“Comme un match de foot, la gestion d’une entreprise peut aussi se jouer sur des détails”

Bruno Venanzi est désormais l'homme-fort du Standard. © BELGA

Cofondateur du fournisseur d’énergie verte Lampiris, Bruno Venanzi est passé de l’ombre à la lumière médiatique en rachetant le Standard il y a trois mois à peine. Rencontre avec un Liégeois pur jus qui secoue allègrement le petit monde du football belge.

Enfant, Bruno Venanzi caressait le rêve de devenir joueur au Standard. Si, à 45 ans, son voeu ne s’est toujours pas réalisé, il s’est en revanche joliment transformé. Car à défaut de short et de crampons aux pieds, c’est désormais le costume du président de club qu’arbore le cofondateur de Lampiris sur la pelouse de Sclessin. Depuis presque trois mois, Bruno Venanzi est en effet le propriétaire du Standard de Liège, détenant ainsi le matricule du club, le stade, l’Académie Robert-Louis Dreyfus et une dizaine d’immeubles dans la Cité ardente.

Clôturant l’ère Duchâtelet qualifiée de glaciale, l’arrivée de ce Liégeois pure souche a évidemment réjoui la communauté des Rouches, même si depuis, le nouveau patron du Standard a quelque peu embrasé le monde du football belge. Avec sa petite phrase “un joueur du Standard a payé un entraîneur pour jouer et l’entraîneur a accepté”, lâchée dans l’émission Rien à foot il y a deux semaines, Bruno Venanzi a jeté la suspicion sur un milieu où on ne cesse de dénoncer les dérives de l’argent-roi. Si l’homme refuse de s’exprimer sur le sujet étant donné qu'”une instruction est en cours” (sic), il a toutefois accepté de nous accorder une longue interview sur son aventure entrepreneuriale et footballistique.

TRENDS-TENDANCES: Quand vous avez repris le Standard, vous êtes un peu apparu comme le sauveur du club. Aujourd’hui, on a le sentiment que l’état de grâce est terminé.

BRUNO VENANZI: A vrai dire, je ne me pose pas ce genre de question. Je sais que le Standard est un club particulièrement difficile à gérer. Mais de toute façon, un club de football, comme une entreprise, ce n’est pas facile à gérer. Ici, au Standard, il y a en plus un aspect émotionnel qui est très important et que je connais en tant que supporter. Alors, état de grâce ou pas, peu importe. Je sais qu’il me faudra du temps pour remettre l’église au milieu du village. Les chiffres ne sont pas bons. Je le savais en reprenant le club et je connaissais aussi les risques inhérents à ce genre de métier, a fortiori quand les résultats ne sont pas bons…

Vous parlez des résultats sportifs ou financiers ?

Financiers. Moi, je veux retrouver un équilibre le plus rapidement possible et je sais que c’est jouable, tout en ayant des résultats sportifs dignes d’un club comme le Standard.

Aujourd’hui, que reste-t-il dans les caisses du club ?

Rien ! Enfin, j’exagère. Il reste 2 millions, ce qui n’est rien pour la gestion d’un tel club.

Vous avez d’ailleurs dû vous séparer d’un nombre important de joueurs en ce début de saison pour réduire les coûts. Cela a forcément un impact sur les résultats sportifs…

Il y avait une grosse masse salariale avant mon arrivée parce que la politique de Duchâtelet était différente. Il s’agissait d’une politique “multi-clubs” avec le Standard comme vache à lait. Je pense par exemple à un joueur qui a été acheté 1,5 million d’euros il y a un an et qui a été vendu six mois plus tard à un club frère appartenant à la “galaxie Duchâtelet”, comme disent les journalistes. Et cela pour zéro euro ! C’est une fameuse moins-value pour le Standard. Ce n’est pas normal.

Il y avait 50 joueurs sous contrat quand vous avez repris le club. Aujourd’hui, combien en reste-t-il ?

Il en reste 27, ce qui est un ratio tout à fait normal par rapport aux autres clubs belges comme Anderlecht ou Bruges. Donc, oui, le nombre de joueurs a diminué, mais la qualité est toujours là. Il faut simplement que la nouvelle équipe se mette en place car il y a eu beaucoup de changements. En revanche, grâce à cela, la masse salariale a diminué de 5 millions d’euros. Elle passe de 17 millions à 12 millions. C’est important quand on sait que le club affiche près de 6 millions de perte pour la saison dernière…

Quels sont vos objectifs financiers pour le Standard ?

