Charlotte Deleval: “L’autoédition d’un livre, c’est être, en même temps, artiste et chef d’entreprise”

Charlotte Deleval. © DR
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Finaliste du prix Amazon pour les plumes francophones avec Les Bannis, elle a autoédité ce premier ouvrage. L’écrivaine raconte son aventure, faite de galères et de promesses. Un exemple à suivre.

Certains rêvent du prix Goncourt. D’autres rêvent tout simplement, dans un premier temps, de voir leur premier livre publié, pour tenter de trouver un public. Charlotte Deleval est écrivaine. En juin dernier, elle a publié son premier roman, Les Bannis. Une autoédition. Cette oeuvre de science-fiction figure parmi les cinq finalistes du prix des plumes francophones d’Amazon. Le vainqueur sera connu le 16 novembre. L’occasion pour cette auteure d’évoquer, dans un entretien à Trends Tendances, les difficultés, mais aussi les vertus, de l’autoédition.

Racontez-nous votre aventure : vous aviez un manuscrit prêt et vous avez-vous finalement opté pour l’autoédition. Pourquoi?

Une fois mon livre fini, j’ai commencé mes démarches en me disant qu’il n’y avait pas d’autre option que la maison d’édition. Je l’ai envoyé un peu partout – à Paris, en Belgique, en Suisse… – et j’ai attendu… longtemps. Les délais de réponse étaient de huit mois environ, pour le plus court. En attendant, on se tourne les pouces parce que l’on n’ose pas trop modifier le manuscrit.

Ces retours m’ont finalement surprise dans le bon sens. Je m’attendais à des lettres du style “merci, mais non merci” – j’en ai d’ailleurs reçues -, mais d’autres m’encourageaient en me disant qu’il y avait du potentiel. J’ai pu améliorer le manuscrit grâce à ces conseils reçus des maisons d’édition.

Vous avez intégré ces conseils?

Bien sûr, la version qui est finalement sortie en autoédition, dans mon ordinateur, c’est la dix-septième ! Mais je dois avouer qu’à un moment, dans ce parcours, j’ai perdu patience, j’ai perdu espoir et j’ai perdu l’envie parce que c’était trop long, trop dur, j’avais l’impression que cela n’arriverait jamais. Cela faisait des années que je disais à mon entourage que j’écrivais un livre sans qu’il y ait d’évolution. Cela devenait frustrant.

Mon mari, qui est très entrepreneur, m’a dit un jour : ‘pourquoi ne t’autoédites-tu pas?’. Je lui ai répondu dans un premier temps : ‘ce sont les auteurs ratés qui s’autoéditent’. “Mais pas du tout, m’a-t-il rétorqué, tu as une vision hyper-rétrograde de l’autoédition, ce sont, au contraire, des auteurs entreprenants, qui mettent la double casquette d’artiste et de chef d’entreprise. Parce que finalement, qu’est-ce qu’une maison d’édition peut faire pour toi? Elle va imprimer ton livre, elle va le distribuer et elle va en faire la pub – et encore… N’y a-t-il pas un de ces éléments que tu ne peux pas faire toi-même?”

J’ai dû reconnaître qu’effectivement, je pouvais faire tout cela. La dernière maison d’édition qui m’avait répondu que mon livre était publiable, juste pas par elle à ce moment-là. Je me suis dit : fonce ! J’ai publié mon livre de la façon la plus professionnelle possible : j’ai recruté une correctrice, un graphiste… J’ai découvert le monde de l’autoédition et, effectivement, il y a des perles là-dedans! C’est un milieu où il y a une entraide extraordinaire : tout le monde se supporte, s’encourage, fait des promotions croisées…

C’est donc un investissement, au départ?

C’est un investissement financier, oui. C’est un pari parce qu’il y a énormément de livre qui sortent et très peu d’auteurs qui vivent de leur plume. Mais je ne voulais pas me dire que j’avais passé cinq ans de ma vie à écrire un roman pour en sortir une version édulcorée. Je ne voulais pas faire les choses à moitié.

En même temps, le retour en terme de droits est-il plus élevé que dans l’édition traditionnelle?

J’ai un peu regardé : dans une maison d’édition classique, le pourcentage des droits se situe entre 8% et 12% pour l’auteur. Il y a bien sûr d’autres personnes à rémunérer, dont le distributeur. Mais sur Amazon, pour les e-books, c’est 70% pour l’auteur et pour les brochés, c’est 40% hors TVA. On peut également choisir soi-même le prix de son livre, tout en restant raisonnable bien sûr. Cela donne un sentiment un peu plus fort de gagner sa vie en tant qu’auteur. Parce que l’on se dit quand même qu’on mérite cette grand part en tant qu’auteur : sans nous, il n’y aurait pas de livre!

