Club de Bruges: les dessous de l’offensive boursière
Leader incontesté du championnat de Belgique, le club brugeois va prochainement faire son entrée en Bourse. L’objectif est double: renforcer sa crédibilité sur la scène européenne et s’offrir un nouveau stade digne de ses ambitions.
C’est une première dans l’histoire du football belge. D’ici la fin de la saison, le Club de Bruges fera son entrée sur le marché réglementé d’Euronext Bruxelles, à l’instar de grandes équipes déjà cotées en Bourse: Manchester United, l’Ajax Amsterdam, la Juventus Turin ou encore Benfica. Un aboutissement, diront certains ; le début d’une nouvelle aventure, rectifieront les autres.
Survolant déjà le championnat de Belgique, le Club de Bruges va passer la vitesse supérieure avec cette IPO et risque donc bien de creuser davantage l’écart qui le sépare aujourd’hui de ses concurrents directs, tant sur le plan sportif que financier. L’équipe des “Blauw en Zwart”, comme on la surnomme sur le terrain, domine en effet la Jupiler Pro League depuis quelques années déjà. Le champion en titre se dirige doucement vers un nouveau sacre – le quatrième en six ans – et sa bonne santé financière tranche radicalement dans le paysage ambiant. Là où le Sporting d’Anderlecht affiche, pour la saison 2019-2020, un chiffre d’affaires de 89 millions d’euros avec une perte de plus de 36 millions (!), le Club de Bruges arbore, quant à lui, un chiffre d’affaires de 137 millions pour la même période avec un bénéfice net de 24 millions.
Nous continuerons à placer nos supporters, la performance sur le terrain et une solide gestion commerciale au coeur de nos principes directeurs lors de cette prochaine phase de développement.”
Bart Verhaeghe, président
Duo gagnant
Spectaculaires, les performances financières du club flamand ne sont pas le fruit du hasard et reposent sur les épaules d’un duo gagnant, le président Bart Verhaeghe et le CEO Vincent Mannaert, intronisés à Bruges il y a tout juste 10 ans.
A l’époque, Anderlecht règne en maître sur le football belge – les Mauve et Blanc seront quatre fois champions entre 2010 et 2014 – et les Blauw en Zwart peinent à faire la différence. Tous deux anciens joueurs de football (le premier en amateur, le second en professionnel), Bart Verhaeghe et Vincent Mannaert – qui deviendront propriétaires du club en 2012 – vont alors dépoussiérer l’ASBL centenaire pour la métamorphoser en une entreprise digne du 21e siècle. “A l’origine, le Club de Bruges était une organisation à but non lucratif, racontent les deux entrepreneurs. Nous l’avons transformé en un groupe commercial doté d’infrastructures de pointe, d’une gestion professionnelle, d’analyses de données et de technologies exclusives appliquées aux branches sportive et commerciale de notre société. Aujourd’hui, le Club de Bruges triomphe sur le terrain, tout en étant devenu une société sportive et médiatique fiable et rentable.”
Le terme “médiatique” n’est pas galvaudé: l’entreprise brugeoise possède désormais sa propre maison de production, ses studios, son agence de communication, son application mobile et plusieurs plateformes de services qui lui permettent de créer en permanence du contenu pour les nombreux supporters qui suivent les exploits de leur équipe.
Une spirale positive
Grâce à une restructuration de sa cellule sportive au début des années 2010 et à une politique de transferts audacieuse (qui lui a d’ailleurs permis d’engranger de belles plus-values sur la revente de certains joueurs), le Club de Bruges est peu à peu entré dans une spirale positive qui a lui permis de renouer avec le titre de champion de Belgique en 2016 et d’occuper davantage la scène européenne. Ces cinq dernières saisons, les Blauw en Zwart ont joué quatre fois dans la phase de groupe de la Ligue de Champions, ce qui leur a rapporté de précieux millions. L’UEFA accorde non seulement des primes aux clubs qui se qualifient pour les grandes compétitions européennes comme la Champions League ou l’Europa League, mais aussi des bonus lorsqu’ils passent un ou plusieurs tours. Cette saison, l’équipe brugeoise aurait ainsi touché plus de 30 millions des instances footballistiques européennes.
Ce cercle vertueux – l’argent frais de l’UEFA incite le club à investir dans de nouvelles recrues qui offrent à leur tour de meilleurs résultats – a permis à l’équipe brugeoise de rester au top ces dernières années et de creuser l’écart avec, par exemple, Anderlecht qui n’a plus participé à une compétition européenne depuis deux saisons. Cerise sur le gâteau du succès: les performances des Blauw en Zwart en Jupiler Pro League et leurs prestations honorables en Champions League ont clairement contribué à doper la marque Club de Bruges qui rassemble aujourd’hui, selon le président Bart Verhaeghe, “plus d’un million de fidèles supporters”.
24 millions d’euros
Le bénéfice net du Club de Bruges pour la saison 2019-2020.
Un nouveau temple
Fort de ses bons résultats tant sur le plan sportif que financier, le club flamand a récemment décidé d’entrer dans une nouvelle dimension: la cotation en Bourse. L’objectif de cette opération est double: renforcer la crédibilité du Club de Bruges sur la scène européenne et, d’un point de vue beaucoup plus palpable, s’offrir un nouveau stade digne de ses ambitions.