Pour cette saison, je vise le retour à l’équilibre. Pareil pour la saison suivante. En revanche, pour la saison 2017-2018, nous devrions recommencer à faire des bénéfices, ce qui va nous permettre de faire de nouveaux investissements. Le but est évidemment de rendre l’entreprise rentable, ce qu’elle n’est plus aujourd’hui.

Ce ne sera pas facile puisque vous avez déclaré il y a trois semaines sur Club RTL : “Je savais que j’achetais une maison à rénover, mais je ne pensais pas que les fondations étaient aussi touchées”. Il y a des vices cachés au Standard ?

Oui. J’en découvre tous les jours.

Lesquels ?

Je communiquerai là-dessus ultérieurement. Je suis en train de faire un rapport car il y a des choses que je ne comprends pas. Par exemple, quand j’étais en phase finale de due diligence, j’ai demandé quels étaient les plans financiers et les besoins en trésorerie des prochaines semaines et des prochains mois. Et ces données n’existaient pas ! J’ai donc interrogé le responsable de la comptabilité qui m’a répondu : “J’ai fait des plans de trésorerie jusqu’à l’arrivée de Roland Duchâtelet et quand je lui ai présenté mes plans comme je le faisais avec la direction précédente, Duchâtelet m’a répondu qu’il n’avait pas besoin de ça et que si le club avait besoin d’argent, il en remettrait lui-même”. C’est étonnant de la part d’un homme d’affaires. Pour le dire vulgairement, je suis tombé sur le cul !

Vous voulez dire que le Standard sous Duchâtelet, c’était une gestion “au petit bonheur la chance”, sans une réelle vision d’entreprise ?

Voilà. Le plus étonnant, c’est qu’il mettait quand même en place des stratégies au niveau fiscal pour payer le moins d’impôts possible. Il y avait une recherche avec, parfois, des montages alambiqués pour économiser 1.000 ou 2.000 euros sur le salaire d’un employé. En même temps, on trouve des factures à 200.000 euros pour des agents de joueurs alors que ça ne se justifie pas. Donc, je ne comprends pas.

Cela veut dire que vous êtes amené à revoir Duchâtelet pour clarifier la situation ?

Bien sûr ! Appelons un chat un chat : je lui réclame une partie de l’argent qui est conservé parce qu’il y a des erreurs dans la comptabilité. Ce ne sont pas des sommes astronomiques, mais quand on achète une entreprise, on définit un prix et puis il y a des clauses qui courent sur une période d’un, deux ou trois ans avec des sommes qui sont bloquées et puis libérées quand les clauses sont respectées. Je ne pense pas qu’il y ait eu de mauvaises intentions de la part de la direction précédente, mais encore une fois, il y a des erreurs dans la comptabilité que je veux éclaircir.

Vous arrivez à en discuter de manière sereine avec Duchâtelet ?

Cela se discute entre financiers. Le mien et le sien. Ce sont des adultes intelligents (sourire).

Est-ce que, malgré tout, vous vous dites aujourd’hui : “J’ai fait une bonne affaire avec le Standard” ?

Je ne pourrai le dire que dans 10 ou 15 ans. C’est comme quand vous achetez des actions. Je dis toujours : acheter des actions, c’est très facile ; savoir quand les vendre, c’est autre chose.

On sait à présent que Duchâtelet s’est servi deux fois dans les dividendes du club : 20 millions en 2013 puis 10 millions juste avant la revente. Ce qui fait 30 millions dans sa poche, plus son important salaire sur quatre ans et le montant de la vente pour plusieurs millions, alors qu’il avait racheté le Standard pour 32 millions d’euros…

Je sais que Roland a fait une bonne affaire et c’est tant mieux pour lui. Maintenant, en a-t-il retiré une satisfaction ? Si on s’en tient uniquement à l’aspect financier, il peut en être satisfait, très satisfait même. Encore une fois, tant mieux pour lui. Mais s’il ne vit qu’avec des satisfactions financières et quand on voit ce qu’il s’est passé au Standard avec lui, je dis : pauvre homme !