Le problème évidemment, c’est que l’on touche plus, mais que l’on doit faire tout le travail derrière. Et c’est énorme ! Je découvre le monde de la publicité sur Facebook et Amazon que je ne maîtrisais pas, je dois apprendre, je regarde des tutoriels, je lis des articles, cela prend un temps fou.

Vous distribuez uniquement en ligne ou vous êtes présente dans les librairies?

Uniquement en ligne pour l’instant. Je démarche de temps en temps les foires du livre, mais les librairies, pas encore. D’autres auteurs autopubliés m’ont dit que cela prenait beaucoup de temps, que c’était compliqué, la librairie va évidemment demander son pourcentage, il faut un minimum de ventes pour percevoir les droits, chaque librairie est un nouveau contrat…

Sans indiscrétion, cela marche?

On peut suivre les ventes pratiquement en direct sur la page créée pour le livre et on reçoit un rapport chaque mois. En ce qui me concerne, le premier mois a été extraordinaire parce que ma famille, mes amis… ont pu le découvrir. Les mois suivants, cela a chuté énormément. C’est là que je me suis rendue compte qu’on ne peut pas uniquement sortir un livre et espérer que cela marche, il faut en faire parler… Ce n’est qu’un petit caillou sur une immense plage de galets.

Mais les commentaires que je reçois sur Amazon et sur les autres sites de lecture sont en grande majorité très positifs.

Vous êtes nominée du prix Amazon francophone, c’est l’espoir d’une mise en lumière?

C’est vrai. J’avoue avoir espéré qu’être parmi les finalistes aurait déjà un impact, mais pas du tout. Mais dans les prix donnés au gagnant, il y a une belle somme d’argent et de la publicité faite par Amazon sur son site. J’espère que cela aura un impact, c’est sûr.

Vous dites-vous que vous pourriez en vivre un jour?

Pour moi, le fait de l’avoir publié, c’est déjà tout ce que j’espérais depuis des années. Il existe. Je peux enfin me qualifier d’écrivain sans avoir l’air de mentir. Etre écrivain sans rien publier, c’est délicat, on se sent un imposteur. C’est donc, déjà, un énorme accomplissement.

Est-ce que j’espère en vivre un jour ? Bie sûr ! Mais c’est comme tout comédien qui espère un jour recevoir un Oscar. Je vais faire tout pour, même si cela n’arrivera probablement pas. Je reste les pieds sur terre, j’ai une famille, je vais bientôt avoir mon deuxième enfant, je travaillais comme guide touristique avant le Covid… Heureusement, mon mari a une situation plus stable, mais si les livres ne marchent pas un peu mieux…

Vous avez rencontré une communauté d’auteurs autoédités…

Oui, je l’ai singulièrement fait à travers une personne en particulier, une autrice dont le nom est Jupiter Phaeton, très prolifique, qui fait des tutoriels sur Youtube pour expliquer comment publier son livre, comment faire de la publicité… Cela m’a permis de rencontrer aussi d’autres auteurs, via Instagram… La plupart de mes “amis auteurs”, je ne les ai jamais rencontrés, mais on parle beaucoup, on s’échange des conseils, on se soutient… C’est très gai parce qu’au fond, être écrivain, c’est très solitaire.

Certains en vivent, c’est assez surprenant. Je me demande s’il n’y a pas plus d’autoédités qui en vivent. Une des finalistes du prix me disait qu’un de ses livres s’est vendu à 10 000 exemplaires en un an, ce qui est énorme. Cela dépend aussi du genre du roman : ce qui fonctionne extrêmement bien, c’est la romance. Ce n’est pas du tout mon rayon. La science-fiction, cela reste une niche et les gens ont plutôt tendance à acheter des auteurs connus. La romance, les gens sont plus ouverts.

La qualité joue, mais aussi la chance et le travail de promotion. J’y travaille. J’apprends énormément de chose, c’est fascinant. Je sors de ma zone de confort. Il faut parler de l’autoédition! La meilleure chose que je puisse faire pour mon roman, c’est de parler de tous les romans autoédités, pour en changer la réputation.

Pour découvrir Les Bannis: https://www.amazon.fr/Bannis-premières-pierres-Charlotte-Deleval/dp/2805207548/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=ÅMÅ´ÕÑ&crid=1DXAY4VSBS056&keywords=les+bannis&qid=1661851662&sprefix=les+bannis%2Caps%2C96&sr=8-1

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