin d’être le cas à Bruxelles et encore moins en Wallonie, où les dernières statistiques de l’IBPT (le régulateurs des télécoms) ne le mentionnent même pas, faute d’une empreinte géographique suffisante .

Malgré cette faible emprise sur la partie francophone du pays, Telenet se plaît à souligner que ses investissements en Wallonie, fixe et mobile confondus, totalisent 70 millions d’euros depuis 2016. Et l’opérateur revendique déjà 600.000 clients francophones ! Ces derniers se répartissent équitablement entre Bruxelles et la Wallonie, a révélé l’opérateur à nos confrères de La Libre. Ce n’est évidemment pas négligeable. Mais il faut savoir que ce chiffre intègre ses clients “mobile”, qui représentent le gros des troupes. Depuis le rachat de Base, Telenet peut revendiquer une véritable couverture nationale.

Martine Tempels,
Martine Tempels, ” senior vice president ” de Telenet Business© pg

Réseau fixe lacunaire

Par contre, son réseau fixe est lacunaire. A Bruxelles, cinq communes, occupées par Brutélé, lui résistent encore. Mettre la main sur leur réseau permettrait à Telenet de proposer une offre unique à tous les Bruxellois, mais aussi de renforcer sa présence en Wallonie, où l’opérateur flamand n’a qu’une petite implantation, dans sept communes de la ” botte du Hainaut ” (Chimay, Couvin, etc). Avec Brutélé dans son escarcelle, Telenet s’implanterait dans une grande ville, Charleroi, et une vingtaine d’autres communes wallonnes. L’entreprise de John Porter a déposé une offre sur la table, tournant autour des 300 millions d’euros.

Même si plusieurs communes bruxelloises ont manifesté la volonté claire de vendre, aucune décision n’a encore été prise. Il faut dire qu’il y a un fameux hic : Brutélé est actuellement dans le giron de Voo, et donc fortement imbriquée dans la stratégie commerciale et les choix techniques du câblo-opérateur wallon. Pour compliquer les choses, Voo est une marque pilotée par Nethys, la société chapeautée par l’intercommunale liégeoise Publifin (nouvellement baptisée Enodia), toujours empêtrée dans un scandale de gouvernance politique qui semble inextricable.

En ligne avec sa stratégie de conquête du marché francophone, Telenet a déposé une offre auprès de Nethys pour racheter Voo. John Porter est prêt à débourser 1,3 milliard d’euros pour devenir le maître du câble wallon. Mais les dirigeants de Nethys ont jusqu’à présent toujours indiqué qu’ils n’étaient pas vendeurs. Le projet de scission de Nethys entre ses différents pôles d’activité (énergie/télécoms/assurance/presse) changera peut-être la donne ( lire en page 44). Mais rien n’est moins sûr.

En attendant, Telenet semble avoir rangé son offre au placard. En août dernier, l’opérateur a annoncé le versement d’un dividende exceptionnel à ses actionnaires (5,2 euros par action). Il a expliqué ce choix par ” l’absence d’opportunités significatives de fusions et acquisitions à court terme “. Lassés des refus de Voo, les dirigeants de Telenet ont préféré gâter leurs actionnaires.

Réseau mobile national

Mais ils n’ont pas pour autant laissé toutes leurs ambitions au vestiaire. Le marché francophone reste un objectif stratégique : ” Si Telenet peut se profiler comme opérateur national, c’est grâce au réseau mobile de Base, pointe Stefaan Genoe, analyste spécialisé en télécoms chez Degroof-Petercam. Donc sur le mobile, c’est jouable, Telenet peut être compétitif en Wallonie. Pour le reste, l’opérateur se heurte à Proximus et Voo, qui jouent la carte des offres convergentes “. Les opérateurs mobile only (centrés sur le mobile), comme Telenet en Wallonie ou Orange sur l’ensemble du pays, sont dépendants des réseaux de leurs concurrents s’ils veulent proposer des formules triple play ou quadruple play à leurs abonnés. C’est ainsi qu’Orange a profité de l’ouverture du câble à la concurrence pour lancer une offre télévision. La formule intégrée ” Orange Love ” a dépassé les 150.000 clients dans le pays, ce qui est déjà une belle performance.

Nous sommes très actifs sur la capitale : c’est notre priorité pour le marché francophone. Nous visons 10 % de parts de marché d’ici trois ans “. Martine Tempels,” senior vice president ” de Telenet Business

Telenet, qui compte 1,16 million de clients triple play, vise évidemment beaucoup plus haut. L’opérateur flamand n’a – pour l’instant – pas marqué d’intérêt pour le déploiement d’une offre dans le sud du pays via une ” location ” de l’infrastructure du câblo-opérateur Voo. C’est une solution techniquement possible, mais difficile à rentabiliser, en raison justement de ces coûts de location.