En ce qui concerne votre rachat du club, on a parlé d’une somme évaluée entre 13 et 16 millions d’euros. Or, ces 10 derniers millions de dividende sortis in extremis par Duchâtelet n’avaient pas été pris en compte dans le calcul…

J’ai signé un accord de confidentialité sur l’aspect financier. Donc, je ne vais pas répondre à votre question. Mais il est clair que la donne est différente pour le monde extérieur suite à cette information.

Vous aussi, votre objectif est de gagner personnellement de l’argent avec le Standard ?

Non. D’abord, je n’en ai pas besoin car j’ai d’autres revenus. Ensuite, le Standard ne peut pas se le permettre. Vous savez, je facture 1.500 euros par mois au club pour mes prestations…

Rien à voir avec Duchâtelet qui facturait de 800.000 euros à 2 millions par an selon les saisons.

Oui, moi, ça ne fait que 18.000 euros par an (rires) ! Personnellement, j’ai la grande chance de ne pas avoir besoin de plus de rémunérations pour vivre aujourd’hui. Et je n’ai pas besoin non plus d’un avion privé, ni d’un bateau. Ce n’est pas ça qui m’excite. Cela dit, si le Standard présente dans cinq ans de bons résultats financiers, je pourrai alors décider d’une politique de dividendes. Mais pas pour l’instant.

Financièrement, comment avez-vous fait pour racheter, seul, le Standard ?

J’ai vendu 20 % de mes actions dans Lampiris il y a un an et demi et, grâce à mes différents projets immobiliers, j’ai puisé dans ma cassette personnelle.

Sans l’aide d’aucune banque ?

Non, pas d’emprunt bancaire. J’ai fait ça tout seul.

Vous possédez 99,9 % de la SA Standard : vous tenez à cette indépendance ?

Dans un premier temps, oui. Mais mon souhait est que les supporters deviennent actionnaires du club via une augmentation de capital dans un horizon de trois à cinq ans. C’est le délai pour que les comptes soient positifs. Mon idée est de financer des projets immobiliers non pas par l’argent du sportif, mais plutôt par l’augmentation de capital ou par la rentabilité d’un projet qui ne passe pas uniquement par le Standard de Liège. Donc, ça veut dire concrètement faire un plus beau stade, avec plus de places, plus de confort et de l’autofinancer par la location de bureaux et d’espaces. Et donc, que ça ne coûte rien au Standard. On pourrait par exemple mettre un supermarché, des surfaces commerciales et des bureaux à Sclessin. N’oubliez pas que nous avons de grands parkings qui sont utilisés seulement 25 fois par an le soir ou le week-end. On est d’ailleurs en train de développer des idées avec des promoteurs immobiliers et l’on fera une annonce à ce sujet sans doute le mois prochain.

La marque Standard est forte mais, paradoxalement, on a le sentiment qu’elle n’est pas assez exploitée, notamment en termes de merchandising…

Effectivement. Je trouve qu’elle est clairement sous-utilisée. L’idée est justement de mieux valoriser la marque, même en interne. Mais cela ne fonctionnera que s’il y a des résultats sportifs. Pour cela, il faut retrouver une dynamique d’équipe et l’ADN du club. Il faut inculquer une autre façon de voir les choses et c’est la raison pour laquelle Daniel Van Buyten a rejoint le conseil d’administration : pour professionnaliser toute la structure sportive du Standard comme ça se fait dans les grands clubs. En football, un match se joue parfois sur des détails. La gestion et la croissance d’une entreprise peuvent aussi se jouer sur des détails qui paraissent parfois anodins. Or, plus on professionnalise et plus on anticipe un détail qui peut être déterminant, plus on a des chances de succès. C’est ce qu’on veut faire avec l’équipe qu’on met en place.

Justement, doit-on gérer un club de football comme une entreprise ?

Il n’y a pas de réponse toute faite à cette question. Bien sûr, un club reste comme une entreprise avec de la gestion humaine et de la gestion financière importante. Il faut définir des objectifs, des plans financiers, mais la spécificité, c’est que l’on est parfois tenu à prendre des décisions très rapidement en fonction des résultats comme, par exemple, changer un entraîneur. Et puis, il y a surtout un aspect émotionnel et un aspect médiatique qui sont très importants dans un club de foot. Dans une entreprise, quand vous licenciez une personne pour faute grave, ça se ne fait pas sur la place publique…

D’où vient finalement cette envie de vous investir personnellement et financièrement dans le football ? Est-ce l’amour du sport ou s’agit-il de décrocher cette part de rêve que l’on ne retrouve pas nécessairement dans le monde de l’entreprise ?

