Comment la machine Makro s’est grippée au fil des ans

© IMAGEGLOBE

Si la chaîne allemande a connu ses heures de gloire chez nous, son chiffre d’affaires était en net recul depuis plusieurs années. En cause: la crise du modèle de l’hypermarché, mais surtout une identité peu claire pour une entreprise qui, selon certains observateurs, est restéetrop longtemps tournée vers le passé. Sa nouvelle stratégie commerciale est un plan de survie.

Deux ans seulement après un premier plan de restructuration,la direction belge des enseignes Makro et Metro a annoncé en juin dernier son intention de supprimer à nouveau des emplois. Quelque 505 postes sont menacés – un emploi sur six chez nous -, tant dans les magasins Makro et Metro qu’au siège central de Wommelgem. Sauf que cette fois, les responsables annoncent parallèlement un plan d’investissement de 61 millions d’euros et une nouvelle stratégie commerciale destinée à repositionner complètement les deux marques.

Une stratégie qui “s’impose au vu des résultats financiers et de l’évolution du marché”, peut-on lire dans le communiqué diffusé par le groupe. Chiffre d’affaires en forte baisse, résultat d’exploitation et cash-flow dans le rouge… “S’ils ne faisaient rien, ils allaient mourir”, n’hésite pasà affirmer Claude Boffa, professeur de retail marketing à Solvay (ULB). Pour cet observateur, il est même surprenant que le groupe n’ait pas sursauté plus tôt. “Makro est une enseigne qui a ronronné et qui est restée tournée vers le passé, dit-il. Son positionnement était devenu flou pour les clients. L’enseigne a toujours un logo avec l’appellation cash and carry, qui indique un positionnement de grossiste, alors qu’elle accueille bien plus de clients particuliers.” Voici comment le concept Makro s’est laissé progressivement dépasser par l’évolution du marché.

Le grossiste des débuts

A l’époque, Makro se positionne comme un grossiste ciblant deux groupes-cibles : les épiciers et petits indépendants, et l’horeca. Les magasins ouvrent dès 7 h (ce qui est encore le cas aujourd’hui) et les prix sont affichés hors TVA. “Tout le monde devait avoir une carte pour pouvoir y faire ses achats, explique Gino Van Ossel, expert en retail marketing à la Vlerick Business School. Cette politique a permis à l’enseigne de créer son image de grossiste.” Dans les faits, cependant, de plus en plus de particuliers viennent profiter des promotions. C’est que tout le monde a dans ses amis un indépendant qui dispose d’une carte Makro. “A un certain moment,ils ont décidé de créer un accès pour les particuliers, précise notre expert. Ils ont lancé les cartes du personnel pour les grandes entreprises, et petit à petit, le nombre de clients particuliers a augmenté.” “Ils se sont ouverts aux particuliers car leur chiffre d’affaires était insuffisant, embraie Claude Boffa. Même s’ils ne l’ont jamais affirmé clairement, le fait que tout le monde achetait chez Makro était un secret de Polichinelle.” Jusqu’à la fin des années 1990, les magasins sont divisésen deux zones en termes d’accès : la zone alimentaire et la zone non alimentaire. ” Les gens avaient une carte pour l’uneou l’autre partie, explique Gino Van Ossel. La zone alimentaire était réservée aux professionnels, mais en réalité, de plus en plus de particuliers arpentaient les rayons dans les deux zones. Les prix étaient intéressants, l’enseigne avait une image d’exclusivité.” Bref, c’était l’âge d’or !

Quand les groupes-cibles s’en vont

Nous sommes dans les années 1980 lorsque les premières difficultés pointent le bout du nez. L’enseigne commence à perdre progressivement ses deux groupes-cibles. “Le nombre d’épiceries n’a cessé de diminuer et les indépendants qui conservent une part de marché importante sont les franchisés des grandes surfaces, explique Gino Van Ossel. Ce marché a donc presque disparu pour Makro. Il reste les night shops, mais ceux-ci ont trouvé un autre fournisseur : Colruyt. C’est plus proche et moins cher, et l’enseigne a prévu des caisses pour les chariots plats.”

