Comment Proximus met la pression sur Telenet et Voo avec sa fibre optique
Partout, des travaux d’excavation, de forage et de soudage sont effectués afin d’installer des connexions en fibre optique dans les foyers. Proximus et deux autres investisseurs y consacrent quelque 5 milliards d’euros. La connexion coaxiale rapide du leader du marché Telenet sera donc rejointe par un adversaire redoutable. La fibre optique va considérablement redistribuer les cartes sur le marché des télécommunications.
Avant de plonger dans la course à l’internet super rapide, nous devons parler un peu des électrons et des particules élémentaires. Pour envoyer et recevoir des données, nous nous fions davantage à la rapidité de la lumière qu’au courant électrique. Les signaux électriques qui passent par un fil téléphonique en cuivre ou même par un câble de télévision coaxial, plus rapide, ne sont pas à la hauteur d’un faisceau laser passant par un câble en fibre de verre sur une longue distance. En outre, il n’est pas affecté par les rayonnements électromagnétiques perturbateurs. Les opérateurs de télécommunications le savent depuis longtemps. C’est pourquoi, au cours des dernières décennies, ils ont déjà converti des parties importantes de leur réseau en câbles à fibres optiques. Pour la partie la plus difficile, du dernier point du réseau jusqu’au raccordement au domicile, les opérateurs ont essayé de tirer le maximum des câbles existants. Avec succès, car année après année, la vitesse et la bande passante de nos réseaux ont augmenté. Telenet peut même offrir des vitesses allant jusqu’à 1 gigabit par seconde partout en Flandre via le câble TV. Proximus, à l’origine l’opérateur du réseau téléphonique belge, doit se contenter d’un maximum de 100 mégabits par seconde, soit 10 fois moins rapide. Un câble téléphonique se heurte plus rapidement aux limites qu’un câble coaxial.
Pour combler l’écart avec Telenet et son homologue francophone Voo, bientôt propriété d’Orange, Proximus fait donc le saut vers un réseau entièrement en fibre optique. Si la connexion du dernier kilomètre jusqu’au domicile se fait également par fibre optique, elle peut offrir des vitesses de 1 gigabit par seconde, voire beaucoup plus. Toutefois, le prix à payer est énorme : plus de 5 milliards d’euros. Cela en fait le plus gros investissement privé dans les infrastructures en Belgique. Proximus était donc à la recherche de deux partenaires pour deux joint ventures. Avec le fonds d’investissement suédois EQT, l’opérateur a créé Fiberklaar, et avec le spécialiste des fibres de verre Eurofiber, il a lancé Unifiber. Fiberklaar en Flandre et Unifiber en Wallonie doivent contribuer à accélérer considérablement le déploiement de la fibre optique. Ils doivent contribuer à ce qu’au moins 4,2 millions de foyers belges, soit 70 % du nombre de foyers, disposent d’une connexion en fibre optique d’ici 2028.
“Tous ces foyers sont situés dans ce que nous appelons les zones A et B”, explique Rik Missault, le PDG de Fiberklaar. Il a passé une grande partie de sa carrière à travailler pour Alcatel-Lucent, et connaît donc bien les infrastructures de télécommunications. “Les zones A, les centres des grandes villes, sont réalisées par Proximus elle-même. Les joint ventures se concentrent sur les communes un peu moins densément peuplées, les zones B. Dans ces régions, il est encore financièrement possible de construire un réseau sans subventions. Les zones rurales C ne sont pas encore à l’ordre du jour. Là, nous aurons besoin du soutien du gouvernement. Le programme “Fibre-ready” a été lancé dans une vingtaine de communes et d’arrondissements. Nous le faisons à partir du moment où 20 % des ménages de la région souhaitent souscrire un abonnement à la fibre optique auprès de l’un des opérateurs de télécommunications participants. Cela s’est toujours bien passé, il y a beaucoup d’intérêt. Pendant cette période de démarrage, nous raccordons gratuitement tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas encore souscrit un nouvel abonnement à la fibre optique. Juste pour être clair : Fibermade ne propose pas d’abonnements. Nous nous chargeons de l’installation et de la gestion du réseau et l’ouvrons à tous les opérateurs intéressés. Ils nous versent un montant fixe. Il en va de même pour chaque joueur de télécom. Il s’agit d’un réseau ouvert où les opérateurs déterminent eux-mêmes les vitesses et les services qu’ils proposent.”
