Comment la start-up Aydoo ambitionne d’initier les Belges au microdosage de psychédéliques

Les Gantois Lorenzo Bown et Nicolas Roegiers, cofondateurs de la start-up Aydoo. © PG

Les Gantois Lorenzo Bown et Nicolas Roegiers ont fondé la start-up Aydoo. Leur but : proposer un programme d’initiation au microdosage de psychédéliques, une première en Belgique. Rencontre.

Lorenzo Bown et Nicolas Roegiers, deux amis originaires de Gand, sont adeptes du microdosage de truffes psychédéliques. Convaincus des effets positifs de la psilocybine sur leur concentration et leur créativité, ils ont créé la start-up Aydoo. Elle propose le premier programme encadré de microdosage en Belgique. Les deux comparses de 35 ans ambitionnent d’initier les Belges à cette pratique “en toute sécurité”.

Baptisée à l’origine le “Microdose Club”, la société a changé de nom (Aydoo pour “ayudar”, aider en espagnol, et “do”, faire en anglais) “pour une approche plus sérieuse et ouverte à un plus grand public “, explique Lorenzo Bown à Trends Tendances.

Avant de lancer officiellement leur projet en mai dernier, les cofondateurs se sont immergés longuement dans le milieu. “On a fait un réel ‘deep dive’ en allant à la rencontre de nombreux experts du secteur ; des médecins, des scientifiques, des psychiatres…On a aussi rencontré des juristes et des douaniers pour être au mieux informés de la législation en vigueur “, explique Nicolas Roegiers.

Faire tomber les derniers tabous

L’approche, unique en Belgique, se veut sérieuse et responsable, à l’image de ses fondateurs, au style rangé de bon père de famille. Elle se veut une alternative beaucoup moins risquée que l’offre des “smartshops” du Darkweb (magasin spécialisé dans la vente de produits psychotropes d’origine végétale) à la qualité et à la légalité parfois douteuse, stipule son cofondateur Lorenzo Bown. L’intention affichée par les concepteurs d’Aydoo étant de crédibiliser le microdosage et de faire tomber les derniers tabous qui entourent la consommation de psychédéliques. Alors que la recherche scientifique s’intéresse de plus en à leurs bienfaits sur les personnes en dépression (lire aussi l’encadré ci-dessous) et que les cas de burn-out explosent dans la société, conséquences, entre autres de la pandémie.

Des personnes s’inscrivent aussi avec un objectif bien précis, comme arrêter de fumer ou réduire leur consommation d’alcool

Athlètes de haut niveau et chef étoilé

Le “Microdose Programme” d’Aydoo ainsi que les services de coaching qui l’accompagne sont destinés avant tout à des personnes dites “saines” qui n’ont pas d’antécédents de dépression, ou d’autres problèmes mentaux lourds. Le programme n’est clairement pas envisagé comme une thérapie. Ses buts premiers sont d’améliorer l’humeur, de booster le niveau d’énergie, la concentration et la créativité ou encore les performances sportives. “Des personnes s’inscrivent aussi avec un objectif bien précis, comme arrêter de fumer ou réduire leur consommation d’alcool“, commente Nicolas Roegiers.

La clientèle d’Aydoo se compose actuellement de 30% de femmes et de 70% d’hommes. La tranche d’âge tourne autour des 35-40 ans, mais des personnes plus âgées rejoignent aussi la communauté. Près de 65% d’entre eux n’ont jamais eu d’expérience avec la consommation limitée de psychédéliques. La principale raison de leur participation est d’améliorer le sentiment de bien-être. En second lieu vient l’augmentation de la productivité et de la concentration, suivi d’un boost de la créativité.

Les candidats qui seraient diagnostiqués en dépression sévères sont redirigés vers une aide psychologique adaptée”

Plus de 100 participants

Nous avons déjà plus d’une centaine de participants et 300 sont sur liste d’attente. Cela va du cadre en entreprise, à la mère au foyer, au sportif amateur, en passant par l’artiste, le DJ ou encore, le grand-père”, détaille Lorenzo Bown. Dans notre dernier programme, nous avions deux hockeyeurs néerlandais de haut niveau. Le ‘marathonman’ belge Stefaan Engels qui a réalisé 365 marathons sur une année microdose actuellement avec nous en préparation d’un Ironman. Et dernièrement, un chef étoilé nous a rejoint”, nous confie l’entrepreneur.