Après les épiciers et les petits indépendants, Makro voit progressivement ses clients horeca déserter eux aussi les rayons. “Ceux-ci veulent de plus en plus se faire livrer et ils abandonnent le cash and carry. Par ailleurs, de nouveaux joueurs font leur entrée sur le marché et les restaurateurs professionnels n’aiment pas trop faire leurs courses avec les particuliers.” En train de perdre ses groupes-cibles, Makro créeen quelque sorte sa propre concurrence en ouvrant Metro en 2003, un cash and carry strictement réservé aux professionnels de l’horeca et aux revendeurs. “C’est une très bonne chose, estime Gino Van Ossel. Mais du coup, Makro a perdu encore plus de clients professionnels.”

La concurrence des “category killers”

Dans les années 2000, l’enseigne décide donc de faciliter l’accès des particuliersà ses magasins. Toute personne peutdésormais demander la carte Makro.Le problème, c’est que la chaîne ne communique pas suffisamment sur cette ouverture. Ce qui fait que de nombreux Belges pensent encore que l’enseigne n’est accessible qu’aux professionnels. Mais même si le groupe l’avait crié haut et fort, les particuliers se seraient-ils rués en masse dans ses points de vente comme ils l’avaient fait par le passé ? Pas sûr. Car le paysage de la distribution a évolué. “Dans les années 1970, le client acceptait de faire l’effortde se procurer une carte, de se déplacer plus loin, note Gino Van Ossel. Dans les années 2000, plus du tout. L’argument du prix a progressivement disparu pour Makro en ce qui concerne l’alimentaire. Colruyt garantit les prix bas et Carrefour fait son entrée chez nous avec une politique intensive de promotions. L’alimentaire n’était donc plus une raison pour aller chez Makro. Les clients y venaient pour les promotions dans le non-alimentaire.”

Seulement voilà, une autre évolution du paysage de la distribution porte un deuxième coup de massue à l’enseigne : l’arrivée de nouveaux acteurs spécialisés. Les category killers, comme on les appelle dans le jargon, viennent bouleverser le modèle économique de base de l’hypermarché, qui a toujours été d’amener les clients faisant leurs courses alimentaires à visiter aussi les rayons non alimentaires. Or, ces rayons, censés rapporter de la marge, ne le font plus car les enseignes sont forcées de baisser les prix. Des Decathlon, Media Markt, Ikea, H&M, etc. font mieux dans leurs domaines respectifs, à des prix très compétitifs. Et les pertes du non-alimentaire devant être compensées par l’alimentaire, ce dernier ne peut plus baisser suffisamment les prix pour attirer les clients. Toutes les enseignes qui exploitent le format doivent donc trouver la parade pour proposer un concept différenciant en alimentaire et arbitrer quant aux rayons à conserver, réduire ou abandonner en non alimentaire. C’est précisément le sens de la nouvelle stratégie commerciale de Makro.

Une relance commerciale basée sur la spécialisation

Makro, qui possède six magasins chez nous, va dorénavant s’orienter vers deux types de clients : les particuliers d’une part, et les professionnels de la construction/rénovation et du jardinage d’autre part (via son drive-in).

L’enseigne se concentrera sur trois spécialisations : good food (assortiment hors du commun d’aliments de qualité), party (tout ce qui touche à la fête, de la nourriture à la décoration) et home (tout ce qui concerne la maison, des bougies aux briques et au ciment). L’entreprise veut par ailleurs trouver des partenaires spécialisés dans d’autres catégories de produits pour lesquelles la marque estime ne plus avoir la capacité de véritablement se différencier, à savoir les vêtements, l’électronique grand public et les livres. L’enseigne Metro, quant à elle, recentrera son positionnement sur l’horeca et la gastronomie. Rappelons qu’elle restera strictement réservée aux professionnels. Les services centraux qui opèrent aujourd’hui pour les deux marques seront scindés et des sièges centraux seront créés respectivement pour Makro et Metro.