Rik Missault espère fournir la fibre optique à 150 000 foyers cette année avec Fibre Ready. Ce chiffre devrait doubler d’ici 2023. “Pour 2022, nous avons déjà engagé suffisamment de contractants dans les infrastructures de télécommunications. Ce sont à peu près tous les joueurs de la Belgique. Nous devrons également nous tourner vers l’étranger, car nous voulons accélérer. Les sous-traitants auront besoin de plus de mille employés pour mener à bien nos projets. En raison de la pénurie sur le marché du travail, j’ai entendu dire qu’ils essayaient même de recruter des techniciens jusqu’en Europe de l’Est. Pour la fibre optique, il faut non seulement effectuer les travaux traditionnels de creusement et d’installation, mais aussi souder les fils de la fibre optique. C’est un travail très délicat. Pendant la phase de construction, Fibre ready devrait compter quelque 125 employés. Nous nous sommes principalement concentrés sur la conception et la gestion du réseau, la commercialisation et la supervision des projets.”
Autre architecture
En plus de sa participation à Fibre Ready, Proximus déploie également sa propre fibre optique dans les grandes villes. Fait remarquable, elle opte pour une architecture différente, semblable à celle de son principal concurrent, Telenet. Elle place également les câbles et les armoires en surface, sur les façades. Et il permet à plusieurs foyers de partager le même câble à fibres optiques. Avec Fibre Ready, chaque foyer dispose de son propre câble jusqu’à la première boîte de distribution. Ces dernières années, Telenet a dû réaliser des investissements supplémentaires pour éviter la saturation de son réseau, notamment en réduisant le nombre de clients par segment de réseau. Proximus risque-t-elle de construire un réseau moins robuste par souci d’économie et de devoir investir encore plus dans ce réseau par la suite ?
“Il n’y aura pas de différence de qualité notable si vous surfez via le réseau Fiberklaar ou via le réseau Proximus”, réfute Guillaume Guévar. Il est responsable de tout ce qui concerne la fibre optique chez Proximus. “La technologie GPON que nous utilisons pour envoyer et recevoir des données a encore beaucoup de marge et une nouvelle norme arrive qui nous permettra d’offrir des multiples de 10 gigabits par seconde. Notre réseau est également structuré de telle manière que nous pouvons facilement diviser les segments s’il y a une menace de saturation quelque part. Mais je ne m’attends pas à ce que cela se produise immédiatement. Dans la phase de démarrage, tous les foyers disposant d’un raccordement à la fibre optique ne prendront pas soudainement un abonnement à la fibre. C’est pourquoi il y a une capacité supplémentaire. En outre, chaque ménage a un usage différent. Les pics d’utilisation ne sont donc pas synchrones. La décision de permettre à plusieurs connexions de circuler plus rapidement sur un seul câble et la décision de poser les câbles le long de la façade sont purement dictées par la densité des habitations où nous posons actuellement des câbles à fibres optiques. Nous pouvons connecter les gens beaucoup plus rapidement et avec beaucoup moins de perturbations. Les câbles sont moins épais et nous avons fait en sorte que nos boîtes sur la façade soient aussi petites et attrayantes que possible. Si nous nous déplaçons progressivement vers des zones moins densément peuplées, nous irons davantage sous terre et les avantages de la technologie GPON disparaîtront alors en partie. Mais cela ne fera aucune différence pour l’utilisateur.”