Les deux concepteurs se montrent prudents. Ils insistent sur la mise en place de garde-fous. Ils n’acceptent, par exemple, aucune personne en dessous de 21 ans ni les femmes enceintes. “Un screening, sous forme d’un questionnaire en ligne, est réalisé avant qu’une personne ne s’inscrive. Les candidats qui seraient diagnostiqués en dépression sévère sont redirigés vers une aide psychologique adaptée”, assure Nicolas Roegiers.

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Le “starter kit” d’Aydoo pour s’initier au microdosage de psychédéliques.© PG

Coaching et groupe de paroles

Dans la pratique, des cycles d’initiation sont programmés à des dates définies et disponibles sur inscription en ligne. Avant le début du cycle, une réunion d’introduction permet à chaque participant de se fixer un objectif précis. Au quotidien, l’approche simple et plutôt rassurante repose sur une prise unique le matin équivalente à 1/20e de la dose récréative de truffes psychédéliques généralement consommée. Chaque cycle consiste en 8 semaines de conseils, dont 2 x 3 semaines centrées sur l’utilisation du microdosage et d’une pause de 2 semaines entre les deux.

Grâce au “journaling” – une méthode qui consiste à coucher sur papier le compte-rendu de ses expériences vécues et de ses émotions du jour – le consommateur garde une trace de l’influence du microdosage sur son état de bien-être. Les progrès sont analysés régulièrement en collaboration avec le “self discovery coach”, expert en la matière, Tom Stevens. Des groupes de paroles sont aussi créés entre utilisateurs pour un partage d’expériences. “Jusqu’à présent, les retours sont très positifs“, commente Lorenzo Bown.

Le risque de ‘bad trip’ avec des doses aussi minimes est quasiment nul. Au pire, il y aura un simple effet placebo.

Pas de “bad trip”

Nicolas Roegiers rassure les plus réticents qui n’oseraient pas franchir le pas.* Il déclare en toute transparence : “Le risque de ‘bad trip’ avec des doses aussi minimes est quasiment nul. Au pire, il y aura un simple effet placebo“. Cet avis est partagé par d’autres experts dans ce domaine. Pour le professeur de toxicologie Christophe Stove (UGent), l’effet du microdosage est en effet discutable. “Les études disponibles ne font apparaître aucune différence objectivement mesurable avec un placebo “, avance-t-il dans Het Nieuwsblad. Le Dr. Chris van der Linden, neurologue à l’hôpital St. Lucas de Gand a testé, de son côté, le microdosage et l’a trouvé “intéressant”, tout en évoquant aussi, en partie, un effet placebo.

Effet nocebo

Contacté par nos soins, Lennart Cok, le président de la Psychedelic Society Belgium, dont les fondateurs d’Aydoo sont membres, voit plutôt d’un bon oeil la démarche de la start-up, avec toutefois certaines réserves. “Les fondateurs d’Aydoo précisent bien que leur programme est destiné aux personnes qui n’ont pas de problèmes de santé mentale. C’est déjà un bon point.

Lennart Cok nuance toutefois les effets du microdosage selon les derniers essais scientifiques dont il a connaissance : “S’il y a des effets bénéfiques, ils ne sont pas très grands comparés avec un placebo“. Il ajoute : “Quand on microdose, on est déjà dans une optique d’amélioration de son bien-être comme quand on suit une détox par exemple, cela joue bien sûr un rôle. Cela aide dans le but recherché, c’est très positif.” Lennart Cok met également en garde sur un possible effet nocebo : “Certaines personnes peuvent se sentir mal dans leur peau en microdosant. Chaque personne réagira différemment, d’où l‘importance d’être bien suivi.

Ce projet marketing inédit qui surfe sur la hype de la “renaissance des psychédéliques” est audacieux. Les fondateurs d’Aydoo ont dû composer avec la législation stricte en vigueur à l’heure actuelle. En Belgique, la plupart des substances psychédéliques et les champignons hallucinogènes, quel que soit leur genre, sont en effet encore classés comme stupéfiants et donc toujours illégaux en vertu de la loi. Ce n’est donc pas un hasard si Aydoo opère depuis Amsterdam, où il existe un cadre légal pour les truffes.

Légalement, les truffes ne font pas partie des champignons hallucinogènes, qui sont, eux, strictement interdits. En tant qu’entreprise basée aux Pays-Bas, il est donc permis d’en produire, d’en vendre et d’en envoyer au sein de l’Union européenne avec un propre numéro de TVA. En tant que consommateur, la loi diffère d’un pays à l’autre Il n’y a pas de réglementation claire aujourd’hui”, nous éclaire Lorenzo Bown.