“Good food” : un défi d’image

La stratégie de spécialisation annoncée par l’enseigne est plutôt saluée par les observateurs du secteur. “Makro manquait de spécialisme, pointe Gino Van Ossel. Le fait de choisir trois domaines pour lesquels la chaîne pense qu’elle peut se différencier me semble être une bonne chose. Pour l’univers party, ils ont trouvé quelque chose qui n’existe nulle part ailleurs, du moins pas de manière aussi complète. En ce qui concerne l’univers good food, ils ont l’avantage de la surface qui peut leur permettre de créer une atmosphère de marché. Eten tant que grossiste horeca avec Metro, ils ont déjà un accès à une marchandise de qualité. En revanche, la concurrence est plus élevée sur ce segment. Delhaize,par exemple, a le même positionnement. Leur défi sera de convaincre le consommateur que Makro a une crédibilité sur dans ce domaine car sans trafic suffisant, difficile d’assurer la fraîcheur. Enfin, pour l’univers home, je comprends plus difficilement. Des bougies jusqu’aux briqueset au ciment, disent-ils. Ce sont surtoutles femmes qui achètent la décoration d’intérieur alors que ce sont plutôt les hommes qui achètent les briques. Cela me semble peu clair comme positionnement. Et puis la concurrence est forte sur ce segment avec des Ikea, Casa, Blokker, etc.”

Claude Boffa, lui, se montre plutôt sceptique quant à l’univers good food.”La chaîne en a les moyens mais pas l’image, dit-il. Elle va devoir convaincre une nouvelle clientèle. Aujourd’hui, elle ne propose aucune atmosphère gourmet, aucune expérience d’achat. Makro va devoir changer ça ! L’enseigne avait des réassortisseurs, elle va dorénavant devoir engager des spécialistes pour conseiller les clients.” Chez Makro, on indique que ce positionnement good food n’implique pas un changement de groupe-cible. “On a fait beaucoup d’études qui montrent qu’on a déjà un énorme potentiel de clients actuels qui veulent de la nourriture hors du commun, assure Julie Stordiau, porte-parole. Maintenant, il est vrai qu’on a aussi un potentiel énorme de nouveaux clients.”

Media Markt chez Makro ?

Enfin, le fait que Makro décide de sous-traiter certains rayons à des partenaires spécialisés est d’après nos experts une piste intéressante, le défi résidant dans le choix de ces partenaires. “Sous-traiter des catégories, c’est accepter sa défaite sur ces segments, explique Gino Van Ossel. Mais l’avantage est que la chaîne n’aura plus besoin d’acheteurs pour ces catégories. Cela peut par ailleurs rendre les magasins plus attractifs et Makro percevra des loyers de la part des enseignes qui vendront dans ses points de vente.” D’après notre expert, il serait vraisemblable que Makro entame des discussions avec Media Markt pour l’électronique. C’est que l’enseigne appartient au même groupe (le géant allemand Metro). Du côté de Makro, on précise que rien n’est encore décidé. “Cela pourrait très bien être un autre partenaire, assure Julie Stordiau. Pour l’électro, si on ne trouve pas de partenaire, on arrête sur ce segment. Pour les vêtements et les livres par contre, nous cherchons des partenaires, mais si nous n’en trouvons pas, nous continuerons par nous-mêmes.”

Le succès de cette nouvelle stratégie, qui doit redonner à Makro sa raison d’être, dépendra de la manière dont elle sera concrètement exécutée sur le terrain. ” L’enseigne ne veut plus être un magasin primaire que l’on visite chaque semaine, mais bien un point de vente secondaire pour les grandes occasions, conclut Gino Van Ossel. Il y a des clients pour un tel concept. A Makro de les convaincre.”

JÉRÉMIE LEMPEREUR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content