Une autre solution évoquée un temps par certains opérateurs (à l’époque Mobistar, ex-Orange) est l’utilisation des nouvelles capacités techniques des réseaux mobiles, pour proposer une offre complète intégrant l’Internet et la télévision. Mais l’arrivée de la future 5G ne semble pas fournir une qualité satisfaisante pour ce type de produit : ” La 5G peut être utilisée dans certains cas particuliers, mais elle ne peut pas remplacer un réseau de fibre optique “, souligne Stefaan Genoe (Degroof-Petercam).

600 km de fibre optique

C’est peu connu, mais Telenet possède justement un réseau de fibre optique en Région wallonne. Ces 600 kilomètres de fibre ont été intégrés en 2003 lors du rachat de l’entreprise Codenet. ” Ce réseau couvre le triangle Charleroi-Namur-Liège, et descend jusqu’au Luxembourg. Il sert de backbone ( coeur de réseau, Ndlr) pour une partie de notre réseau mobile et il nous permet de servir certains de nos clients business “, explique Martine Tempels, senior vice president de Telenet, en charge du marché professionnel.

Ce réseau de fibre optique a été mis à profit dans le cadre du partenariat que Telenet vient de signer avec l’aéroport de Charleroi. Telenet fournit l’infrastructure mobile et y ajoute une série de solutions focalisées sur l’Internet des objets. Celles-ci seront déployées par des start-up ayant transité par le centre d’innovation de l’opérateur. Un outil de parking intelligent va être créé pour guider les voyageurs plus efficacement, grâce à un système automatisé de reconnaissance des plaques d’immatriculation. La gestion des flux de passagers sera également optimisée via une application permettant de suivre les déplacements des visiteurs connectés au wifi de l’aéroport.

Ce partenariat avec l’aéroport de Charleroi est-il le premier d’une longue série ? ” Pour la Wallonie, nous nous focalisons sur les grandes entreprises, explique Martine Tempels. Nous équipons déjà les antennes locales de nos clients nationaux comme Axa, CBC ou Record Bank (ING). ” Une bonne partie des gros clients de Telenet proviennent du portefeuille de Nextel, un intégrateur de solutions que l’opérateur a racheté cette année pour renforcer son activité ” business “.

Comment Telenet s'attaque au marché francophone

Proximus, difficile à détrôner

Sur ce segment, la concurrence est rude. Le numéro un incontesté de la fourniture de services télécoms à destination des entreprises n’est autre que Proximus. Sa part de marché se situe entre 70 % et 80 % au niveau national (chiffres IBPT, 2017). Telenet est son premier challenger avec environ 22 % de parts de marché. ” L’essentiel de notre marché est situé en Flandre, indique Martine Tempels. Mais nous sommes très actifs sur la capitale : c’est notre priorité pour le marché francophone. Nous visons 10 % de parts de marché sur Bruxelles d’ici trois ans “.

A Bruxelles, Telenet cible plus particulièrement les petites entreprises. Les secteurs prioritaires sont l’horeca et les services, notamment les médecins, les notaires ou encore les avocats. Encore plus que sur le marché résidentiel, Telenet souffre à Bruxelles d’un déficit de notoriété : ” Les clients n’ont pas d’avis négatif ni positif sur nous. Ils ne connaissent tout simplement pas Telenet “, remarque Martine Tempels.

Pour approcher ce marché très disparate des petites entreprises et des indépendants bruxellois, Telenet a besoin de vendeurs. L’opérateur met à contribution les équipes locales de Base. Mais ce n’est pas suffisant : ” Nous avons du mal à recruter, que ce soient des profils commerciaux ou des profils IT. C’est un vrai frein pour le business, alors que le chômage des jeunes atteint des records dans certains quartiers “, regrette Martine Tempels, qui est à l’origine du projet CoderDojo, une initiative visant à éveiller les plus jeunes au numérique.

Dans son plan pour le marché francophone, Martine Tempels ne veut pas mettre la charrue avant les boeufs . ” Nous devons d’abord bien comprendre le marché bruxellois, dit-elle. Nous y bénéficions dans deux tiers des communes d’un atout majeur : le réseau fixe, qui nous permet d’attaquer le marché avec notre core product (produit de base, Ndlr), l’Internet. Ensuite, nous verrons ce que nous pouvons faire dans le sud du pays. Mais un réseau fixe est crucial pour percer en Wallonie. Un réseau mobile n’est pas suffisant. ” On y revient.

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