Il y a un côté très excitant dans un club de foot. Moi, j’ai toujours adoré le sport, quel qu’il soit, et la compétition. Et c’est vrai que le stress qui est généré par les résultats est quelque chose que je trouve très positif. Cela donne du piment…

Plus de piment que dans une entreprise comme Lampiris ?

C’est différent. Aujourd’hui, chez Lampiris, le stress et l’excitation du début ont un peu disparu. Depuis l’augmentation de capital, la gestion est confiée à une personne qui gère mieux l’entreprise que je ne pourrais le faire, raison pour laquelle j’avais un peu de temps pour de nouveaux projets. Et celui du Standard m’intéressait.

Cela veut dire que vous n’allez plus que très rarement chez Lampiris ?

Non, j’y vais encore quasi tous les jours parce que nous avons différentes filiales et que je participe encore à certaines réunions. Mais je ne participe plus aux réunions du comité de direction. Je m’occupe davantage des nouveaux projets. Mais ce n’est pas un temps plein.

En rachetant le Standard, un de vos objectifs n’était-il pas de booster aussi le business de Lampiris ?

Non, ce n’est pas lié.

Pourtant, on sait que, en termes de networking, le fait d’être président d’un grand club de foot peut aider à ouvrir certaines portes…

Oui, bien sûr, le networking est très facile au Standard et c’est vraiment une belle plateforme pour rencontrer du monde plus rapidement, mais dans le cas de Lampiris, ce n’est pas pertinent. Je connaissais déjà particulièrement bien les politiciens actifs à Liège avant et je ne les connais pas plus depuis que j’ai racheté le Standard. Non, je scinde bien les deux activités.

La preuve : Electrabel est toujours sponsor du Standard !

(Rires) Bien sûr !

Vous avouerez que c’est quand même cocasse…

Oui, un peu. Vous savez, il y a quelques années, alors que je n’étais absolument pas impliqué au Standard, le club avait demandé à Lampiris si on voulait être sponsor. Mais nous n’avons pas remis d’offre parce que nous connaissions les budgets et que c’était trop conséquent pour nous. Et puis, de toute façon, on estimait que ce type de sponsoring n’était pas pertinent pour Lampiris…

Vous pourriez changer d’avis à l’avenir ?

Non. Avec mon rôle dans le club aujourd’hui, je ne veux pas que Lampiris soit sponsor du Standard. C’est hors de question.

Avec Lampiris, vous baignez dans l’énergie verte et le développement durable. Est-ce que vous allez transmettre cette empreinte au Standard ?

Je n’aime pas trop utiliser le terme Lampiris dans le cadre de la gestion du Standard, mais cette empreinte durabilité, oui, j’aimerais bien la mettre en place. Car cela fait partie de mes valeurs. Donc, c’est quelque chose vers lequel je veux évoluer, notamment quand on bâtira les nouvelles infrastructures. Cela fait partie de mon ADN et je pense que ça fait partie de la société de demain.

Sur le plan politique, vous revendiquez aussi cette couleur verte ?

Je suis apolitique et j’ai des amis dans toutes les formations. Bien sûr, j’ai mes opinions et je vote, mais je ne fais pas de politique et je n’en ferai jamais.

En reprenant le Standard, est-ce que vous ne cherchiez pas finalement une forme de reconnaissance ?

Heu, je ne vois pas… En fait, je suis assez surpris par la résonance médiatique. Duchâtelet m’avait pourtant prévenu, mais je reste très surpris. Notamment lorsque j’ai vu, au lendemain de l’annonce de la reprise, une grande photo de moi à la une de L’Echo. Ce que je n’ai jamais connu avec Lampiris ! Pourtant, sans fausse modestie de ma part, je trouve qu’il est plus compliqué de créer une entreprise comme Lampiris et d’atteindre une telle croissance que de racheter le Standard. A mes yeux, il est beaucoup plus difficile de mettre en place une entreprise, même une PME de cinq personnes, que de racheter un club de foot. Le gérer, c’est autre chose, mais le racheter, franchement, ce n’est pas compliqué ! Maintenant, on verra si, dans 10 ou 15 ans, le rachat du Standard par mes soins mérite une forme de reconnaissance, mais au jour d’aujourd’hui, j’estime que je n’en mérite aucune.

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