Les inondations en Wallonie Proximus se concentre sur les grands centres urbains, dans 36 desquels elle travaille déjà. Mais elle ne laisse pas le reste aux entreprises communes. “Fibre ready et Unifiber sont des entreprises autonomes. Proximus est actionnaire et je siège au conseil d’administration de Fiberklaar, mais les coentreprises déterminent leur propre stratégie”, explique M. Guévar. “Proximus ne se concentre pas uniquement sur les noyaux les plus denses, et Fiberklaar n’est pas en reste. A Sint-Niklaas, nous faisons chacun une partie de la ville. Proximus pose également des connexions en fibre optique pour un nouveau lotissement ou un grand projet d’appartement qui se situe en dehors de notre champ d’action actuel. Les inondations en Wallonie ont quelque peu modifié nos plans. À Pepinster, nous devons remplacer tout le réseau téléphonique. Nous le faisons directement avec la fibre optique. Avec Fiberklaar et Unifiber, nous travaillons dans une dizaine de villes, et des dizaines d’autres sont à venir. Il s’agit d’une opération de grande envergure, qui nous oblige à mobiliser quelques milliers de personnes, tant en interne que par le biais de nos sous-traitants. Mais c’est la seule façon d’accélérer. Proximus veut atteindre sa vitesse de croisière en 2023. À partir de là, avec nos partenaires, nous serons en mesure de fournir la fibre optique à environ 10 % de tous les foyers belges chaque année.”
La pression sur Telenet
D’ici 2028, Proximus pourrait être en mesure d’offrir à 70 % des ménages belges un abonnement à l’internet ultrarapide et la télévision numérique avec une meilleure qualité d’image. Pour la Flandre, il s’agira certainement d’une petite révolution. Au cours des dernières décennies, Proximus n’a jamais été en mesure d’offrir la même qualité que le leader du marché, Telenet, en raison de sa dépendance à l’égard de la connexion téléphonique plus lente. Par conséquent, Telenet occupe une position confortable. Elle compte 1,7 million de clients qui prennent un abonnement à l’internet fixe. Sa part de marché de 60 % est bien plus importante que ce chiffre. Presque tous les foyers en Flandre sont équipés d’une connexion TV. Telenet a donc converti six connexions TV sur dix en clients. Cela génère toutes sortes de gains d’efficacité. Proximus commencera par son propre réseau de fibres optiques avec une couverture beaucoup plus réduite et les coentreprises ne pourront probablement elles aussi convertir qu’une minorité. Tous ces milliards pour la fibre optique ne donneront donc pas un rendement immédiat, mais cela ne décourage pas Proximus.
“La fibre optique nécessite d’énormes investissements, c’est pourquoi nous ne pouvons pas proposer un abonnement à bas prix”, explique M. Guévar, “mais pour l’offre premium, et certainement en combinaison avec nos services mobiles et de télévision, nous pouvons nous positionner comme un acteur moins cher. Nous voulons au moins rééquilibrer le marché flamand des télécommunications. Et n’oubliez pas que la fibre optique est un réseau ouvert. Nous avons déjà des accords de coopération avec 32 petits opérateurs qui utiliseront notre réseau. Nous allons vivre des moments très excitants.”
Des revenus stables
Quelle que soit l’issue de la bataille entre Telenet et Proximus dans les années à venir, le marché flamand des télécommunications sera profondément redessiné. On ne sait pas encore qui contrôlera le réseau Fiberklaar à long terme. Proximus détient 49 % de Fiberklaar, le fonds d’investissement suédois EQT un peu plus de 50 %. Une fois que le réseau en fibre optique sera pleinement en place, EQT pourrait rapidement se retirer. “Cette probabilitée est réelle”, déclare Rik Missault, le PDG de Fiberklaar. “Dans six à sept ans, la construction sera terminée et EQT ne se concentre pas vraiment sur la gestion des réseaux de fibre optique. Des transactions similaires ont déjà eu lieu sur le marché de la fibre optique aux Pays-Bas. Je pense que ce marché sera également bien vivant chez nous. La stabilité des revenus intéressera certainement aussi les parties belges. Il est encore trop tôt pour dire quoi que ce soit de concret, si ce n’est que nous espérons avoir des actionnaires qui pensent à long terme, qui nous soutiennent dans notre mission d’offrir un réseau de très haute qualité à un prix compétitif.”
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