Comment le Club Med a géré les révolutions arabes

Pour le secteur touristique, le printemps arabe pèse moins lourd que les cendres du volcan islandais. En revanche, la gestion des révolutions est révélatrice de la performance d’un voyagiste. Zoom sur la marque au trident.

La crise semble devenir la norme dans le secteur touristique. Non pas que le tourisme soit une activité à risques, mais il reste très réactif à toute crise qui pourrait venir perturber son cadre de fonctionnement. En une décennie, les voyagistes ont, par ricochet, tout connu ou presque : attentats, tsunami, grippe aviaire, crise financière, volcan islandais et printemps arabe. Si bien que la gestion des crises est devenue un savoir-faire stratégique pour une destination touristique comme pour le voyagiste.

Existe-t-il dès lors un “apprentissage” de la crise ou chacune d’elle est-elle unique et donc sans “modèle” pour la gérer ? Par son rayonnement géographique et son histoire, le Club Med a intégré et élargi sa notion de gestion des crises au-delà de la gestion “pendant” la crise. L'”avant” et l'”après” sont aussi pris en compte. Un manuel de gestion de crise est d’ailleurs bien en place dans chaque filiale du groupe.

Au Club Med Belux, le directeur Philippe Mahouin s’est plongé à foison dans ce recueil des bonnes pratiques : “Cela permet d’encaisser la crise de façon très professionnelle et de mobiliser les équipes de la manière la moins stressante possible, pointe-t-il avant de remettre la révolution de Jasmin et la révolution Tahrir dans leur contexte. Lorsqu’on parle de crise et de prévention de crise, nous faisons appel à la notion de risque pays, et nous gardons à l’oeil les indicateurs qui influencent cette notion de risque par pays. Cependant, si le risque économique est mesurable, le risque politique lié aux composantes culturelles, sociales et religieuses est plus difficile à cerner. Quant aux risques naturels, ils sont évidemment aléatoires.”

Un Belge sur 10 aux pays des Pharaons

Destinations privilégiées par les “gentils membres” du Club Med, la Tunisie et l’Egypte attirent respectivement 6.000 et 10.000 vacanciers. Plus encore que la Tunisie, l’Egypte est une destination touristique majeure pour le groupe : “C’est la destination n° 1 pour les Belges en hiver puisqu’un client sur 10 s’envole vers la mer Rouge”, confirme Philippe Mahouin. Les événements de la place Tahrir sont donc tombés d’autant plus mal que le Club Med venait d’inaugurer, en décembre, son nouvel écrin haut de gamme à Sinai Bay. Un investissement de plus de 55 millions d’euros. “En vitesse de croisière, le village de Sinai Bay contribuera à hauteur de 5 % du chiffre d’affaires du Club Med”, précisait Henri Giscard d’Estaing, PDG de la marque au trident, lors de la cérémonie d’inauguration.

Autrefois sur le pied de guerre lorsque le tsunami avait frappé la Thaïlande, le directeur du Club Med Belux mesure l’impact du printemps arabe : “C’est un coup de frein sur nos réservations hivernales qui jusqu’alors étaient très positives, regrette-t-il. Toutefois, nous n’avons pas encore chiffré le manque à gagner engendré par les rapatriements et la fermeture de nos sites en Tunisie et en Egypte. Tout simplement parce qu’il dépendra de plusieurs critères comme les coûts partagés ou les clients qui ont finalement postposé leur départ.”

Reste que, comme le confirme Philippe Mahouin, “la crise est un révélateur de la performance de l’organisation”. En effet, si une image de marque prend du temps pour s’imposer, elle peut rapidement et durablement se détériorer si elle est frappée dans ses fondements : la sécurité des biens et des personnes, la sécurité des transactions…

Un plan d’évacuation en deux phases

Dans les cas précis de l’Egypte et de la Tunisie, la marque au trident a centralisé sa cellule de crise à Paris afin de faire remonter l’ensemble des informations. Charge à l’entité belgo-luxembourgeoise d’informer ses “gentils membres”, de mettre en place un pont aérien avec ses partenaires comme Thomas Cook ou Brussels Airlines, de prendre contact avec le ministère des Affaires étrangères et enfin de jeter des ponts avec les autres membres de l’Abto, l’association belge des tour-opérateurs.

Soucieux de la sécurité de ses clients et de ses équipes, le Club Med aura finalement fermé son village tunisien de Djerba La Douce entre le 16 janvier et le 26 février et ses villages égyptiens de Sinai Bay et d’El Gouna depuis le 1er février. Non sans conséquences sociales puisque tant les employés des villages que les G.O. ont plié bagages jusqu’aux réouvertures (le 26 février pour le premier et le 5 mars pour le second).

Le plan d’évacuation et de crise s’est scindé en deux étapes : d’abord l’information auprès de la clientèle avec la mise en place des retours anticipés et ensuite, le suivi commercial. Bien que les stations balnéaires de la mer Rouge ont été épargnées par les troubles, l’élément déclencheur de l’évacuation reste les avis rendus par les ministères des Affaires étrangères belge et étrangers. Mais pas uniquement puisque le “ressenti” de la clientèle sur place joue également.

Autre aspect important : la rupture de la chaîne logistique, que ce soit dans l’approvisionnement en carburant ou l’accès à certains produits pour assurer la bonne marche des activités hôtelières. “La décision d’évacuer n’est pas facile à prendre mais elle était responsable une fois le niveau d’alerte franchi, précise Philippe Mahouin. Au total, nous avons contacté plus de 1.000 clients belges en quatre week-ends. Pour ceux qui étaient sur le point de partir, une alternative a été proposée, à savoir un séjour dans des villages au Maroc, dans les Antilles ou dans les Caraïbes.” Finalement, la moitié de la clientèle belge a privilégié un changement de destination, les autres le remboursement ou le report du séjour à une date ultérieure.

La phase de l’après-crise est aussi une période critique. Dans la plupart des cas, une politique de prix incitative pour faire revenir les clients est souvent pratiquée, à l’instar de Thomas Cook, qui vient de lancer l’opération “un voyage acheté = un gratuit”. Au Club Med, cette course aux soldes n’aura pas lieu. “Nos produits répondent à l’offre et la demande et puis, ils bénéficient d’une très bonne perception et nos clients sont fidèles”, conclut le directeur.

Valéry Halloy

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