Ce projet immobilier est évalué à 100 millions d’euros et pour financer ce nouveau temple qui pourra accueillir 40.000 spectateurs dès 2024 (contre “seulement” 29.000 aujourd’hui), les dirigeants brugeois se tournent désormais vers Euronext Bruxelles. “Notre introduction en Bourse est une nouvelle étape de notre stratégie de croissance qui prépare le Club de Bruges à l’avenir et qui va créer une nouvelle base d’actionnaires, plus large et à plus long terme, pour partager nos succès sur le terrain et en dehors”, annonce le CEO Vincent Mannaert.
Concrètement, le club brugeois vendra des actions existantes sans en émettre de nouvelles. La grande majorité du capital (94% des parts) est aujourd’hui détenue par la société Grizzly Sports, derrière laquelle se cachent quatre principaux actionnaires: le président Bart Verhaeghe, le CEO Vincent Mannaert, le consultant Peter Vanhecke et enfin Jan Boone, CEO de Lotus Bakeries. L’objectif est de vendre une partie de leurs actions, tout en garantissant à Grizzly Sports de rester l’actionnaire majoritaire des Blauw en Zwart à la clôture de l’offre. Avec cette opération boursière, les dirigeants brugeois espèrent ainsi engranger entre 100 et 200 millions de liquidités, le club étant aujourd’hui valorisé à près de 400 millions d’euros.
Contrairement à une entreprise lambda cotée en Bourse, un club de football est caractérisé par une volatilité beaucoup plus importante de ses actions, liée à ses résultats sportifs.
Affirmer sa puissance
“Symboliquement, médiatiquement, l’introduction en Bourse du Club de Bruges est une façon de faire passer un message, note Jean-Michel De Waele, sociologue du sport à l’ULB. C’est l’affirmation de la puissance d’un club qui peut réaliser quelque chose que, généralement, seuls les grands clubs européens décident de faire. Il montre de cette manière qu’il a atteint un certain niveau et c’est un choix cohérent dans la vision du président Bart Verhaeghe qui veut davantage compter sur la place européenne. Mais attention toutefois pour le petit actionnaire! Il faut rester prudent car il n’est pas certain qu’il s’agisse là d’un placement très rentable.”
Ces dernières années, il est vrai que les IPO des grandes équipes européennes n’ont pas été de francs succès. Contrairement à une entreprise lambda cotée en Bourse, un club de football est en effet caractérisé par une volatilité beaucoup plus importante de ses actions, liée à ses résultats sportifs qui peuvent être impactés par des impondérables comme la blessure d’un joueur vedette, certains transferts malheureux ou une défaite surprise dans une grande compétition. La semaine dernière, l’action de la Juventus s’est ainsi effondrée de plus de 8% à la Bourse de Milan – dans un marché en baisse à 0,3% – au lendemain de son élimination inattendue de la Ligue des Champions par le FC Porto.
En règle générale, les marchés boursiers ne semblent guère sourire aux clubs de foot. Si l’on en croit le Stoxx Europe Football qui recense l’activité boursière d’une vingtaine de grandes équipes cotées, leur “performance” affichait ainsi en moyenne – 1,1% sur ces 10 dernières années. Certes, la crise sanitaire est passée par là, mais la grande majorité des clubs n’ont jamais vraiment brillé en Bourse (à quelques exceptions près) et certains, comme Tottenham, se sont d’ailleurs retirés des marchés.
S’offrir une brique
Cette incertitude qui enrobe les grandes équipes cotées n’est cependant pas l’élément le plus important aux yeux de certains observateurs. “Avec cette introduction en Bourse, le but du Club de Bruges n’est pas nécessairement de gagner de l’argent ou de faire gagner de l’argent à ses nouveaux actionnaires, mais bien de se positionner sur la scène européenne et, surtout, d’impliquer davantage les supporters dans la nouvelle aventure du club, affirme Jos Verschueren, directeur du programme Sport management à la VUB. C’est une action de prestige et une façon de faire un coup de com’, certes, mais c’est aussi un geste d’émotion qui donne une certaine vibration aux supporters. Cela permet de renforcer le lien fort qui existe entre un club et ses membres car ceux qui vont acheter des actions du club brugeois seront, je pense, à 95% des supporters. Ils pourront dire: ‘Vous voyez cette petite brique dans le nouveau stade? Eh bien, c’est moi!’ Acheter une action d’un club de foot, c’est faire partie de la grande famille. Encore une fois, l’idée n’est pas de gagner de l’argent mais plutôt d’augmenter l’engagement des supporters.”
C’est d’ailleurs ce que semble aussi indiquer Bart Verhaeghe en filigrane du communiqué qui accompagne l’introduction en Bourse des Blauw en Zwart: “Au-delà de cette étape qui doit permettre au Club de Bruges de rester à la pointe des évolutions attendues dans le secteur du football, nous continuerons à placer nos supporters, la performance sur le terrain et une solide gestion commerciale au coeur de nos principes directeurs lors de cette prochaine phase de développement”. L’offensive ne fait que commencer.
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