Seconde levée de fonds à l’automne

Pour se financer, la start-up a fait une levée de fonds qui s’est rapidement révélée fructueuse. En trois semaines à peine, de nombreux investisseurs, dont l’important fonds néerlandais Peak Capital, se sont montrés intéressés pour un total de 600.000 euros. Un second round est prévu à l’automne, avec de plus grands montants financiers en jeu (entre 2 et 4 millions) pour booster la croissance d’Aydoo en Europe. Les deux starters disent toutefois vouloir avancer à leur rythme. Dans ce sens, ils ont refusé la proposition d’investissements des fondateurs de Gorillas, une société allemande de livraison à domicile.

Leur business model repose principalement sur la vente des “starter packs” en ligne, au prix unique de 299 euros. Un tarif qui n’est pas accessible à toutes les bourses. “Il s’agit d’une offre premium, les truffes sont de très bonne qualité et d’origine bio. On offre un suivi 24h/24 par un coach professionnel et une communauté de personnes qui microdosent ensemble” justifie Lorenzo Bown qui ajoute aussi prêter une attention particulière à un emballage écologique pour préserver l’environnement. “Dans un second temps, nous prévoyons de lancer une offre de vente en ligne pour les personnes déjà initiées qui veulent continuer à consommer les truffes. Ainsi qu’un kit de test sanguin poussé, en collaboration avec un groupe de médecins qui a cette expertise”, annonce-t-il.

Un avenir prometteur

Les fondateurs d’Aydoo entrevoient un avenir prometteur dans l’utilisation plus généralisée des substances psychédéliques. “Nous collectons dans cette optique de l’argent pour un fonds de recherche sur les psychédéliques en Belgique, qui bénéficie du soutien de la Fondation Roi Baudouin “, confient-ils. Dans une vidéo de témoignage visible sur leur site, le Dr. Chris van der Linden les rejoint dans leur convictions : “La science est claire. Le microdosage de psilocybine est bénéfique pour les améliorations cognitives ainsi que pour le bien-être général. C’est l’avenir“.

*Selon une étude iVox réalisée sur un panel de 2000 consommateurs au moins 1 répondant sur 3 se dit intéressé par un programme de microdosage guidé par des professionnels comme Aydoo, 1 sur 5 sans se faire guider. Même si 1 personne sur 4 estime que cela peut l’aider à mieux fonctionner, la grande majorité de l’audience d’iVOX se montre plutôt prudente quand il s’agit de psychédéliques.

Le microdosage, ses effets, son histoire

Les truffes ou “champignons magiques” contiennent des hallucinogènes, généralement de la psilocybine. Le “microdosage” consiste à prendre de très petites doses de cette substance à effet psychédélique, en suivant un protocole spécifique. Les études sur le microdosage dont celle récente du magazine de renom Nature montrent que la psilocybine améliore l’humeur et la concentration et réduit le stress et l’anxiété. Elle peut aussi augmenter la créativité et les performances athlétiques. Ses effets sont comparables au LSD pris en microdose.

La pratique est ancestrale. Il y a des milliers d’années, les premiers humains chasseurs-cueilleurs consommaient déjà ce type de plantes pour se donner un petit boost. Elles ont ensuite été diabolisées dans les sixties par le président américain de l’époque. Nixon se sentant menacé par la culture hippie a décidé de rendre illégale une longue liste de drogues, dont le LSD. Un an plus tard, sous la pression des États-Unis, les Nations Unies ont rédigé la “Convention sur les substances psychotropes” rendant toutes les autres substances psychédéliques illégales dans la plupart des pays du monde et mettant un terme à toutes les études scientifiques pendant environ 30 ans. Aujourd’hui, on assiste à ce que l’on appelle la “Renaissance psychédélique”. Progressivement, la recherche scientifique sur ces substances prometteuses a gagné en attention et a explosé ces dernières années un peu partout dans le monde.

La Psychedelic Society Belgium, plaide dans notre pays pour que l’utilisation de ces substances soit retirée du Code pénal belge afin de les exploiter en accompagnement thérapeutique. L’association organise le samedi 25 juin le premier symposium belge sur la science psychédélique, avec plusieurs experts de renommée internationale dans ce domaine de recherche.

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